Le pouvoir rend-il fou ? Et comment s’en protéger : plaidoyer pour une démocratie citoyenne
par cleroterion
mardi 22 avril 2025
Le pouvoir, c'est génial ! (enfin, pas pour tout le monde)
Quelle jouissance ce doit être pour Nétanyahou - Poutine - Trump, d'exercer leurs pouvoirs, sans crainte et sans limites, d'avoir le droit de vie ou de mort, d'emprisonner, de décider d'un claquement de doigt ; ou pour d'autre, d'envoyer la police tabasser les « sans dents », « les gens qui ne sont rien ».
Le pouvoir fascine autant qu’il inquiète. Il offre à ceux qui le détiennent des privilèges, des moyens et une capacité d’influence presque sans limite, il déshumanise, il place les dirigeants dans une bulle (sécurité, adulation, isolement), favorisant une perception déformée des réalités, au point que l’histoire et l’actualité regorgent de figures déconnectées, autoritaires et parfois destructrices.
La question de savoir si le pouvoir « rend fou » certains dirigeants est un sujet complexe qui mêle psychologie, histoire et science politique.
1. Exemples historiques et observations
Plusieurs figures historiques ont montré des comportements irrationnels, mégalomanes ou destructeurs une fois au pouvoir. Par exemple :
- Caligula ou Néron, dont les excès sont souvent cités comme des symptômes de déconnexion de la réalité.
- Des dictateurs modernes (Staline, Amin Dada, Kim Jong-il) dont le pouvoir absolu a coïncidé avec des décisions paranoïaques ou violentes.
Ces cas montrent que le pouvoir, surtout sans contre-pouvoirs, exacerbe les traits narcissiques ou autoritaires.
2. Théories psychologiques et sociologiques
- Le syndrome d'hubris : Décrit par des chercheurs comme David Owen (ancien médecin et politicien britannique), ce syndrome se manifeste par de l’arrogance, un mépris des conseils et une perte de contact avec la réalité chez certains dirigeants. Owen l’associe à l’exercice prolongé du pouvoir.
- L’expérience de Stanford (Philip Zimbardo), bien que controversée, suggère que le pouvoir extrême transforme les comportements, même chez des individus « normaux ».
- La corruption morale : la phrase de Lord Acton, « Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument », souligne un risque de dérive éthique lié à l’absence de limites.
- Personnalité prédictive : Des études indiquent que les traits de personnalité préexistants (narcissisme, psychopathie) jouent un rôle clé. Le pouvoir ne crée pas toujours ces traits, mais peut les amplifier.
Bien sûr, tous les dirigeants ne « deviennent pas fous » : des figures comme Charles de Gaulle, Nelson Mandela ou Angela Merkel ont montré qu’il est possible d’exercer le pouvoir avec intégrité.
Dire que le pouvoir « rend fou » est sans doute excessif, mais il est indéniable qu’il agit comme un catalyseur de traits préexistants (égo, paranoïa) et crée des distorsions cognitives ; il expose à des risques psychologiques et moraux qui, sans contrôle, peuvent mener à des dérives. La clé de la résistance citoyenne réside dans les garde-fous institutionnels (justice indépendante, élections libres, avec séparation des pouvoirs, médias libres), et les systèmes démocratiques limitent souvent les excès, contrairement aux régimes autocratiques.
Face à cela, comment structurer un système qui protège à la fois les citoyens et les dirigeants de cette ivresse du pouvoir ?
3. Les mécanismes de protection : l'exemple suisse
De tous les pays, la Suisse est sans doute celui où ses habitants sont les mieux protégés des abus de pouvoir de leurs dirigeants.
Le système exécutif suisse est unique au monde par son fonctionnement collégial et décentralisé, conçu pour éviter la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu. Voici les caractéristiques les plus intéressantes de son fonctionnement :
Le Conseil fédéral : un exécutif à 7 têtes
- L’exécutif suisse est incarné par le Conseil fédéral, composé de 7 membres appelés conseillers fédéraux.
- Ces membres sont issus des principaux partis politiques, selon une répartition proportionnelle qui peut être ajustée en fonction des élections.
- Les conseillers fédéraux sont élus par l’Assemblée fédérale (Parlement) pour un mandat de 4 ans, renouvelable indéfiniment.
- Aucun membre ne peut être destitué par le Parlement, ce qui garantit une stabilité institutionnelle.
Le principe de collégialité
- Toutes les décisions importantes sont prises en commun par les 7 conseillers fédéraux, lors de réunions hebdomadaires.
- Une fois une décision adoptée à la majorité, chaque membre doit la défendre publiquement, même s’il a voté contre (principe de solidarité).
- Pas de chef unique :
- Il n’y a pas de « chef de l’État » ou de Premier ministre.
