Trou d’air

par C’est Nabum
vendredi 1er novembre 2024

 

C'était pourtant du bon bouleau.

 

Pour les aiguilleurs du ciel, il eut été judicieux de préférer les conifères, mais le destin en a décidé autrement et c'est vers une autre essence détaxée que les compagnies aériennes européennes se sont tournées pour tenter de rivaliser avec leurs homologues orientales. Venu de Perse, le tapis eut un temps le monopole du trafic jusqu'à ce que des trous d'air trop fréquents ne viennent ternir leur notoriété.

Pour qui avait la fibre voyageuse, le trajet dans les airs était incontestablement un progrès conséquent. Il convenait de trouver d'autres techniques, plus fiables sans doute, pour permettre aux gens de s'envoyer en l'air. La demande se faisant plus présente, il fallut mettre au point un moyen plus sûr pour assurer ce transport.

C'est en tapant un tapis usager qu'un être plein de ressource se dit qu'il y avait là une belle idée à creuser. Si ce verbe n'est pas opportun dès qu'on entend regarder toujours plus haut, il mit cependant en branle l'imagination féconde, celle qui permet aux humains de franchir les étapes pour plus de technicité.

Sans s'y prendre comme un manche, l'idée du balai fit son chemin. Il y avait là un procédé qui pouvait convenir voler au-dessus des contingences tout en suivant les traces d'Icare. Chevaucher un manche mettait de plain-pied l'aventure aéronautique dans le champ du moyen de locomotion individuel. Une forme d'émancipation pour les terriens.

Une question demeurait néanmoins, très terre à terre, il faut bien le reconnaître. Quelle essence assurerait le plus efficacement un vol de balai sans turbulence ni ennuis techniques. Il y allait de la sécurité du pilote passager tout comme de la viabilité de ce nouveau moyen de se mouvoir loin des contingences habituelles.

Dans un premier lieu, le genet fut choisi. Sa modicité plaidait en sa faveur. Les essais cependant ne furent guère concluant. La plante conservait des fleurs qui interdisait de franchir la ligne jaune tout comme celle des Vosges. Il fallait pousser plus loin l'expérimentation pour trouver une fibre résistante aux aléas atmosphériques.

Après bien de recherches, alors que les ingénieurs étaient sur le point de s'inscrire à pôle emploi que l'un d'eux eut l'idée d'aller chercher du bouleau. Ses collègues, l'ironie toujours facile, se gaussèrent de son ignorance orthographique avant que celui-ci, haussant les épaules et bientôt tout son corps, leur administre la preuve qu'il était bien au-dessus d'une telle mesquinerie.

Le balai de bouleau fit un temps des merveilles. Les sorcières tout particulièrement adoptèrent ce moyen fort commode pour échapper aux bûchers qui leur étaient promis. Si l'air chaud monte, autant précéder le mouvement en se montrant tout feu tout flamme se dirent ces dames aux chapeaux pointus.

Cependant, le bouleau ne donnait pas des performances acceptables pour les adeptes de la vitesse. C'est vers la paille de seigle, de celle dont on couvre les toits de chaume, que certaines aventurières jetèrent leur dévolu. Ce fut un résultat spectaculaire puisqu'elle furent les premières à franchir le mur du son. On garda le silence sur ce pan de l'histoire pour ne pas humilier les hommes qui restèrent à l'écart de cette prouesse technologique.

Puis, le transport aérien en balai connut un tel succès qu'il fallut quérir une essence bon marché au fort potentiel de croissance. C'est le bambou qui eut la préférence des compagnies aériennes. Avec cette fibre végétale bon marché et fort avantageuse, il y eut paradoxalement une hausse considérable des coups du billet pour des raisons qu'on peine à expliquer encore aujourd'hui. On nomma ce curieux phénomène, le coup de bambou, celui qui donnait des hauts le cœur aux détenteurs de bourses modestes.

Enfin, l'aspirateur détrônant le balai, ce moyen fort commode de se mouvoir dans les airs connut une lente descente aux enfers. Dans le même temps des aspirants se mirent à piloter des aéroplanes qui avaient l'avantage indéniable d'assurer des transports collectifs. Le balai, trop terre à terre fut abandonné tandis qu'il prit place seulement dans la mythologie des sorcières.

Je tenais à restituer ce pan totalement oublié de l'aventure technologique de l'humanité. Chacun aimant balayer devant sa porte, j'en profite pour le regard tourné vers les cieux, tenter de surprendre les ultimes usagères de la chose. Il se peut qu'à bien observer, il en existe encore quelques-unes, perdues dans les poussières d'étoile.


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