La question des hautes rémunérations (9) : Réactions

par Pierre Bilger
mardi 28 juin 2005

La série de huit notes que j’ai publiées sur la question des rémunérations des présidents directeurs généraux des grandes entreprises cotées en bourse a suscité une vingtaine de commentaires.
Il me paraît intéressant, non pas de les résumer, mais d’en extraire les points, à mes yeux, les plus saillants pour le bénéfice de ceux qui n’auraient pas eu la patience de les lire intégralement comme la plupart d’entre eux le mériteraient.

Je ne m’attarderai pas sur les réactions de Claude et de Joël qui, pour des raisons différentes, ont considéré que mon effort d’analyse et d’explication ne valait pas le coup et qu’il eut mieux valu passer mon temps sur d’autres sujets. Je leur ai déjà répondu par un commentaire qui suivait les leurs : Peut-être avez vous raison et est-ce une tâche impossible et vaine que de tenter d’apporter un peu de clarté dans le débat relatif aux rémunérations des présidents directeurs généraux cotées. Pourtant l’exigence légale de transparence qui s’applique à ces derniers si elle ne s’accompagne pas d’un minimum d’explication risque d’accentuer encore l’incompréhension. Il me semblait que parmi ceux ayant occupé une telle fonction, j’étais plus libre d’en parler que d’autres, même si je n’ai pas l’illusion de convaincre ceux que heurtent les écarts considérables de rémunération auxquels notre société se résigne comme prix de son efficacité, sentiments que d’ailleurs je respecte.Quand j’en aurai terminé avec ce propos, je suivrai votre conseil et je passerai à autre chose !
La question de la transparence a suscité beaucoup de commentaires.
Jules
sur AgoraVox souligne ainsi que, la rémunération des Présidents du Conseil d’administration et de la direction générale étant fixée par le Conseil d’administration, et non par la communauté des actionnaires, cette seule considération justifie que la rémunération soit assortie de mesures qui en organisent la publicité.
Julien partage ce point de vue en y ajoutant un élément supplémentaire : Une entreprise cotée appartenant par définition à ses actionnaires, il ne me semble pas inopportun que ces derniers soient mis au courant de la rémunération de ses dirigeants, les premiers de leurs employés. (...) Il me semble d’ailleurs absolument nécessaire pour un actionnaire de bien comprendre quels sont les drivers (si vous me permettez cet anglicisme) de la rémunération d’une équipe dirigeante car je pense qu’il serait bien naïf de croire qu’ils n’influent en rien sur la stratégie d’une entreprise.
Claude en revanche n’hésite pas à contester la transparence dans son principe. La transparence, écrit-il, est provocation par nature. Tout le débat engagé depuis que vous développez cet argument y compris dans notre cercle restreint en témoigne, hélas. Quels que soient les mérites de votre argument, et ils sont nombreux, les médias et l’opinion publique et donc les politiques ne retiendront que le montant de la rémunération du dirigeant exposé à leur vindicte. Non pas pour la mesurer à l’aune de ses mérites, mais pour la rapprocher du fameux revenu moyen du Français qui lui, a préalablement été allégé de toutes les prestations directes et indirectes qui nourrissent l’endettement monstrueux d’un pays qui vit au dessus de ses moyens. Je suis opposé à la transparence quant elle devient impudique, et qu’elle nuit à la dignité des dirigeants, comme à leur respectabilité sociale. Elle est démagogique et inapplicable.
Et plus tard dans un autre commentaire, Claude précise sa pensée : Il n’est pas dans mon intention de privilégier l’opacité par rapport à la transparence. Je suis par contre opposé à la nudité....Le traitement réservé à de grands dirigeants qui subissent les affres de « l’ad nutum » dans notre pays me fait par trop penser à celui que de zélés « patriotes » de la dernière heure ont réservé à la libération à ceux qu’ils avaient désignés à la vindicte populaire. Nus et tondus !Je cherche donc à donner aux techniciens que cela concerne, les analystes par exemple, ainsi qu’aux actionnaires grands ou petits, les moyens de porter sur la rémunération des mandataires sociaux un regard objectif, neutre et focalisé justement sur les drivers importants que cette rémunération contient, sans que nécessairement elle soit exprimée en gros euros obscènes, totalement extraits de leur contexte.