- La présidence de la Confédération est assurée à tour de rôle par un des conseillers fédéraux pour 1 an, mais ce rôle est essentiellement protocolaire (pas de pouvoir supplémentaire).
Il y a de nombreux avantages à ce système. Le pouvoir est dilué entre 7 personnes, les décisions sont le fruit de compromis, et il n'y a aucun risque de crise politique liée à un chef contesté.
La démocratie suisse n'est pas parfaite à mes yeux dans la mesure où les conventions citoyennes seraient plus appropriées que les votations (ou référendum d'origine citoyenne) pour donner le pouvoir au peuple.
4. Vers une démocratie repensée : les conventions citoyennes
Si il y avait un débat Le Pen – Macron – Glucksmann – Mélenchon, chacun affirmerait représenter l'intérêt général et accuseraient les trois autres de ne pas le représenter. Cherchez l'erreur !
Les élections, à cause du pouvoir excessif qu'elles confèrent aux élus, sont un piège, puisqu'elles nous obligent à faire un choix qui n'est pas conforme à l'intérêt général (qui est un intérêt à long terme) ; les partis et les élus étant par nature, davantage tourné vers des intérêts particuliers et leurs propres intérêts (qui sont des intérêts à court terme).
C'est tout à fait respectable et même nécessaire à la vie démocratique d'avoir un engagement politique, mais il faut avoir la sagesse de reconnaître que notre engagement ne peut en aucun cas représenter l'intérêt général. Si demain, j'étais tiré au sort pour participer à une convention citoyenne, j'aurais à mes côtés des gens qui n'ont pas les mêmes intérêts immédiats, mais qui sauront les mettre de côté au nom de la collectivité.
Les élections et même les référendums, présentent souvent un caractère clivant pour la cohésion nationale ; elles fragilisent notre société, nourrissent les passions extrémistes chez les électeurs, excitent l'ambition et la cupidité chez les élus.
Les conventions citoyennes ont des valeurs contraires, elles rassemblent, apaisent les tensions, œuvrent pour le bien commun. Intégrer durablement les conventions citoyennes dans le système politique en diminuant le pouvoir des élus, pourrait réconcilier démocratie représentative et participative, tout en améliorant la qualité des décisions publiques. Cela demanderait une réforme institutionnelle ambitieuse, mais les bénéfices en termes de confiance et d’efficacité pourraient être considérables.
Réviser la constitution, avec un pouvoir exécutif proche du modèle suisse, et placer les conventions citoyennes au cœur du système politique, représenterait une transformation profonde de la démocratie, avec des avantages pour les élus, pour les citoyens et le pays dans son ensemble. Voici une analyse des bénéfices potentiels :
Pour les citoyens
- Meilleure représentation : Le tirage au sort est égalitaire, les citoyens ordinaires auraient une voix directe dans les décisions politiques, réduisant le sentiment d’exclusion.
- Renforcement de la légitimité démocratique : Les décisions prises par des assemblées représentatives de la diversité sociale seraient perçues comme plus légitimes.
- Éducation civique et autonomisation : Participer à des conventions permettrait aux citoyens de mieux comprendre les enjeux complexes, d'acquérir une maturité politique et de s’engager davantage.
- Réduction de la défiance envers les institutions : Le tirage au sort rend les citoyens politiquement égaux (isonomie), on limiterait l’idée que « la politique est une affaire de professionnels ».
Pour les élus
- Décisions mieux acceptées : Les lois issues de conventions citoyennes seraient moins contestées, car élaborées avec la société civile.
- Allègement de la pression : Les élus pourraient s’appuyer sur des propositions travaillées par des citoyens, évitant d’être les seuls responsables des choix impopulaires.
- Innovation politique : Les conventions pourraient faire émerger des idées nouvelles, hors des cadres partisans traditionnels.
- Meilleure connexion avec le terrain : Les élus bénéficieraient d’un retour direct des préoccupations citoyennes.
Pour le pays
- Décisions plus adaptées aux besoins réels : Les politiques publiques seraient mieux calibrées, car issues de délibérations incluant des citoyens « ordinaires ».
- Stabilité sociale : Une démocratie plus participative réduirait les crises de légitimité (comme les mouvements type Gilets jaunes). Les sujets de société clivants pour notre société, pourraient être abordés beaucoup plus sereinement. Il n'y aurait pas de tabou.
- Modernisation des institutions : Cela renforcerait l’image du pays comme laboratoire démocratique, inspirant d’autres nations.
- Réduction des clivages politiques : Les conventions pourraient favoriser le consensus sur des sujets clivants (climat, justice sociale…).
