Les forumistes du Net

par averoes
samedi 23 mars 2024

Faut-il structurer la pensée ou penser la structure ? D'abord, pourquoi opposer ces deux actions qui s'avèrent, au fond, complémentaires dès qu'on creuse un peu dans leur réalité sémantique ? Et pour cause…

Dans de nombreux domaines de la pensée, où il s'agit d'appréhender un phénomène ou une réalité qui se présente comme un système de relations constantes pouvant accepter l'introduction de quelques variations qui n'affectent pas -pour autant- la constance de ces relations (penser la structure), n'est-il pas incontournable de procéder -au préalable- à ce travail de préparation consistant à mobiliser les outils cognitifs idoines disponibles dans son intériorité mentale afin de pouvoir sonder les tréfonds de ce système (structuration de la pensée) ? Ce faisant, l'action structurante n'est-elle pas indissociable de l'action structurée ? L'organisation de la pensée n'est-elle pas le préalable de cette résultante qu'est la structure pensée ? Dès lors, est-il besoin de rappeler cette évidence : pour penser une structure, il faut d'abord structurer sa pensée ?

Si l'on accepte ces prémisses, il convient maintenant d'identifier un domaine où il est possible de les instrumentaliser pour pouvoir formuler une hypothèse.

 

De l’habitus

À cet égard, le réseau Internet semble offrir des possibilités pour répondre à une telle besogne. Dans cet univers, ce qui paraît afficher les caractéristiques fondamentales d'un système de relations permanentes (structure) ce sont les plateformes de discussion. Or, pour mieux appréhender leur logique et les préceptes qui régissent leur mode de fonctionnement en tant que systèmes structurés, la mobilisation d'un concept sociologique nous paraît incontournable. Il s'agit de l'habitus bourdieusien.

D'ailleurs, quand on voit le sociologue présenter l'habitus comme étant un système de « structures structurées prédisposées à fonctionner comme des structures structurantes  »[1], comment ne pas percevoir les forums d'Internet comme une sorte d'incarnation du concept ? Et, ce ne sont pas les ingrédients sous-tendant l'habitus qui y manquent. D'abord l'existence d'une phase de socialisation, qui façonne des modèles comportementaux consensuellement admis, puisqu'elle conduit chaque membre du groupe à se comporter d'une certaine façon, à avoir certains réflexes et à véhiculer des représentations qu'il a soigneusement intériorisées à travers le vécu d'une histoire commune. Ensuite, la présence d'une puissante matrice fédératrice, et partant conventuelle, favorisant l'émergence d'un cadre symboliquement institutionnel (matérialisé par l'existence d'une charte d'utilisation), mais qui n'empêche pas la contingence de nouvelles pratiques sociales, qui ont -à leur tour- vocation à fonctionner comme de nouveaux paradigmes. Dès lors, est-il difficile de voir ce microcosme agir comme une « structure structurée », quand on le voit résulter d'un processus de socialisation, c’est-à-dire -en réalité- d'un conditionnement de type communautariste ? D'un autre côté, peut-on s'empêcher de comprendre que c'est justement le caractère matriciel d'un forum de discussion sur Internet (autrement dit, son côté club plus ou moins fermé, centre d'influence et source de modelage définissant des modèles de pensée et des règles de conduite), caractère fondé sur un statut symbolique (rendu possible par la charte et cristallisé par l'usage), qui détermine -au fond- tous les attributs qui font de lui (le forum) une « structure structurée  » ? À y voir de plus près, on s'aperçoit que non seulement rien ne l'empêche, mais tout semble l'indiquer.

Maintenant, si l'on admet de tels postulats, il serait intéressant de tenter d'établir quelques portraits de comportements générés, de manière emblématique, par la matrice fédératrice, afin de dégager les grands principes constitutifs de son magistère, d'une part, et de mesurer jusqu'à quel degré ces mêmes principes agissent comme un puissant ferment de l'aliénation des membres du microcosme d'un forum, d'autre part.

Et si l'on juge un peu caricatural le caractère emblématique de ces portraits, un tel sentiment est tout à fait concevable. Pour autant, il ne faudrait pas se hâter d'en tirer plus de conclusion qu'il n'en autorise. Car, quel que soit le degré de la parodie ressentie, le descriptif n'en demeure pas moins un simple outil d'analyse. Enfin, est-il besoin de mentionner que tous les forumistes ne sont pas exactement la copie conforme de ces portraits ?