Face à ce débat, mon point de vue est essentiellement pragmatique : revenir sur la transparence me paraît politiquement et pratiquement impossible dans la société médiatisée qui est la nôtre. Tout au plus aurais-je tendance à faire miens les arguments et les préoccupations de Claude pour refuser la tentation de l’étendre à des catégories de personnes qui en sont actuellement exonérées.
D’autres commentaires mettent en lumière l’hétérogénéité des situations à considérer. Guerby ainsi insiste, à mon avis, à juste titre sur la nécessité de distinguer l’ entrepreneur qui crée une entreprise de zéro, et un gestionnaire qui gère une entreprise déja existante qu’il n’a pas créée et qui a priori peut ne rien connaître à l’activité propre de l’entreprise.
HayekFan introduit une autre distinction qui rebondit sur la question de la transparence : Il n’ y a aucun sens de parler de rémunération des PDG si on ne distingue pas les cas d’actionnariat étatique (même partiel) d’un coté et entièrement privé de l’autre.Dans le cas d’une entreprise privée la question de le rémunération de son PDG ne doit intéresser que les actionnaires et ne saurait pas être soumise au débat public. La même règle vaut pour les entreprises à actionnariat étatique, mais dans ce cas l’Etat est actionnaire, et nos représentants paient les PDG avec notre argent. Alors le débat public s’impose et les salaires trop importants s’accordent mal avec la réduction des coûts que nous demandent la discipline budgétaire et la nécessité de financer d’autres domaines (santé, sécurité, logements sociaux etc...).
Pour ce qui me concerne, je ne vois pas comment les actionnaires des grandes entreprises cotées privées pourraient être informés, s’ils doivent l’être, sans publicité. Je ne crois pas non plus que ce soit l’intérêt des contribuables que les entreprises à participation publique soient dirigées par des responsables qui seraient moins bien payés que dans le secteur privé.
Mais la spécificité du patron d’entreprise a suscité des commentaires encore plus éclairants. Cass , à mon avis, à juste titre souligne que vouloir faire des dirigeants d’entreprise une catégorie à part, en cela dégagé des contingences du commun des mortels (...) semble dangereux.
Lionel s’interroge sur la starisation du dirigeant. J’ai bien lu, écrit-il, quelques études qui montraient que le résultat des entreprises était inversement proportionnel à la présence médiatique de leurs dirigeants. Pourtant, c’est bien cette starisation qui permet par exemple à Google d’avoir les moyens d’espérer concurrencer Microsoft à moyen terme. A priori les entreprises qui utilisent ces techniques de « bulle » sont suspectes. Mais en l’espèce je suis bien incapable de savoir, sans travailler avec eux, si les dirigeants de Google sont conscients de ce qu’ils font ou pas.
Enfin Jules sur AgoraVox insiste sur le fait que le mandataire social n’est pas un salarié. Les dirigeants, écrit-il, entretiennent la confusion entre l’exercice d’un mandat social et l’exercice de fonctions salariées (ne serait-ce que parce qu’on parle usuellement de « salaire » des dirigeants, terme impropre). La distinction reste notable. Les dirigeants dirigent et les salariés leur sont subordonnés. C’est là la raison qui fonde la protection des salariés. Il n’y a guère de raison d’en faire profiter les dirigeants.
Sur les techniques, susceptibles d’être utilisées pour rémunérer les dirigeants d’entreprise cotée, les points de vue exprimés sont multiples, mais pas toujours convergents.
