Emeutes 2005 : ce que l’on persiste à ne pas vouloir voir...

par tiptop
jeudi 5 avril 2007

« Liberté, Egalité, Fraternité, Réalité » avait titré The Independant en novembre 2005. Les Anglais sont nos meilleurs amis quand ils nous mettent face à nos contradictions. Pourquoi ces évènements sont-ils si curieusement absents de la campagne présidentielle ? Il aura fallu les incidents gare du nNord pour nous ramener à une réalité que nous ne voulons (pouvons ?) pas voir.

Pourquoi la question "Comment en est-on arrivé là ? » est-elle si difficile à appréhender pour la plupart des Français ? Comment arriver à se décentrer un peu par rapport à nos belles certitudes républicaines et se mettre à la place de l’autre, ft-il un « sauvageon » décervelée ? Sommes-nous si imprégnés de nos idéaux républicains et égalitaires que nous ne puissions voir l’effarant fossé entre nos valeurs affichées (et qui ont une vrai portée universelle !) et certaines réalités sociales ?

La France a depuis la Révolution toujours porté cette terrible contradiction : des discours humanistes qui portent en germe l’espoir d’une réelle émancipation de l’homme et des politiques effectives qui font tout le contraire. Jules Ferry en est un parfait exemple : les valeurs qui ont fait l’école laïque ont été les mêmes qui ont porté l’aventure coloniale (« Les races supérieures ont un devoir d’éduquer les races inférieures » je cite). Le brillant auteur de « De la démocratie en Amérique », Alexis de Tocqueville, en est un autre : il justifiait les enfumades de Bugeaud et autres massacres perpétués en Algérie au nom d’un pragmatisme en net décalage avec les valeurs qu’il a toujours prônées. Aujourd’hui peut-être que nous rêvons encore notre beau pays comme une terre d’asile, accueillante et généreuse envers tous ces ex-colonisés qui pour la plupart d’ailleurs n’ont pas demandé à venir. Nous les assistons, la cause est entendue, puisque nous ne voulons plus ni leur donner de travail ni les déghettoïser. L’assistanat généralisé donne bonne conscience aux décideurs gauche caviar et ceux de droite enragent (« on leur donne tout ! », « Ils passent avant les autres » sont des classiques qu’on entend partout) quand ils ne rêvent pas de les rejeter à la mer. Ces populations, qu’on le veuille ou non, nous renvoient à un passé colonial qui ne passe pas. Certains ont la naïveté de croire qu’il est, non pas glorieux, mais équilibré en termes de méfaits et bienfaits. C’est en gros ce que dit la loi du 11 février 2005, justement décriée par les historiens. D’ailleurs, ce passé ne s’enseigne pas ou si peu. Je renvoie au rapport de l’INRP « Entre mémoire et savoir, l’enseignement de la Shoah et des guerres de colonisation » dans lequel beaucoup d’enseignants y confessent avec humilité ne pas être à la hauteur face à ces angoisses identitaires car insuffisamment formés. Mais bien sûr certains se contenteront de penser que tout a été dit, montré et digéré en matière d’histoire coloniale. Notre bonne conscience nous aide à vivre n’est-ce pas ? Cette parenthèse historique n’est pas anodine. Le présent n’est pas compréhensible s’il n’est pas mis en relation avec le passé ; la construction de la république ne s’est pas faite sans heurts ni contradictions. Au lieu de prendre un peu de distance, on préfère se réfugier dans la psychologie façon café du commerce et donner des leçons de morale : « Ils ne veulent pas travailler », « Ils ne veulent pas s’en sortir », « c’est la faute aux parents ». Faut-il lire l’intégrale de Bourdieu pour comprendre que cette rhétorique de la volonté dépend fortement du contexte social, familial et de l’histoire singulière de chacun ?

Osons un constat. Certaines populations immigrées sont victimes d’une double injustice : économique et identitaire. Au nom de quoi le reconnaître serait les excuser ! Certains feront justement remarquer que la misère et le chômage ne poussent pas toutes les populations à se révolter de la sorte. C’est ici que s’ajoute la crise identitaire profonde de certains jeunes Maghrébins. Quand on ne sait pas qui on est (Arabe, Berbère, Algérien, Français, musulman, citoyen, racaille ?...), d’où on vient (le lien générationnel est, dans bien des cas, rompu, voir les films de Yamina Benguigui), où on va ( Chômage, délinquance, intégrisme ?), on pète les plombs et on brûle des voitures. N’en déplaise à certains, cela pourrait être pire encore ! La fracture identitaire est béante pour ces populations qu’on somme de s’intégrer en oubliant de leur donner les moyens de le faire par le travail. Les aînés ont subi les pires humiliations, rasé les murs dans leurs bidonvilles mais ne se plaignaient pas. Ils trimaient pour leur maigre pitance. Leurs fils et petit-fils se révoltent. Faut-il s’en étonner alors qu’ils sont beaucoup mieux lotis matériellement qu’il y a trente ans ? Ce qui leur est sans doute insupportable c’est l’effroyable écart entre les discours humanistes et républicains et la réalité sociale dans laquelle ils se débattent. Le double langage est partout mais nous continuons à nous boucher les yeux. Que ce soit des vrais voyous, ou plus grave, des jeunes méritants (ceux qui triment et subissent discrimination sur discrimination), où qu’ils se tournent l’horizon est bouché. A ce propos il serait pertinent de s’intéresser à certains casseurs, pas les caïds de quartier bien sûr, mais les sans-histoires, ceux qui le temps d’une nuit furieuse ont franchi la ligne rouge et laissé exploser leur désespoir. C’est aussi une très sérieuse remise en question du rôle de la police dans les quartiers chauds et du comportement ouvertement raciste de certains de ces fonctionnaires. L’arbitraire de certaines descentes dans les cités et la façon dont les jeunes sont parfois interpellés dans la rue laisse penser que la police se comporte en bande rivale. Manque de formation ? Surchauffe due au stress ? Ou injonctions furibardes et irresponsables venant d’hommes politiques qui ont bien compris que les discours sécuritaires sont payants électoralement ? Violence gratuite, entendons-nous parfois. Nous oublions que la violence est toujours le dernier recours de ceux qui n’ont pas les moyens de s’exprimer autrement. Et cette violence-là nous hurle des choses que nous refusons d’entendre. Elle est aveugle, oui, mais pas gratuite. Violence organisée, jeunes manipulés, nous rabâchent certains. C’est pratique et presque rassurant : les ennemis sont en face et clairement identifiés (caïds, intégristes ...). Qu’elles soient vraies (selon la police) ou fausses (selon les tribunaux), ces allégations n’expliqueront jamais la rage profonde qui motive les actes.

Reste le libre choix des individus qui consiste à faire ou à ne pas faire l’irréparable en terme de violence. En cela, les casseurs ne sont pas excusables et doivent être punis pour leurs actes (et pas pour ce qu’ils sont !). La fermeté est nécessairement de mise dans une situation aussi explosive. Cela doit-il nous empêcher de voir la vérité en face ? Ou à tout le moins d’essayer de comprendre le cercle vicieux dans lequel ils se trouvent et qui se résume ainsi : plus de discrimination et d’injustice amène plus d’incivilité et de violence qui amènent plus de ... ? En ce sens, ces jeunes se suicident socialement et les plaies seront longues à cicatriser.


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