Au reste, il est également évident que ces derniers peuvent se décliner au masculin comme au féminin. Tâchons d'en discourir, pour des raisons de commodité, au masculin. Dans cette perspective, considérons alors les modèles ci-après.

 

L'habitué

Fidèle à la vie du forum, il ne peut concevoir une journée sans lui. Tel un vivant très étroitement dépendant de la sève de son écosystème, sa participation y est tellement perçue, par lui, comme étant impérative que le contraire serait, pour lui, synonyme d'apnée mentale. Point d'ancrage aussi indispensable qu'aliénant, cette participation est alors le souffle vital qui rythme son quotidien.

Et comme il craint mortellement l'ennui que susciterait, pour lui, les moments d'inactivité du forum, comme un poisson craindrait la vie hors de l'eau, il passe son temps à rôder autour de sujets éculés, errant d'une rubrique à l'autre et piaffant d'impatience devant le vide languissant. Ainsi, à l'apparition soudaine d'une nouvelle intervention d'un autre membre ou -mieux- à l'émergence subite d'un quelconque nouveau sujet de discussion, c'est la trompette de la jubilation. Ça y est, le voilà accourant pour y introduire son nez. Qui d'un commentaire insipide, qui d'une remarque désadaptée, qui d'un commentaire fielleux, qui d'une parole hors sujet, qui d'une provocation potache, le tout formulé dans un style rédactionnel d'une platitude affligeante, voire vulgaire ou indigent, puisque notre habitué n'est, en général, pas très porté sur le sens de la nuance ou sur le raffinement verbal, ni sur une quelconque considération pour les règles de bienséance les plus élémentaires ; qu'importe ! Ce qui compte pour lui c'est d'abord signer sa présence. Que son égo accède à l'existence et que sa subjectivité soit ! C'est cela sa préoccupation première. Que le sujet, l'idée exposée ou leur énonciation échappent totalement à ses capacités de perception, cela ne constitue, pour lui, pas la moindre gêne. Que son interlocuteur soit d'une trempe étrangère à ses références, il n'en a cure. De toute façon, si la manifestation de son être a pu lui être possible, cela suffit amplement à sa pitance intellectuelle.

Chose étrange à cet égard ! Quand on lui fait la remarque sur son inélégance, il argue d'une légitimité usurpée, semblable à celle de la règle de primogéniture au temps des monarchies médiévales, en s'abritant derrière le statut corporatiste d'une appartenance ancienne à la communauté du forum, comme si ce statut pouvait justifier toute sorte d'insuffisance ou d'ineptie et comme s'il y avait, déjà par principe, un rapport entre l'ancienneté et l'insanité (« puisque je suis ancien dans le forum, alors tout ce que je dis est forcément juste et cela me donne un droit imprescriptible à l'approbation des autres »).

Certes, tous les habitués ne reflètent pas l'ensemble des traits du profil décrit supra. Mais il n'en demeure pas moins qu'un dénominateur commun les définit tous. Car, avec, d'une part, une volonté obstinée de manifester sa présence, qui sonne comme une manière de chercher à combler un certain déficit immunitaire en matière d'estime de soi et de souveraineté personnelle, pour répondre -in fine- à un impérieux besoin ontologique, et avec, d'autre part, l'invocation d'un rang communautaire non consensuel et antidémocratique, défini de manière autoritaire et mal placée, l'habitué ne révèle-t-il pas ainsi toute l'étendue de son aliénation et la toute-puissance de son habitus confrérique ?

 

L'humoriste de service

Voilà un modèle qui peut se présenter sous une apparence sympathique, quand on aborde les choses avec une certaine légèreté ou -surtout- quand on partage avec lui soit le vécu d'une histoire commune soit quelques représentations fondatrices. En revanche, il suffit de creuser un peu dans les entrailles du personnage pour s'apercevoir que son apparente sympathie cache, en général, une acerbité d'autant plus méchante qu'elle est gratuite.

Quand il est vraiment sympathique, ce caractère de l'humoriste de service peut transparaître à travers sa constante volonté de détendre l'atmosphère à l'occasion d'un échange plus ou moins tendu entre forumistes et de proposer souvent des synthèses conciliatrices. On le voit alors multiplier calembours et autres contrepets (du genre « Femme folle à la messe et femme molle à la fesse » de Rabelais) et affectionner particulièrement l'expression par émoticônes. Par sa bonhomie, il favorise les échanges lénifiés et contribue à l'instauration du recul et de la relativisation des propos dans les interventions des uns et des autres.