Certains instruments sont récusés. Ainsi Claude est opposé à toutes les formes de retraite chapeau, tout en considérant qu’une révocation ad nutum doive par contre s’accompagner d’une indemnité éventuellement établie à l’avance, point de vue qui est différent de celui de Philippe qui serait prêt à admettre les indemnités de départ comme économiquement et socialement admissibles à la seule condition qu’elles soient directement reliées aux résultats. Claude-Christian Pierre de son côté considère qu’en cas d’échec le traitement du dirigeant serait celui du salarié lambda, point barre.
Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir ce que serait le traitement de salarié lambda à appliquer au dirigeant : la référence serait-elle la convention collective, ce qui, dans mon cas particulier, aurait justifié deux (en y incluant le préavis) des quatre millions d’euros avant impôts qui m’avaient été attribués et auxquels j’ai renoncé ou bien la situation des cadres dirigeants salariés de l’entreprise qui bénéficient la plupart du temps de contrats spécifiques !
Mon point de vue est plus proche de celui de Claude : l’indemnité de départ, si elle existe, ne peut être liée qu’au fait que le conseil d’administration peut mettre fin à tout moment dans l’intérêt de l’entreprise à la mission d’un mandataire social sans avoir à justifier sa décision de quelque manière que ce soit et sans avoir à démontrer une quelconque faute professionnelle, et ceci quel que soit l’âge de l’intéressé. Cette indemnité doit se substituer à tous les autres avantages qu’il pourrait faire valoir le cas échéant au titre de sa position antérieure de salarié. La prise en compte de la performance relève en revanche d’autres instruments et en particulier des primes ou bonus annuels.
D’autres commentaires soulignent la nécessité d’améliorer la qualité des processus de décision. Claude-Christian Pierre explique ainsi : Les objectifs fixés au PDG sont-ils clairs ? Vraiment clairs ? Spécifiques et non généraux ? Chiffrés précisément et mesurables ? Atteignables raisonnablement et fixés dans le temps ? Bref répondent-ils à la bonne vieille méthode du « SMART » ? Franchement je vais commettre le péché de jugement hâtif ou faire un mauvais procès d’intention mais je ne le crois pas.(...) Si donc il était public que les PDG sont évalués selon une grille d’objectifs/résultats aussi claire et rigoureuse que les autres salariés (je sais que cela est généralement moins bien fait que ce ne devrait être mais ce n’est pas une bonne raison pour en rejeter le principe), leurs salaires et autres rémunérations indirectes trouveraient une meilleure justification tant aux yeux de l’opinion en général que de celle très importante des employés. Mais on peut se demander si les Conseils sont bien équipés pour remplir correctement cette mission. Leur rôle mérite lui aussi de faire l’objet d’une réflexion aussi approfondie que celle que vous faites sur la rémunération des PDG.
Claude complète ce point de vue : Je crois, écrit-il, que quelle que soit l’exposition réelle et sérieuse d’un dirigeant à des risques dont la quantité et la variété ne font que croître, il y a probablement à rechercher les moyens d’en mesurer le prix. C’est la contrepartie légitime de la rémunération fixe du Président. Sa rémunération variable, par contre est du ressort exclusif des propriétaires de l’entreprise, ses actionnaires, qui devraient disposer du droit discrétionnaire de la déterminer, sans nécessairement la publier en unités monétaires il me semble. Sauf, je suis d’accord avec vous, pour les très grandes entreprises cotées. A condition d’en soumettre les modalités à une forme de benchmark que des cabinets spécialisés (Hayes par exemple) pourraient éventuellement réaliser. Ceux-ci pourraient ensuite donner à la rémunération présentée un « rating » multi-indiciel qui en mesurerait les différents composants. Et tout particulièrement, la part liée à l’atteinte d’objectifs dûment annoncés.
