Hasard, causalité et finalité dans la Nature et l’Esprit du monde

par Hamed
mardi 22 avril 2025

 Dans le calcul de probabilité, il y a deux calculs de probabilité qui se superposent : le calcul mathématique par cas et le calcul mathématique pour l’ensemble. Au nom du calcul des probabilités, le rouge, à la roulette, a strictement autant de chances de sortir une 25ème fois quand il est sorti 24 fois de suite. Cependant ses chances diminuent puisqu’il est impossible qu’il sorte toujours. Intervient ici un second calcul qui porte non pas sur chaque cas isolément mais sur l’ensemble des coups.

 Le hasard semble se jouer de ces calculs, car il consiste essentiellement à apparaître sur un des deux tableaux quand on l’attend sur l’autre. De même, les phénomènes très peu probables se produisent : « Le calcul des probabilités a échoué dans sa tentative d’explication du monde et en particulier de la vie… D’après les combinaisons mécaniques et mathématiques du corps, la cellule vivante avait, pour exister, une chance sur un nombre de chances contraires exprimé par un chiffre suivi de 70 zéros (G. Mercier. « Le dynamisme ascensionnel »)

 Hasard et expérience

On peut considérer que le hasard échappe par définition aux mathématiques pures, car il est du domaine concret, il est du domaine de l’existence. De ce point de vue, des philosophes ont soutenu que les sciences retiennent seulement les données ce qui sert à l’induction et à l’établissement de la loi ; la schématisation scientifique omet l’aspect existentiel et tout ce qu’il y a dans l’être d’action imprévisible et impossible à déduire.

 Par une dialectique source de son progrès, la science sollicite sans cesse le hasard en sollicitant l’expérience et s’efforce sans cesse aussi d’éliminer le hasard et de déduire sur le plan mathématique pur où elle retrouve la seule nécessité.

 1. La finalité

Le mouvement de la science, par essence, va vers la nécessité en éliminant les contingences. Dans le mouvement de la science se pose la question de la causalité et de la finalité et ce qui les lie à l’activité de l’esprit. La finalité est l’organisation en vue d’un but, et la compréhension de cette organisation en fonction de ce but. Or donner des buts à la nature, c’est lui attribuer des intentions, ce qui nous semble ramener à une conception magique, ou, à défaut d’être magique, métaphysique. 

La finalité a été critiquée par plusieurs philosophes dont Descartes, Comte, Bergson.

 La critique de Descartes. Construisant la physique mathématique contre physique scolastique et aristotélicienne, Descartes écarte les interprétations finalistes comme contraire à la causalité mécanique qui seule règne dans le monde de la nature. La nécessité mathématique ne laisse pas de place à la finalité au niveau des lois physiques.

 La critique d’Auguste Comte. La science positive est une liquidation de l’anthropomorphisme des âges pré-scientifiques. A l’état positif, la science renonce au « Pourquoi » pour s’intéresser uniquement au « Comment ».

 La critique de Bergson. Dans l’évolution créatrice, Bergson démontre que la finalité est externe ou n’est pas et déclare que la finalité est une exigence de notre intelligence et non un fait. Dire qu’un acte ou un fait est déterminé par ses causes ou qu’il est déterminé par ses buts, c’est dans les deux cas, admettre que « tout est donné » alors que l’évolution, selon Bergson, est créatrice de formes imprévisibles.

 2. L’activité de l’esprit

 Ces trois critiques très différentes dans leur intention s’accordent pour montrer que la nature telle que la considèrent la science et l’intelligence est une nature où tout est donné, qui est constituée comme un système permanent de relations nécessaires. Mais ces critiques ne peuvent faire oublier que la finalité évoque d’abord l’intention et la volonté libre. Or ces deux phénomènes sont des phénomènes de conscience, ils sont l’activité même de la conscience. La science comme elle se définit considère les « faits » comme pouvant être « refaits », elle tourne donc délibérément le dos non seulement à la finalité, mais à la conscience comme créativité. C’est pourquoi elle nie pratiquement l’existence de l’activité de l’esprit, et de la liberté exactement autant que celle de la finalité.

 Au lieu de considérer le schème de la nature tel que le propose la science, la philosophie des sciences se doit de considérer avant tout la science, en train de se faire, c’est-à-dire par l’esprit du savant. Or, sans l’activité de l’esprit du savant, il n’y aurait pas de science. La loi la plus mécaniste, le résultat le plus mathématique sont présentés par un esprit qui a cherché pour comprendre, qui a inventé des expériences pour vérifier ses hypothèses personnelles, ou qui construit un appareil pour atteindre tel phénomène encore inaccessible ou pour réaliser une idée.

 Le savant, un malin génie de la nature ou produit du malin génie de la nature, et en lui ce malin génie de la nature, par l’esprit en lui, dirige, oriente, organise…, c’est-à-dire qu’il est la finalité personnifiée. Transportant en laboratoire les phénomènes naturels, intervenant dans le détail des conditions, faisant réaliser ses buts par les causes matérielles qu’il donne et contrôle, il vide la nature de toute finalité en assumant lui-même la finalité ; puis il traduit ses expériences comme si elles étaient naturelles, comme s’il n’était jamais intervenu, éliminant de ses équations toute son activité créatrice et organisatrice, laissant ainsi la nature-sans-finalité, la causalité-sans-but, le mécanisme matérialiste intégral. 

 Mais toutes ces affirmations sur le savant s’opèrent intégralement par l’esprit du malin génie de la nature en lui et qui lui fait dire ce qu’il veut à l’esprit du savant, esprit qui n’appartient pas au savant. Et en aucun cas le savant peut se prévaloir de son esprit, que même s’il l’invoque, cet esprit reste comme une essence attachée à son être. Et on comprend pourquoi les expériences qu’il réalise lui apparaissent comme si elles étaient naturelles, comme s’il n’était jamais intervenu. Et si on prend les faits scientifiques comme ils se sont déroulés, prenons un exemple parlant « Louis Pasteur, en 1885, découvre le vaccin contre la rage  ». Pasteur n’existant plus, le vaccin contre la rage transmise par les chiens s’est institutionnalisé dans le monde entier ; ce progrès majeur en médecine fait partie de la marche du monde. Et il relève de l’esprit du savant, qui lui-même relève de l’Esprit dans la Nature du monde.

Dès lors, on peut dire que la causalité présuppose d’avance un enchaînement événementiel depuis un point initial vers un point final, et l’enchainement est organisé naturellement en vue d’un but. Par conséquent, le hasard, la causalité et la finalité sont liés et relèvent de l’activité créatrice et organisatrice du monde où les progrès humains sont inscrits dans la nature humaine elle-même inscrite dans la Nature du monde.

Le savant peut croire vider la nature de toute finalité en assumant la finalité ; en fait toute son activité créatrice et organisatrice est le produit de l’activité de son esprit ; et celui-ci relève, sans que le savant le sache, de l’Esprit du monde. Et c’est là le formidable atout octroyé au savant dans son esprit créatif qui lui fait découvrir des progrès révolutionnaires qui changent la marche du monde. Et la finalité de la marche du monde est là, elle est voulue par une Finalité qui transcende les humains.
 

Medjdoub Hamed
Chercheur

 


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