Mais, la nature désagréable de ce type de forumiste ne manque pas de se révéler à l'œil attentif, dès lors que le personnage n'hésite plus à -justement- se servir de son humour postiche pour glisser remarque malveillante ou réflexion caustique. Son but n'est alors plus la recherche d'une plaisanterie innocente, mais cristalliser une hostilité collective à l'encontre d'une victime. Ainsi, ce prétendu humour devient, à la vérité, une arme fétiche pour se livrer à la rosserie la plus vile. On passe alors du registre de l'humour à celui de la moquerie.

Par ailleurs, en laissant entendre qu'il verse systématiquement dans le propos original et qu'il a un penchant naturel pour la réflexion insolite, le personnage aime cultiver une image de singularité ; et il croit atteindre son but auprès de ses interlocuteurs. Seulement voilà : malgré ses efforts, il n'en demeure pas moins empreint d'une singularité commune.

D'où lui vient alors cette banalité dont il n'arrive pas vraiment à se déprendre dans sa recherche monomaniaque de l'originalité ? Or, comment peut-il en être autrement quand on sait que la puissance de l'habitus auquel il appartient ne laisse justement aucune place à la véritable exceptionnalité ? Et pour cause : sa prétendue singularité fait déjà partie des représentations partagées par les membres de son microcosme, voire même au-delà.

 

Le demi-dieu

Si l'on consulte tous les dictionnaires du monde, à la recherche d'un adjectif qualifiant le demi-dieu, on ne trouverait guère meilleur vocable que celui de "altier". "Hautain" donc ? Et pourquoi pas ? Non seulement lui-même accepte volontiers la qualification, mais il est même prêt à en justifier l'attribution à sa personne. Ne pouvant concevoir les relations humaines que sur un registre hiérarchique, où il pense nécessairement occuper une place supérieure, il s'érige d'emblée en donneur de leçons.

Voyez-le papillonnant à travers les différents sujets d'un forum, et vous comprendrez vite que sa préoccupation première n'est rien de moins qu'une sempiternelle volonté de rappeler cette supériorité imaginaire. À tel intervenant, il se permet de corriger des erreurs linguistiques ou des inexactitudes informationnelles ; à tel autre, il n'hésite pas à prodiguer conseils et autres homélies condescendantes ; à ce pauvre forumiste maladroit, l'outrecuidance peut même le pousser jusqu'à rappeler les règles de la charte, usurpant par là le rôle des modérateurs ; il faut dire que le demi-dieu est champion toutes catégories d'un art consommé de "l’intrusivité".

Et quand il s'agit d'un sujet dont la sémantique lui est impénétrable ou l'énonciation inaccessible, son réflexe premier est de brandir le glaive de l'hostilité et le sceptre de l'acrimonie. S'attendre à ce qu'il ouvre un dictionnaire pour connaître le sens du mot ou de la locution qu'il ignore relève d'une gageure. Qu'il demande poliment cet enseignement à l'auteur de l'expression, quel blasphème ! Au contraire, en rendant ce dernier responsable de son ignorance (qu'il ne reconnaît évidemment jamais comme telle) notre apprenti démiurge préfère plutôt déverser sur lui un tombereau de critiques malsaines, en réaction à ce qu'il considère comme un outrage à sa personne (la présentation d'un sujet dont il ignore tout et l'emploi de mots ou de tournures verbales incompréhensibles pour lui). C'est ainsi que s'ouvre sur le pauvre intervenant une boîte de Pandore avec tout son cortège de remarques inamicales, pour ne pas dire vipérines : « Pour qui il se prend celui-là ?  », « Qu’est-ce qu’il a à nous enquiquiner avec ça ?  », « Comment peut-il parler de cette manière ?  », « Pédant ! », « Cuistre ! », « fat ! », « suffisant !  », etc.

Notez que les jérémiades du demi-dieu sont toujours lancées à la cantonade. Au fond, ce qu'il cherche ainsi c'est solliciter le concours des autres forumistes pour qu'ils se joignent à lui dans une sorte de concert de bêlement critique, dont il se veut le porte-étendard. Il est comme ça le demi-dieu : il a besoin des autres pour fonder une vérité. Et quand on lui fait la remarque sur cette infirmité intellectuelle, il ne comprend pas que l'argument du nombre n'en est pas vraiment un. En outre, ce qu'il ne sait pas, c'est que cela traduit son incapacité incurable de penser par lui-même. C'est dire que c'est un être sans subjectivité. Ou alors, s'il en a une, elle ne peut exister que diluée dans un groupe, c’est-à-dire dans une intersubjectivité sclérosante et castratrice. Son "moi" est, pour ainsi dire, translucide. C'est pourquoi on le voit souvent arguer, pour justifier une opinion, qu'il n'est pas le seul à l'avoir (« on est nombreux à penser que… »), comme si le vrai était nécessairement tributaire d'un nombre de consciences suffisant pour être vrai, comme s'il ne pouvait être vrai en soi). À la vérité, quand les autres finissent par s'exprimer, on s'aperçoit qu'ils pensent, en général, comme lui.

