Arthur Andersen : 28 000 licenciements sans cause !

par Pierre Bilger
vendredi 3 juin 2005

Une information, publiée avant-hier dans Les Echos et reprise par d’autres journaux, incite à la réflexion.
En page 36, son bureau de New York rapportait que Arthur Andersen, l’ex-numéro cinq mondial de l’audit, n’était peut-être pas coupable dans l’affaire Enron qui l’a conduit à sa chute. Selon la Cour suprême des Etats-Unis, le procès à l’issue duquel le groupe a été condamné était biaisé et n’est donc pas valide. Près de quatre ans après les faits, la tenue d’un nouveau jugement n’est pas spécifiquement exclue par la haute autorité, mais les experts n’y croient guère et, quoi qu’il advienne, il serait difficile aujourd’hui pour Arthur Andersen de renaître de ses cendres. Le groupe, qui comptait à l’époque près de 28.000 employés, n’en a plus que 200 aujourd’hui, chargés de liquider la société et notamment de régler les procès au civil auquel elle fait face.


Selon la haute autorité américaine, qui s’est prononcée hier à l’unanimité de ses neuf juges, les instructions données aux jurés pendant le procès ne les incitaient pas suffisamment à se concentrer sur la preuve qu’il y avait eu une intention criminelle. Auditeur en titre d’Enron, un courtier énergétique dont la chute à la fin 2001 a symbolisé les dérives du système capitaliste américain pendant les années de bulle, Arthur Andersen avait demandé à ses employés de détruire leurs documents relatifs à cette société dès le mois d’octobre de cette année. Ce n’est que le 8 novembre qu’il a mis fin à cette politique sous l’injonction de la Securities and Exchange Commission, le gendarme américain de la Bourse. Preuve de culpabilité.
Pour les avocats d’Arthur Andersen et les membres de la Cour suprême, la destruction de ces documents n’est pas en elle-même une preuve de culpabilité. Ce genre de décision est « courant dans les affaires », a expliqué le président de la haute autorité américaine William Rehnquist. « Il n’est pas illégal pour un dirigeant de demander à ses équipes de suivre la politique de conservation des documents de sa société ». L’accusation, qui avait également gagné en appel, accusait le groupe d’avoir conduit « une campagne de destruction de documents sans précédent ».

Il n’est pas fréquent que la Cour Suprême des Etats-Unis statue à l’unanimité. On peut en déduire que le procès a dû être incontestablement biaisé en profondeur. La campagne médiatique et politique qui avait précédé et accompagné cette procédure judiciaire, à l’évidence trop expéditive, n’ est sans doute pas étrangère à cette dérive.
Le problème est que la conséquence a été la mise en faillite d’une organisation presque centenaire composée de personnes estimables, compétentes et honnêtes et la mise à pied de 28000 employés alors qu’un exercice plus serein de la justice, appuyé par des médias plus objectifs et plus équilibrés, aurait dû conduire à sanctionner les seules personnes ayant commis éventuellement des fautes sans détruire l’outil de travail et l’emploi de ceux qui n’étaient en cause ni directement ni indirectement.Aussi ne peut-on qu’inviter à la prudence les commentateurs de Crible quand , faisant référence, dans le même numéro des Echos au cas de la famille Greenberg, ils évoquent l’honneur de la justice américaine et la félicitent d’avoir provoqué le départ des truqueurs.
Peut-être leur journal dans quelques années fera-t-il état d’une décision de la Cour Suprême, annulant cette procédure pour acharnement excessif et mépris de la réalité des faits. Qui sait ? Dans ce cas, les personnes sur lesquelles l’opprobre a été jeté d’une plume, peut-être trop légère et rapide, resteront néanmoins dans le souvenir des lecteurs comme des truqueurs.Je sais d’expérience que les erreurs de fait, les analyses erronées et les condamnations péremptoires que l’univers médiatique s’autorise à l’égard des personnes, généralement en l’absence de toute démarche contradictoire, sont rarement rectifiés par la suite, même lorsque l’évidence l’imposerait, et que les dommages faits à leur réputation ne sont jamais réparés.
En tout cas, les nombreux jeunes gens et jeunes filles qui, notamment en France, ont servi avec talent et enthousiasme Arthur Andersen et qui ont vu disparaître, médusés, leur entreprise qu’il savait honorable à cause de quelques escrocs qui dirigeaient l’un de leurs clients, sans que personne ne se lève pour dire Halte au feu, auront eu la satisfaction amère de voir aujourd’hui la Cour Suprême des Etats-Unis rétablir à la fois la vérité et leur réputation.
Puisse cet exemple inciter tous ceux qui ont à connaître des entreprises, juges, analystes ou journalistes à faire encore plus preuve d’exactitude, de mesure et de discernement lorsqu’ils commentent leur situation et, le cas échéant, leurs difficultés et à s’exprimer avec retenue et objectivité sur ceux qui en ont la responsabilité. Une telle attitude contribuerait à éviter le recours systématique aux boucs émissaires, qu’il s’agisse d’entreprises ou de personnes, qui, en occultant les causes réelles des difficultés rencontrées, participe de la détérioration de l’esprit public dont souffre gravement notamment notre pays.


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