La proposition de loi du groupe LIOT et le recours à l’article 40 par l’exécutif ?

par Daniel MARTIN
mardi 30 mai 2023

D’après des Constitutionnalistes qui veulent le réformer, en voulant protéger les finances publiques, l’article 40 de la Constitution limiterait en réalité le pouvoir d’initiative des parlementaires. Exemple, avec la proposition de loi déposé par le groupe LIOT visant à supprimer le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, et le recours à cet article par l’exécutif pour l’interdire.

L’article 40 de la Constitution rarement utilisé ?

Pour rappel, l’article 40 de la Constitution en vigueur depuis le 05 Octobre 1958 est ainsi rédigé : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».

La gauche souligne que l'article 40 de la Constitution est rarement utilisé concernant les propositions de loi. Par exemple, Eric Coquerel de la France insoumise (LFI) et président de la commission des finances indique : «  il est analysé de manière souple. Sinon vous n'auriez jamais aucune proposition de loi dans les niches parlementaires, parce que tout crée des dépenses ». Dans un billet, le député insoumis rappelle également que « traditionnellement, quand c'est une proposition de loi, on essaye de faire en sorte que le débat puisse avoir lieu, par souci d'égalité entre les pouvoirs exécutif et législatif ». Selon lui, la majorité se voit contrainte d'utiliser cet article 40 de la Constitution parce qu'elle est relative. « Elle n'est plus majoritaire donc, manifestement, elle cherche une façon, une fois de plus, d'éviter le vote ». Jean-René Cazeneuve député de la majorité reconnaît aussi « qu’Il n'y a pas systématiquement de recours et que quelques fois, c'est vrai qu'il y a un arrangement, mais cela concerne des propositions de loi pour lesquelles il y a un consensus ou parce que les charges sont extrêmement faibles »…

Entre une proposition de loi des uns et un recours à l’article 40 de la constitution pour les autres

Après la loi sur les retraites particulièrement controversée et qui ne doit son existence qu’au recours à l’article 49.3 de la Constitution, voici que le débat au parlement sur cette réforme revient par la fenêtre avec le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT). En effet, le groupe LIOT a déposé une proposition de loi visant à supprimer le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Cette loi qui a été jugé recevable sera examinée à l'Assemblée nationale le 8 juin 2023.

L’exécutif et la majorité présidentielle, qui cherchent à sortir de l’ornière des retraites, ont choisi d’invoquer « l’irrecevabilité financière » pour tenter d’échapper à un vote. À l’issue d’une réunion le 16 Mai 2023, les trois groupes de la majorité (Renaissance, MoDem, Horizons) ont arrêté leur stratégie : se référer à la Constitution, et plus spécifiquement à l’article 40 de la Constitution, pour tenter de faire censurer le texte et empêcher ainsi qu’il soit débattu à l’Assemblée nationale.

Pour contrer la proposition de loi présenté par le groupe LIOT, le recours à l’article 40 est-il réellement justifié ?

Conformément à l’article 40 de la Constitution, les Député(e)s ne peuvent donc modifier un texte de loi, ou présenter une proposition de loi, si la modification proposée entraîne des dépenses qui ne sont pas compensées. L’objectif affiché de l’article 40 est donc d’éviter tout dérapage budgétaire pendant le parcours législatif. On parle alors « d’irrecevabilité financière ». Celle-ci ne concerne pas seulement les dépenses de l’Etat, mais tout organisme qui pourrait faire l’objet d’un texte de loi, comme une entreprise publique.

Le texte porté par le groupe LIOT, qui entend faire reculer de l’âge légal de départ à la retraite de 64 à 62 ans, prévoit bien de compenser la perte de recettes induite avec une taxe sur les tabacs. Mais pour le Gouvernement et le président de la république, c’est une compensation très insuffisante. Dans une interview au journal L’opinion, Emmanuel Macron évoque « une proposition de loi à 15 milliards d’euros ». Ce qui ne manque pas de faire réagir le Président du groupe LIOT Bertrand Pancher : «  Si, pour ne pas passer un texte de loi, on s’en prend à nos fondements démocratiques, c’est-à-dire un Parlement qui est en incapacité de légiférer, je peux vous dire qu’on allume le bâton de dynamite  » …

Le groupe LIOT aurait toutefois être plus téméraire concernant la compensation financière