Dès lors, le conditionnement communautariste, à travers le partage d'une histoire commune, étant à l'œuvre, cela révèle -in fine- une chose : la puissance matricielle de l'habitus des forumistes.

 

L'autoritariste

Plus qu'un autoritaire, dans la mesure où ce dernier peut arguer d'une certaine légitimité conférée par un statut hiérarchique, légalement institutionnalisé et consensuellement admis, ou simplement conférée par la nature de la mission qui lui est assignée, l'autoritariste ne conçoit les rapports humains que sous le prisme de l'autorité. Son exercice est, pour lui, une fin en soi, tant elle est perçue comme la réponse absolue à un besoin ontologique, en ce sens qu'elle constitue le mode d'existence qu'il convient d'avoir.

Agissant comme un propriétaire des lieux, vous le verriez généralement à l'affut de n'importe quelle intervention pour savoir si son auteur s'est bien conformé au règlement du fief. À cet égard, aucune phrase n'est laissée sans scrutation, aucun mot n'est négligé, aucun smiley n'est ignoré, son obsession peut le pousser jusqu'à imaginer la réponse que ferait un membre, avant même sa formulation, pour brandir à son encontre, de manière préventive (pense-t-il), la menace d'une sanction.

En s'imaginant seigneur du marquisat de la causerie bien-pensante, il veut tout réglementer, y compris la manière dont les membres doivent, selon lui, utiliser le forum (ne pas proposer un sujet d'une certaine profondeur intellectuelle, raccourcir ses interventions, s'exprimer de telle façon, comment procéder quand il s'agit de faire une citation, etc.).

C'est pourquoi on le voit souvent porter l'étoffe d'un modérateur ou d'un médiateur. Et, quand c'est le cas, grand malheur aux esprits indépendants, car notre autoritariste n'a plus de limite. Ainsi, pour sanctionner un forumiste dont les interventions ne lui plaisent pas, l'avertissement ou le bannissement provisoire peuvent être immédiatement infligés. Et si le blâmé ose se plaindre d'un abus de pouvoir, en excipant d'un parfait respect de la charte du forum, le fameux « on est nombreux à penser que… » est brandi par l'autoritariste pour justifier sa décision. À court d'arguments, il n'hésite pas à faire de l'exégèse sur des points de détails de la charte pour faire dire au texte de ladite charte ce qu'il ne dit pas, avec un ton on ne plus péremptoire. Dès lors, il a tout loisir de prendre une sentence encore plus tyrannique. C'est ainsi que le ban définitif s'abat sur le pauvre hérétique comme le mouton d'une guillotine, sans autre forme de procès.

Intellectuellement terrorisés par l'attitude du marquis, nombreux sont les membres qui adoptent la posture d'un serf discipliné. De la justification fayote de la décision seigneuriale à la critique du banni, en passant par une demande de renforcement des interdits de la charte, chacun y va de sa propre servitude volontaire, pourvu qu'il ne fasse pas l'objet d'un regard inquisitorial de la part de son maître. Il faut dire que cet impensé relationnel de type féodal est un avatar de l'habitus des forumistes.

 

Le courtisan

Ce qui précède nous conduit naturellement à évoquer le dernier portrait des forumistes du Net.

Voilà un modèle qui ne manque pas de désarçonner le plus téméraire des gens rationnels. Et pour cause : sa propension à l'auto-assujettissement et sa manière de concevoir les relations humaines restent une énigme. On dirait qu'il a besoin d'une soumission à quiconque veuille bien exercer sur lui un rapport de domination pour exister. Quand on sait que le concept d'autorité exprime un rapport de subordination vis-à-vis d'un supérieur, rapport légitimé par une relation hiérarchique et encadré par statut légal, alors que le pouvoir suggère -lui- l'idée d'une relation de domination et d'influence qui n'est pas nécessairement légale ou légitime, le courtisan est davantage à l'aise dans un rapport de pouvoir que dans celui de l'autorité. Car, selon lui, se soumettre à une autorité (cadre légal) n'a rien de particulier, puisque tout le monde est soumis au même régime. Tandis que l'acceptation du joug d'un pouvoir est un acte qui a quelque chose de jouissif, dans la mesure où le soumis se soumet de manière volontaire. Syndrome de Stockholm ou du larbin, allez savoir…