Sans prendre parti sur telle ou telle méthode spécifique, je souscris totalement à l’impératif de professionnalisation et de rationalisation du recrutement, de l’évaluation et de la rémunération des présidents directeurs généraux des grandes sociétés cotées de manière à écarter l’amateurisme, l’improvisation et parfois le copinage qui ont pu caractériser ces processus dans le passé. Dans cet esprit le recours à des conseils professionnels extérieurs me paraît également une approche utile.
Ce faisant, on pourrait sans doute prendre en compte une recommandation particulièrement judicieuse de Claude-Christian Pierre : les dirigeants de grands groupes ne dérogent pas à la règle commune de la motivation. Or, on le sait, l’argent est une motivation extrinsèque et comme telle elle est sujette d’une part à la surenchère qui, une fois satisfaite, l’amollit et d’autre part ne comble pas tout les besoins de l’être humain. Les conseils d’administration doivent donc s’attacher les meilleurs en faisant appel aux motivations intrinsèques des individus qu’ils choisissent pour diriger leurs entreprises. C’est moins facile que de concocter une bon package avec golden parachute, mais c’est plus sûr sur le long terme.
Reste la question du niveau que Cass sur AgoraVox commente avec finesse. J’extrais quelques éléments de son point de vue : L’ensemble des discussions autour de la rémunération des dirigeants n’aurait pas lieu si le niveau de ces rémunérations paraissait plus en phase avec la réalité des autres salaires. (...) Au sein même des très grandes entreprises les disparités sont fortes. (...) Cette inflation des rémunérations est récente. Car si des salaires élevés pouvaient être offerts dans le passé aux THD (Très Hauts Dirigeants), les nouveaux instruments de rémunération notamment liés aux actions (options, BSA...) ont fait exploser les dites rémunérations. Le THD a désormais le beurre, l’argent du beurre et la crémière. (...)Au final une approche réaliste consiste bien entendu à admettre la nécessité de rémunérer de façon importante les THD et ce pour l’ensemble des raisons que vous avez bien décrites (compétences, responsabilités...). En même temps on ne peut pas, à mon sens, faire l’impasse sur la question du niveau de ces rémunérations en se remettant au seul marché, sauf a entériner les effets délétères de ces questions sur le lien social et la confiance dans les entreprises et leurs dirigeants - sans parler des effets sur les N-1 ou N-2 de ces THD. A ce sujet une question me paraît utile : est-il sain qu’un dirigeant, qui n’est pas un entrepreneur ou un actionnaire important de son entreprise, puisse devenir en quelques années, et ce quel que soit le scénario d’évolution de son entreprise un rentier ? En somme aux entreprises de faire jouer un minimum de bon sens, et il sera alors inutile de légiférer.
Je souscris évidemment totalement à cette conclusion de Cass. Je suis moins convaincu par sa mise en cause de la référence au marché, car je ne vois pas d’autre point de départ réaliste dans le processus de fixation des rémunérations, même si je suis d’accord avec lui pour considérer qu’il faut en corriger les excès et en particulier éviter les effets d’échelle de perroquets qui se matérialisent à travers les études comparatives réalisées par certains conseils en ressources humaines.
Pour conclure, je noterai que la question de savoir qui, du conseil d’administration ou de l’assemblée générale des actionnaires, doit décider de la rémunération des présidents directeurs généraux de sociétés cotées, a été peu abordée. Seul, Jules l’a fait de manière interrogative sur AgoraVox. On pourrait estimer, écrit-il, que la rémunération des dirigeants peut être fixée, ex ante, sur proposition du Conseil d’administration, par l’assemblée générale. En France, où les administrateurs forment une catégorie réduite de personnes qui se partagent les fonctions sociales, par la voie des participations croisées, on peut comprendre que la suspicion s’impose.
On sait que je ne partage pas ce dernier point de vue, mais c’est l’intérêt du débat que nous avons eu au fil des semaines qui viennent de s’écouler que de nourrir notre réflexion commune d’opinions divergentes ! Merci en tout cas à tous ceux qui ont pris la peine d’y prendre part en commentant ces huit notes.


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