Pour contrer les arguments de « compensation insuffisante » et le recours à l’article 40 de la Constitution par l’exécutif, s’il ne s’agit pas pour autant de rétablir l’ISF sous sa forme antérieure, mais comme le demande certain(e)s très riches au dernier forum économique mondial de Davos, dont plusieurs grosses fortunes Française, le groupe LIOT aurait dû proposer de créer à leur égard une contribution solidarité richesse (CSR), ne serait-ce qu’à titre temporaire. Surtout dans cette période de forte inflation qui pénalises les populations modestes, mais aussi celles qui le sont un peu moins, il n’est guère souhaitable de demander à ces populations de faire des efforts supplémentaires, quels qu’ils soient et quelle que soit leur nature. Pour lutter contre les dangers du tabac, l’augmentation forte de ce produit devrait être plus dissuasif, au moins pour réduire sa consommation, qu’une simple taxe d’État de plus.

Pour définir une contribution solidarité richesse (CSR), excepté les contrats d’assurance vie et les droits de propriété industrielle (brevet, marque), littéraire ou artistique, elle réintégrerait les biens somptuaires qui ont été exclus avec le transfert de l'Impôt Sur la Fortune (ISF) à l'Impôt sur la Fortune immobilière (IFI) qui serait supprimé et qui comprendrait les biens Immobiliers au-delà de 1,3 million d’euros, yachts, jets privés, chevaux de course, voitures de grand luxe et de collection à partir de 80 000 euros, lingots d'or… ainsi que la suppression de la dispense des prélèvements sur les dividendes des actions. Il faudrait toutefois simplifier la procédure de calcul, éviter l'évasion fiscale en recréant un boucler fiscal avec un plafonnement à 60 ou 70 % des impôts sur le revenu, et relever les seuils qui sont actuellement de 1,3 million d'euros pour l'IFI à, par exemple, 5 millions d'euros sous la forme d'un prélèvement unique, par exemple de 1,25%. Tous les investissements, par mécénat associatif ou dans le capital des micros, petites et moyennes entreprises (créatives d'emplois) seraient déduits du montant à payer de cette contribution. Cette initiative Française devrait, devrait dès lors, s’inscrire comme un exemple dynamique pour les autres pays Européens. Le montant de cette contribution solidarité par les très riches, selon les estimations, son montant pourrait se chiffrer autour de 3 milliards d’euros.

Une taxation sur les superprofits, à l’instar de nos voisins et des recommandations de la commission Européenne, imposée à titre temporaire

Faut-il rappeler une fois encore que par rapport à la taxation éventuelle des superprofits qui devraient, notamment, participer à la réduction du déficit des retraites, grâce à la réglementation Européenne, il y a désormais au niveau Européen une définition institutionnelle et quantifiée des superprofits, ce qui facilite leur taxation par les Etats membres de l’UE. En effet, sont considérés comme tels les profits 2022 réalisés sur le sol européen qui sont de 20% supérieurs à une moyenne des profits calculée sur les exercices 2018, 2019, 2020 et 2021. Si cette définition peut être discutée, elle permet toutefois d’évaluer, pour chaque entreprise, si les profits réalisés en 2022 doivent être considérés comme des « superprofits » ou comme des profits normaux. La Commission laissait initialement la possibilité aux États membres d’appliquer sa proposition de taxe à d’autres secteurs que le seul secteur de l’énergie. Ce qu’à l’évidence le gouvernement Français refuse de faire… Selon divers organismes, une taxation Française des superprofits rapporterait annuellement de 5 à 10 milliards d’euros au budget de l’État, voire plus.

Qu’il s’agisse de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, d’une taxation des superprofit ou la mise en place d’une contribution solidarité (CSR) en lieu et place de la contribution sur la fortune immobilière (IFI), cela revêt bien un caractère différent selon la nature des produits et ne présente pas forcément une contrainte ou obligation de cumul. Par exemple, ce n’est pas parce que l’on serait assujetti à la contribution sur les hauts revenus ( 250 000 € si célibataire, veuf, séparé ou divorcé. 500 000 € si marié ou pacsé, soumis à imposition commune) que l’on serait redevable d’une contribution solidarité richesse (CSR), dont le montant pour l’évaluer serait de 5 millions d’euros.

