Les Français seraient-ils des veaux ?

par Didier Vincent
samedi 8 octobre 2005

L’expression prêtée au Général - « les Français sont des veaux, et les veaux c’est fait pour être bouffés ! » - et dont on ne sait exactement si elle fut inventée ou non, permet de regarder la situation actuelle de notre pays en nous posant la question de l’attitude de nos compatriotes dans leur vie citoyenne, aidé que nous sommes par l’expérience d’un petit blog citoyen de quartier parisien et « l’œil » nouveau que nous incite à avoir notre position de « citoyen reporter » au service d’AgoraVox. Il ne s’agit pas ici de tirer des conclusions définitives hâtives, ni de faire un bilan, genre si fort prisé par la presse, mais bien de dire comment nous sentons le vent, placé là où nous sommes.

Dans leur versatilité, reconnaissons à nos compatriotes une constante : la passion de la politique, tous niveaux confondus : cuisine politicienne ou grands principes, tout est bon, et souvent sujet de discussions animées, en famille pour le pire, au café pour le meilleur. Le récent débat à propos du TCE l’a prouvé, même si on a été un peu vite à le juger de qualité, mélangeant allègrement passion, vivacité et qualité des arguments. Oublier cela serait prendre le risque de mal interpréter les faits, gestes, voire gesticulations et discussions, voire palabres, que notre pays connaît depuis plus de deux cents ans maintenant. On peut aussi facilement affirmer que les Français ne font pas toujours bien la différence entre leur vie citoyenne et leur vie démocratique, les deux pour eux se superposant le plus souvent, ces deux expressions ayant plus ou moins le même sens à leurs yeux. En passant, notons que cette assimilation de la vie citoyenne à la vie démocratique en dit long sur l’attachement que nous portons à cette démocratie, quand bien même nous lui manquons de respect quelquefois.

Ces vingt dernières années, les Français se sont lancés dans les expériences afin de trouver le bon équilibre au remède de leurs maux. C’est l’alternance qui caractérise le mieux cet état de fait, mais aussi hélas, l’adhésion - sous forme de vote - à des solutions extrêmes, la lassitude du comportement, voire une certaine médiocrité des hommes politiques en général facilitant les choses. Disons aussi que l’abaissement systématique du Parlement par le pouvoir exécutif depuis 1958 et les « affaires » en général, n’ont pas amélioré l’image, non pas de la démocratie ni même de la politique, qui restent bien ancrées dans le cœur des Français, mais des pratiques politiques.

Dans ce contexte, qu’observe, au niveau local, certes parisien et dans un quartier « bobos », le reporter citoyen ?

Le premier phénomène, à nos yeux le plus fort et aussi le plus nouveau, est celui du développement de la démocratie participative. Par lassitude du comportement de leurs représentants, par perte de confiance en leurs élus aussi, les Parisiens, disons certains Parisiens, ne sont lancés dans la démocratie participative. Le succès, certes encore sujet à beaucoup de discussions, des conseils de quartier mis en place dans la capitale par l’actuelle municipalité en est l’expression la plus voyante. Au risque de passer pour un « suppo » de l’actuel Maire du 9e, je dois reconnaître que la manière dont les conseils de quartier sont organisés dans notre arrondissement, sorte d’agoras où tout le monde, à condition d’habiter dans l’arrondissement, peut venir et s’exprimer, a permis une prise de possession de cet outil démocratique qu’est le conseil de quartier par les citoyens qui, dans notre arrondissement, n’ont pas manqué l’occasion. Il est à regretter que ce type d’organisation soit unique à Paris, le 9e apparaissant donc comme une espèce de laboratoire de l’exercice de cette démocratie participative.

N’idéalisons tout de même pas. La démocratie participative présente deux écueils majeurs qui la tueront dans l’œuf si nous n’y prenons garde. D’abord, par le risque réel de démagogie, de surenchères qu’elle porte en elle. Les hommes restent les hommes, et même en ayant une vision optimiste des choses, il faut rester réalistes et ne pas tomber dans la naïveté. Ensuite, par le risque que ces nouveaux organes de proposition et de consultation que sont les conseils de quartier ne deviennent des prétextes pour les pouvoirs en place permettant de faire avaliser des décisions en fait déjà prises, faisant l’objet d’une consultation préalable de pure forme.

A l’inverse, le fait d’être consultés sur certains projets les touchant directement, comme le réaménagement d’un quartier, amène les citoyens à se mobiliser, à créer des associations de défense ou de proposition, créant ainsi des contre-pouvoirs. En cela la chose est positive, même si le rapport de forces reste encore assez déséquilibré.

Le deuxième phénomène est la soif d’informations en provenance de sources « alternatives », hors des canaux traditionnels. Le lien naturel que les Français ont établi entre pouvoir et presse, fait que le désamour du pouvoir est aussi le désamour de la presse. La situation économique catastrophique des grands journaux nationaux, le peu de crédit que les Français accordent aux grands médias audiovisuels, l’explosion de l’information informelle via les blogs et les supports alternatifs comme AgoraVox, en sont la preuve incontestable.

C’est donc à une espèce de réappropriation de la chose publique, certes balbutiante, certes désordonnée, que nous assistons actuellement. Il serait quand même dangereux de pousser le raisonnement trop loin. De fait, reste chez les Français une idée force permanente, et qui n’est probablement pas prête à mourir : la croyance en la toute puissance de l’Etat. A cet égard, les Français restent des « veaux ».


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