Le virage démagogique de François Bayrou

par Rubin Sfadj
jeudi 5 avril 2007

Février 2007 : en couverture des grands hebdomadaires nationaux, François Bayrou apparaît plus que jamais comme « troisième homme » de l’élection présidentielle. Et pourtant... Nous sommes un mois plus tard, en avril, et la machine Bayrou s’est enrayée. Quelle est la cause de sa dégringolade dans des sondages qui constituent autant de boussoles mal réglées dans la course à l’Élysée ?

Février 2007 : en couverture des grands hebdomadaires nationaux, François Bayrou apparaît plus que jamais comme "troisième homme" de l’élection présidentielle. Dénonçant les accès de démagogie de ses deux principaux concurrents (sur le chiffrage des campagnes, par exemple), critiquant - à juste titre, dans une certaine mesure - la polarisation artificielle de la vie politique française, et surtout tirant parti du vieillissement idéologique du Parti socialiste, le voilà qui talonne Ségolène Royal dans la plupart des sondages d’opinion.

Cet "état de grâce" se perpétue jusqu’à début mars, et si l’élection avait eu lieu le dimanche 11 mars, il aurait peut-être, selon le sondage IFOP du vendredi 9, doublé Ségolène Royal, pour probablement battre Nicolas Sarkozy au second tour, puisqu’il est, comme on dit, le "candidat Condorcet" : troisième derrière ses deux concurrents, il battrait pourtant chacun d’entre eux à plate couture en tête à tête.

Jusqu’à début mars donc, tout demeure possible pour Bayrou. Plus que jamais, il attire les indécis fatigués d’un clivage gauche-droite "à l’ancienne", les sympathisants de gauche lassés d’attendre un renouveau social-démocrate au Parti socialiste, mais également les libéraux pas vraiment convaincus par le passage de Sarkozy au ministère de l’Economie.

Et pourtant... Nous sommes un mois plus tard, en avril, et la machine Bayrou s’est enrayée. Quelle est la cause de sa dégringolade dans des sondages qui constituent autant de boussoles mal réglées dans la course à l’Élysée ?

Un analyste optimiste expliquera que c’est le prix à payer pour avoir sauvé son honneur en refusant de suivre les candidats PS et UMP dans leur délire identitaire, la première offrant d’imposer un drapeau dans chaque maison parce que le second proposait la création d’un ministère de l’Identité nationale. Les Français ont eu tort d’apprécier et d’encourager ce glissement ; Bayrou a eu raison de parler d’une "course-poursuite dont on sait où elle commence et dont on devrait aussi savoir où elle peut aller".

Si cette thèse doit prévaloir, alors espérons que la fièvre passée, le candidat centriste rattrapera son récent retard, juste à temps pour préserver un minimum de suspense dans une campagne d’un niveau assez pathétique.

Mais le pessimiste que je suis parfois (souvent ?) ne peut s’empêcher de souligner qu’on aurait aimé l’entendre un peu plus au moment de l’incident de la Gare du Nord, où il aurait pu faire valoir une modération de bon aloi entre le jeunisme affligeant de Ségolène Royal et les déclarations indécentes de Nicolas Sarkozy.

Ni s’empêcher de noter qu’en évitant le premier écueil populiste, François Bayrou a foncé tête baisse dans le second : celui de la démagogie anti-ystème. Il s’efforçait il y a quelques semaines d’attirer l’attention des électeurs sur l’importante mais obscure question de la dette publique, proposait d’introduire un "Small Business Act à la française"... De quoi nous parle-t-il, dans la dernière ligne droite ? De supprimer l’École nationale d’administration, et des politiques "amis du CAC 40". Chassez la démagogie, elle revient au galop.

Alors évidemment, rien n’est perdu pour François Bayrou. Mais le coup d’arrêt est réel et l’heure du choix a sonné : le Béarnais va-t-il s’enfoncer dans une voie aussi stérile pour lui que fructueuse pour ceux qui la connaissent par coeur, ou aura-t-il le courage de refaire le pari de la nuance et de la modération ?


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