A propos de la situation financière du régime général des retraites, d'après la loi de financement rectificative du 14 Avril 2023 de la securité sociale pour 2023

Il convient tout d’abord de rappeler que selon le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), la réforme des retraites, par les systèmes de compensation creuserait de 400 à 600 millions d’euros le déficit de la sécurité sociale, ce qui le placerait alors à plus de 8 milliards d’euros. A lire : https ://www.vie-publique.fr/loi/287916-reforme-des-retraites-2023-projet-de-loi-plfss-rectificatif# : :text=Pour%20la%20branche%20vieillesse%20des,milliards%20d'euros%20en%202023 Aujourd’hui, l’exécutif reconnaît qu’avec les aménagements et concessions faites, notamment à LR, cette réforme coûtera en réalité 700 millions d'euros au budget de l’État.

D’après la loi du 14 Avril 2023 portant financement rectificative de la sécurité sociale, en 2023, le déficit de la branche vieillesse, y compris le fonds de solidarité vieillesse, s'établirait à 2,5 milliards d'euros. Pour l'ensemble des régimes de base, les objectifs de dépenses de cette branche sont fixés à 273,7 milliards d’euros.

À l'horizon 2026, la branche vieillesse serait déficitaire de 11,3 milliards d'euros. En 2030, elle tendrait vers l'équilibre. Des dépenses nouvelles ont été votées lors de l'examen du texte au Parlement mais également des recettes nouvelles (hausse de la fiscalité sur les indemnités de rupture conventionnelle, lutte contre la fraude aux prestations...). De plus une partie de ces dépenses pèseront sur les branches famille et accidents du travail - maladies professionnelles. Extrait de : https://www.vie-publique.fr/loi/287916-loi-reforme-des-retraites-2023-plfss-rectificatif# : :text=Pour%20la%20branche%20vieillesse%20des,milliards%20d'euros%20en%202023

Une réforme des retraites avec un âge de départ obligatoire à 64 ans identique pour tous, une erreur sociétale historique

Au delà de toute perspective qui se voudrait optimiste, globalement, le système de retraite est condamné à être déficitaire à cause du déséquilibre entre actifs et retraités. Situation qui ne s’améliorera pas, du fait d’une croissance démographique non maîtrisée et de sa conjugaison avec le numérique dit « intelligence artificielle » où les entreprises vont de plus en plus se passer d’intervention humaine. Il est aussi démontré que ce n’est pas en imposant une date de départ à 64 ans ou même à 70 ou 80 ans, voire au-delà, que le régime des retraites ne serait plus déficitaire …

Pour toute réforme de retraite, le président de la république et l’exécutif devrait avoir à l’esprit qu’en fixant un départ de l’âge à la retraite à une date applicable à tous de la même manière, ce qui pouvait être encore accepté hier par les citoyens et imposé grâce à une bonne « utilisation des outils de régulation institutionnels de la démocratie » que sont les élu(e)s, les partenaires sociaux et les associations, désormais ce n’est plus possible.

Non seulement la loi de cette réforme des retraite n’était pas urgente, il fallait « donner du temps au temps ». Plutôt que de fixer l'âge de départ à 64 ans, la réforme aurait dû porter exclusivement sur la réduction des 42 régimes qui est une exception en Europe, tout en prenant le temps de la concertation préalable avec les partenaires sociaux. Ensuite un débat serein avec vote de la loi au parlement aurait été plus souhaitable que l’utilisation du 49.3. Mais là encore, avec des décisions hachées, prises à « la va vite », sous la contrainte à peine déguisée des marchés financiers, en imposant un report de l’âge de départ à 64 ans, cela ne pouvait que contribuer à une forte mobilisation contre la réforme des retraites dans son ensemble, avec des manifestations et les dérives dans leurs sillages que l’on sait..

Il est évident que par rapport à la question budgétaire, il y avait d’autres sources de financement extérieures au budget de l’État pour compenser une partie de ce déficit. Et même s’il y avait eu urgence à mettre en place cette réforme, alors qu’il n’y aurait pas eu la même réaction d’hostilité en ne fixant que la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite complète, laissant chacun, au gré de leurs besoins par rapport à leurs moyens, choisir sa date de départ au-delà de 60 ans.

Pour conclure

La réforme des retraites, telle qu’elle a été engagée et la façon dont la loi a été voté avec les décrets d’application dans la foulée de l’avis positif du Conseil Constitutionnel, il est normal que le groupe LIOT tente une proposition de loi visant à supprimer le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, comme il est légal que l’exécutif tente d’interdire sa présentation en invoquant l’article 40 de la Constitution. Ce qui semble toutefois inutile, car entre LR et les partis présidentiels qui seront inévitablement associés, et donc majoritaires, la proposition de loi de LIOT n’a que peu, sinon aucune, chance d’aboutir.


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