Pour l'Europe
L'UE se doit d'évoluer vers plus de démocratie participative pour être plus forte politiquement, économiquement, socialement et - rêvons un peu – être indépendante des marchés financiers, en sortant de Maastricht, mais sans quitter l'UE. Une UE perçue comme démocratiquement robuste serait plus crédible face à la Chine ou aux États-Unis (démocratie en crise). L'Europe a besoin de projets visibles et collectifs. Elle ne peut y parvenir sans d'importantes réformes structurelles.
Exemples concrets
- La Convention citoyenne pour le climat en France (2019-2020) a montré que des citoyens non-experts peuvent formuler des propositions ambitieuses (comme la rénovation énergétique ou la taxation des pollueurs).
- En Irlande, des assemblées citoyennes ont permis des avancées sur le mariage gay et l’avortement.
Risques à maîtriser
Il y a un certain nombre de critiques récurrentes concernant les conventions citoyennes, et notamment le fait que les personnes tirées au sort seraient sous l'influence des experts/lobbies, et que l'indépendance des conventions n'est pas garantie. Les militants de droites craignent que les militants de gauche viennent noyauter la convention et vice versa.
- Pour garantir l’indépendance des conventions, il faut une procédure d'organisation rigoureuse qui garanti la légitimité. On peut aussi organiser plusieurs conventions indépendantes selon la complexité du sujet. Enfin, il faut des institutions démocratiques suffisamment souples qui permettent de revenir en arrière si on constate que l'on s'est trompé.
- Temps et coût : le temps et les coûts nécessaires doivent être assumés comme un investissement démocratique.
5. Proposition institutionnelle concrète
Voici une proposition concrète de schéma institutionnel qui montre comment pourrait fonctionner une démocratie dont la constitution nous protègerait des abus de pouvoir.
Voici quelques commentaires :
- Constitution
- Seul le peuple a le pouvoir de l'écrire et de la modifier au moyen de Conventions Constituantes Citoyennes.
- Toute modification doit être approuvée par référendum. - Assemblée et convention citoyennes
- Les conventions citoyennes sur des thèmes prédéfinis sont obligatoires ; elles ont lieu une fois par an, et ne dépendent pas du bon vouloir du pouvoir exécutif.
- Les avis émis par ces conventions doivent être contraignants pour l’Assemblée nationale, sauf en cas de désaccord argumenté et justifié publiquement.
- Permettre, en cas de désaccord persistant entre l’Assemblée et la convention, de recourir à un référendum afin que les citoyens puissent trancher entre les deux propositions. Le but étant d'y avoir recours le moins souvent possible. - Assemblée Nationale
- Élit / révoque le premier ministre, le garde des sceaux et les présidents des organismes de contrôle.
- Reçoit les propositions de loi issues des conventions
- Propose des amendements (navette avec la convention citoyenne), écrit la loi et la soumet au vote de la convention citoyenne. - Chambre d'évaluation des lois
- Toute loi est susceptible de faire l'objet d'une évaluation pour juger de son efficacité et de son applicabilité.
- La Chambre d'évaluation reçoit les propositions de loi du 1er ministre et du garde des sceaux.
- Elle transmet ses rapports à l'Assemblée Citoyenne pour proposer : soit une nouvelle loi, soit la révision ou l'abrogation d'une ancienne loi.
- Elle doit être un lieu de remontée de l'expression populaire où le droit à la parole doit pouvoir s'exercer pleinement.
- 1/3 des membres sont élus par les « grands électeurs »
- 1/3 des membres sont nommés (équivalent nomination au CESE)
- 1/3 des membres sont tirés au sort. - Pouvoir judiciaire
Un garde des sceaux qui n'est pas nommé par le pouvoir exécutif. - Pouvoir exécutif
- Le pouvoir exécutif serait exercé collectivement par un Conseil Présidentiel de 7 membres représentatifs des institutions, par exemple :
- 3 issus de l’Assemblée Nationale,
- 1 représentant des maires,
- 1 ancien membre du Conseil Constitutionnel,
- 1 membre de la Chambre d’Évaluation des Lois,
- Une personnalité choisie par l’Assemblée Citoyenne
- Un premier ministre chef du pouvoir exécutif et réglementaire. Il passe par la Chambre d'Évaluation des Lois pour présenter un projet de loi.
- Conseil Constitutionnel
- Il est tiré au sort parmi un corps de magistrats éligibles à cette fonction.
6. Conclusion
Comme le dit Étienne Chouard, « Ce ne sont pas à ceux qui sont au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir. » Une démocratie résiliente repose sur des institutions conçues pour limiter les excès et inclure les citoyens dans les décisions. Un pouvoir exécutif inspiré du modèle Suisse et des conventions citoyennes pourraient ouvrir la voie à un système qui nous protégerait des abus de pouvoir.
C'est à nous, citoyens, de réécrire les règles du jeu démocratique, d'exercer notre vigilance, de ne plus laisser les élus écrire la constitution pour eux-mêmes et pour les oligarques qu'ils représentent.
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