Flagorneur dans l'âme, le courtisan ne peut s'empêcher de combler de louanges ses supérieurs. Ainsi, le voilà tenant à « exprimer [son] soutien à l'équipe de modération qui fait un travail difficile et visiblement très ingrat » ; ou encore à couvrir de commentaires dithyrambiques son forum en raison de « sa forte visibilité sur le net et son remarquable mode de fonctionnement ».[2]

Ayant un besoin impérieux d'une figure tutélaire, c'est en la personne de l'administrateur du forum ou de son modérateur le plus sectaire et le plus intransigeant qu'il la trouve. Ne respirant que par celui-ci et ne parlant que dans sa langue, le courtisan jubile à l'idée d'être adoubé par le parrain. C'est ce qui se passe, en général, quand le second cite le premier pour fonder un choix, soutenir une idée ou pour justifier un acte d'hostilité envers un esprit libre (« C'est untel qui a le mieux décrit ce troll »2, ou « Il faut reconnaître à X son côté visionnaire pour avoir deviné la réaction de ce troll. » 2, etc.). De son côté, le parrain trouve dans le courtisan un espace d'expression de sa nature caporaliste sans éprouver la nécessité de l'imposer. En alimentant mutuellement leurs pulsions respectives, les deux compères trouvent une certaine harmonie dans ce rapport de dépendance réciproque. Ainsi va la puissance matricielle de l'habitus des forumistes du Net.

 

En guise de conclusion

Dans l'incipit de la présente réflexion, il a été avancé l'hypothèse double selon laquelle les forums de discussion sur Internet paraissent opérer selon la logique de l'habitus bourdieusien et que, à ce titre, les schèmes de leur puissance matricielle (c’est-à-dire les principes qui les régissent en tant que clubs fermés et espaces de modelage) semblent agir comme un ferment particulièrement efficace dans l'aliénation de leurs membres.

Or, attendu que le forumiste correspondant à l'un quelconque des portraits déclinés supra s'avère être, en général, un être qui dépend étroitement de la représentation qu'il a des autres pour pouvoir formuler une pensée, alors il ne peut envisager la vie sans la fréquentation très assidue de son microcosme. En s'accrochant à la vie du forum tel un vivant qui s'accroche à son écosystème, il voit dans ces "autres" une altérité qui lui fournit l'équilibre psychologique et social nécessaire, selon lui, pour se sentir à sa place. Et quand on s'aperçoit que chacun des membres nourrit les mêmes images et véhicule les mêmes impensés que les autres, avec comme seul particularisme le fait d'occuper chacun une place différente mais nécessairement complémentaire des autres, la puissance matricielle de l'habitus apparaît au grand jour.

Ainsi, il se trouve que l'exposé développé ci-avant nous a permis de révéler quelques traits allant dans le sens d'une validation de l'idée consistant à dire que ce sont les représentations et les agissements des membres d'un groupe qui façonnent son histoire commune, laquelle fonde, à son tour, la puissance intégrative de celui-ci.

Comment dès lors ne pas reconnaître, sous l'éclairage du concept bourdieusien de l'habitus, que cette matrice sociale (le forum) n'est rien de moins qu'un exemple de ces « structures structurées prédisposées à fonctionner comme des structures structurantes » ? Enfin, comment ne pas voir aussi que les schèmes structurants de ce système (i.e. l'ensemble des idées, des représentations et des manières de se comporter au sein d'un forum) remplissent non seulement une fonction organisatrice du fonctionnement de cet espace, mais ont aussi une action aliénante ? Sinon, pourquoi le membre typique (celui des portraits décrits plus haut, comme des sortes d'idéal-types) éprouve-t-il systématiquement le besoin de se référer à l'histoire commune partagée avec les autres membres et, surtout, pourquoi semble-t-il dépendre étroitement de leur posture approbatrice ? S'il en est ainsi, est-il encore souverain dans sa pensée ?

Par averoes.

Sur son site : https://antipedagog.wordpress.com/2024/03/23/les-forumistes-du-net/


[1] Extrait de « Le sens pratique », cité par Bernard Dantier (docteur en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, enseignant au Centre Universitaire de Formation et de Recherches de Nîmes), p. 4 du PDF.

[2] Ne riez pas, hein ! Ce sont des citations authentiques prélevées dans un célèbre forum réservé aux enseignants.


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