Salon du Livre de Paris : sous les dorures, le contrôle. Et pourtant… une éclaircie
par Léa Renoir
mardi 15 avril 2025
Vous me connaissez, je vais être directe. J’aime les mots, j’aime la littérature — sans doute trop. Beaucoup trop. Mon cœur s’emballe avec les mots des auteurs depuis tant d’années… Alors, j’ai voulu aller au Salon. Vous savez, le fameux, l’historique Salon des Livres de Paris, désormais appelé Festival du Livre de Paris.
J’y suis allée. Et j’ai vu. Et j’ai eu besoin d’écrire.
Le Grand Palais brillait de mille feux. Un temple éphémère du livre, sous une verrière impeccable, où tout semble à sa place. Trop à sa place. Car derrière les stands élégants et les vitrines soignées, un malaise profond suinte entre les allées. Le livre est là, mais où sont les idées ? L’écriture est là, mais où est la liberté ?
Ce Salon du Livre 2025 n’a pas dérogé à la règle : une vitrine policée, des auteurs calibrés, des maisons d’édition géantes, souvent détenues par les mêmes groupes. Et surtout, le silence pesant sur la question du pouvoir dans l’édition.
Bolloré, l’ombre portée sur les mots
Le samedi 12 avril, des manifestants ont brisé ce silence, dénonçant la mainmise grandissante de Bolloré sur le monde du livre. Une captation du langage, une standardisation rampante. De Gallimard à Plon, d’Hachette à Julliard, tout semble devoir répondre aux logiques d’un empire médiatique qui n’a que faire de la pensée critique.
Les mots ne devraient appartenir à personne. Et pourtant, ils sont désormais soumis à la loi du marché, du buzz, et du contrôle idéologique. Ce que nous lisons, ce que nous pensons, est peu à peu façonné par des actionnaires. C’est l’indépendance qui vacille. Et avec elle, la littérature.
Bolloré, l’ombre portée sur les mots
Le samedi 12 avril, des manifestants ont brisé ce silence, dénonçant la mainmise grandissante de Bolloré sur le monde du livre. Une captation du langage, une standardisation rampante. De Gallimard à Plon, d’Hachette à Julliard, tout semble devoir répondre aux logiques d’un empire médiatique qui n’a que faire de la pensée critique.
Les mots ne devraient appartenir à personne. Et pourtant, ils sont désormais soumis à la loi du marché, du buzz, et du contrôle idéologique. Ce que nous lisons, ce que nous pensons, est peu à peu façonné par des actionnaires. C’est l’indépendance qui vacille. Et avec elle, la littérature.
Et puis, le 11 avril : une brèche dans le verre
Et pourtant, le 11 avril au matin, une bulle d’oxygène a surgi. Une déchirure dans la surface lisse de l'événement. Une rencontre rare, orchestrée notamment par La Route de la Soie – Éditions, maison indépendante dirigée par Sonia Bressler, une femme de l’ombre qui œuvre avec rigueur et passion pour l’avenir des idées et la dignité des mots.
Elle n’aimerait pas savoir que mon article parle d’elle. Je le sais. Je la connais. Elle a osé publier un de mes textes. Et oui.
Mais revenons à ce qui a fendu le verre de la coupole du Grand Palais.
Six auteurs. Trois Chinois. Trois Français. Pas un discours publicitaire. Pas un slogan. Mais des voix. Des vraies. Des incarnées. Des risquées.
Alexandre Arditti et Mai Jia : le code et la faille humaine
Alexandre Arditti, d’abord. Une écriture fine, dense, pudique. Un roman est, chez lui, un acte d’introspection lucide, une critique implacable de notre époque. Avec L'Assassinat de Mark Zuckerberg, il nous offre une plongée vertigineuse au cœur d’une intrigue policière haletante. Ce roman, tissant habilement suspense et critique sociale, explore ce que le pouvoir numérique fait à nos libertés, à nos identités.
Face à lui, Mai Jia, ancien agent du renseignement, auteur de Dans l’enfer des codes. Il écrit comme on opère à cœur ouvert. La cryptographie n’est pas un décor, c’est une métaphore. Il tente de décoder le monde, mais surtout nos propres contradictions, nos silences, notre incapacité à dire l’essentiel. Ce qu’on tait. Ce qu’on tait à soi-même.
Frédéric Vissense et Liu Zhenyun : satire algorithmique et ironie sociale
Frédéric Vissense, dans Bioutifoul Kompany, décrit une entreprise en pleine dérive, une machine capable de sonder les âmes. Chaque décision managériale devient une quête absurde vers l'efficacité totale. Dans ce récit à la frontière de la dystopie et de la satire sociale, la machine devient un personnage, un miroir cruel de nos sociétés obsédées par la performance.
En vis-à-vis, Liu Zhenyun. Lui aussi explore l’absurde, mais depuis le terrain de la réalité sociale. Avec son écriture sobre, son humour sec, son sens du rythme, il incarne la littérature de l’attention aux détails, à ces fragments de vie ignorés. Il observe les bruits du monde — ceux qu’on n’écoute jamais — et les restitue avec une précision implacable. C’est une ironie douce, mais qui ronge les murailles du pouvoir.
Sébastien Quagebeur et Zhao Lihong : poésie en miroir, résistance en douceur
Et puis Sébastien Quagebeur, poète, romancier, arpenteur des marges. Il a lancé cette phrase comme une vérité nue :« La poésie est la langue première. »
Pas un genre. Pas un style. Une origine. Une manière d’habiter le monde avant que le pouvoir ne filtre, ne censure, ne formate.
Face à lui, Zhao Lihong, immense poète chinois, également publié par La Route de la Soie – Éditions. Métamorphose(s), Cheminements : l’écho des poètes : deux livres comme des offrandes. Zhao observe le monde comme on écoute une musique rare, avec douceur, lucidité, et une attention presque sacrée. Chez lui, la langue est beauté, respiration, lumière. Il ne crie pas. Il éclaire.
Une maison d’édition, un geste d’avenir
Ce matin-là, dans ce cube de verre glacé, la chaleur des mots vrais a dégelé les postures. On ne débattait pas, on partageait. On ne promouvait pas, on pensait. On ne vendait pas, on transmettait.
Dans un monde éditorial qui se contracte, se vend, se tait, La Route de la Soie – Éditions trace une ligne droite et vivante. Elle ne publie pas pour plaire. Elle publie pour dire. Elle construit des passerelles entre la France et la Chine, mais pas des passerelles diplomatiques : des ponts sensibles, humains, critiques.
Sonia Bressler, ancienne reporter, philosophe, éditrice engagée, ne fait pas de bruit. Mais elle bâtit. Elle relie. Elle croit en une autre manière de faire exister le livre, loin des algorithmes et des stratégies. Elle croit que l’édition est une pratique de résistance intellectuelle, un geste politique au sens le plus noble.
Ce 11 avril, quelque chose a vibré. Une alchimie. Une dignité retrouvée.
Et si c’était cela, l’avenir du livre ?
Non pas l’événement marketing. Mais le moment de pensée partagée, de parole rare, de littérature libre.
Alors oui, Bolloré peut racheter les murs.
Mais tant qu’il restera des éditrices comme Sonia Bressler, des auteurs qui écrivent avec les nerfs et le cœur, des lecteurs qui cherchent autre chose que du prêt-à-penser,
le livre résistera.
Il vivra.
Il éclairera.
Et il dérangera. Comme il se doit.