Superprofit : de la différence entre « to merit » et « to deserve »

par karl eychenne
mardi 13 septembre 2022

Le français ne permet pas de faire cette différence subtile qu’il existe entre superprofit et... superprofit. L’anglais si : c’est la différence entre « to merit » et « to deserve ». Une fois saisie la nuance, il est possible alors d'invoquer une nausée du superprofit, et de proposer une taxe anti - vomitive.

Il y a du homard dans cette histoire. Vous vous souvenez, ce crustacé exubérant s’invitant à la table de joyeux drilles qui n’avaient pourtant rien demandé. Aujourd’hui, le homard aurait changé de nom mais on l’a reconnu : superprofit.

Mais je suis vache, car même chez les superprofits il existe une échelle des valeurs. Il y a les superprofits « gentils » motivés par le talent ou l’effort. Il y a les superprofits « méchants » motivés par la concurrence acharnée ou la casse sociale. Et enfin, il y a le cas qui nous intéresse : le superprofit qui peut donner la nausée.

Il s’agit du superprofit qui est juste là par hasard, parce que l’heureux élu se trouve là au bon endroit, au bon moment, sans aucun effort particulier. En clair, aucune grande idée, fulgurance, innovation, ou stratégie n’est à l’origine de son œuvre. Juste les bons numéros du loto en quelque sorte. Nulle impudence de sa part, le profit est juste devenu super à l’insu de son plein gré. Bon il y a quand même un point qui rend ce superprofit très suspect : il est produit dans des circonstances qui peuvent faire tiquer. Inutile de développer je crois. D’où la nausée possible.

« Ils ont porté de l’huile là où était le feu », Guy Debord

Au fait. Pour information, cet article ne tranchera pas le point aveugle de la philosophie politique : « qu’est-ce qui est bon et juste ? »… Sujet passionnant, mais bon. Un, j’ai pas la réponse. Deux, on m’a expliqué que je ne l’aurai probablement jamais à cause de Hume et de sa guillotine : « on ne peut pas déduire ce qui devrait être de ce qui est ». Bien noté. Mais « ce n’est pas parce qu’on a rien à dire (sur la justice universelle), qu’il faut fermer sa gueule », comme qu’y dit l’autre. Ce superprofit qui peut donner la nausée n’est peut être ni « gentil » ni « méchant », mais il peut donc donner la nausée. Et on conviendra sans peine que la nausée n’est pas une sensation très agréable.

Curieusement, la langue française n’est d’aucun recours pour comprendre cette nuance subtile mais décisive entre le superprofit qui peut donner la nausée et les autres superprofits. Comme si le superprofit était de toute façon un profit de trop, lorsqu’il est exprimé en langue française. Manifestement, la langue anglaise (anglais britannique ou américain) est plus ouverte d’esprit, puisqu’elle fait bien la nuance entre un superprofit « mérité » et un superprofit « hérité » : c’est la différence entre « to merit » et « to deserve ».

Par exemple, on utilisera plutôt « to merit » pour parler d’une personne ayant su conjuguer efforts et talents afin de mener à bien un projet. Et l’on utilisera plutôt « to deserve » pour parler d’une personne héritant de certains pouvoirs ou privilèges alors qu’elle n’a rien fait de particulier pour en disposer. Au vu de ces exemples, on comprendra sans peine que le superprofit qui donne la nausée penche davantage du côté « to deserve » que du côté « to merit ».

Ok pour nuance, mais que faire pour la nausée ? 

La taxe anti-vomitive

Pour l’injustice on inventa la taxe. Pour la nausée il y aurait la supertaxe. L’objectif de la taxe était de soigner le mal, l’objectif de la supertaxe serait d’éviter la douleur. C’est très différent. Une taxe permet de financer le bien vivre ensemble. Alors que la supertaxe permet de supporter le bien vivre ensemble. En effet, la supertaxe ne permettra pas de financer grand-chose, mais bon, ca soulage.

Et puis, la supertaxe n’a peut être pas de vertus curatives, mais elle en a des préventives. En effet, il ne s’agirait pas que l’entreprise ayant généré de tels superprofits finisse par croire qu’elle les mérite vraiment, qu’elle a vraiment fait tout ce qu’il fallait pour les obtenir. La supertaxe permet ainsi d’éviter l’effet pygmalion (qui est une autre expression qu’ « attraper le melon »), qui risquerait d’être contre – productif pour l’avenir de l’entreprise. 

Un bémol, la supertaxe a un petit problème existentiel. Elle hésite entre le geste confiscatoire ou l’acte propitiatoire, le vol ou l’offrande. Peut être faut-il couper la poire en deux et invoquer le trafic d’indulgence… Lorsque le pêcheur (le superprofit) se voit absous de ses péchés par quelques dons au clergé (l’Etat).

Un autre bémol, le superprofit est supermalin. Il est donc fort probable qu’il cherche tous les moyens pour passer en dessous des radars. Rien de nouveau dans cette histoire, libéralisme et limitarisme n’ont jamais pu se blairer. Mais bon, puisqu’ils font chambre commune, ils finissent toujours (je crois) par trouver un compromis.

La supertaxe, une idée superflue ? Superfloue ? C’est en tous les cas une idée qui n’en est pas à son coup d’essai : la supertaxe a déjà été pratiquée par le passé, dans bien des pays, dans des certaines circonstances très particulières. Plus récemment, la crise Covid aurait pu être un cas pratique particulièrement stimulant : fallait-il supertaxer les entreprises ayant (finalement) vendu tous ces masques ? Fallait-il supertaxer les superprofits dus aux mesures de confinements de l’état de la même façon que les superprofits dus à la diffusion du virus ? Ne sais pas.

Quant à la supertaxe du jour, celle sur les superprofits, on ne sait pas non plus à l’heure où ces lignes ont écrites quel sort lui sera réservé. Et si cette idée tombait finalement aux oubliettes, peut être Jean Yanne aurait – il une autre solution de supertaxe à nous proposer : « si le gouvernement créait un impôt sur la connerie, il serait tout de suite auto-suffisant ».


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