Société : la distribution des invendus alimentaires
par Desmaretz Gérard
jeudi 24 avril 2025
Quatre salariés de « Starbucks » et « Prêt-à-Manger » de la zone aéroportuaire de Marseille-Provence ont été licenciés au mois de mars 2025 pour avoir donné des sandwiches invendus à des nécessiteux et à des agents de sûreté. L’un des salariés, son service terminé, récupérait des produits alimentaires destinés à être détruits pour les distribuer gracieusement à des nécessiteux : « Je commençais par les SDF, on les connaît tous. Il y en a qui sont là depuis plus de 20 ans. (...) La distribution des invendus s’étendait ensuite aux femmes de ménage et aux agents de sécurité ». Le bon Samaritain (parabole) de déclarer sur France 3 : « Ma direction était au courant, le directeur opérationnel de l’aéroport aussi. Il y avait une surproduction, mon supérieur me disait que c’était bien comme ça, de continuer. Sinon, il était obligé de sortir de l’enceinte de l’aéroport pour jeter dans des poubelles spéciales, ça a un coût ». Le DRH du groupe de faire remarquer : « aucun salarié n’a le droit de partir avec de la marchandise destinée à être jetée. Celle-ci doit être jetée dans les containers à poubelle prévus à cet effet, sauf décision contractuelle dans les accords des franchises ». Comment une action louable est-elle devenue un motif de licenciement pour faute grave sans indemnité de licenciement après trente années d'ancienneté...
Le « Guide des bonnes pratiques d’hygiène relatif au don de denrées alimentaires des associations » recommande de refuser systématiquement : « pâtisseries réfrigérées à base de crème pâtissière, crème chantilly ou fourrées après cuisson (éclairs, religieuses), crustacés et coquillages (sauf moules crues en bacs thermoscellés), produits de poissonnerie réfrigérés, viandes, fromages, produits traiteurs, charcuterie, aliments à la coupe non pré-emballés ; les plats cuisinés vendus chauds (paella, couscous) sauf les poulets rôtis pré-emballés et refroidis (+4 °C), les steaks hachés (bovins, volailles, ovins) crus réfrigérés, préemballés ou non ; les abats crus réfrigérés préemballés ou non (foie, rognons, cervelle, langue...), farces et produits farcis crus réfrigérés préemballés ou non, produits réfrigérés à base de poissons ou de viandes crus destinés à être consommés crus (sushi, carpaccio, etc.), boissons alcooliques supérieures à 1,2°, produits réfrigérés détériorés, abîmés, présentant un aspect anormal car ils présentent trop de risques à la consommation ». Tout aliment à la Date Limite de Consommation dépassée est déclaré inconsommable et doit être détruit.
Un produit périmé en rayon peut coûter 600 euros d'amende ; légumes et fruits représentent la plus grande partie des invendus avec 1 à 3 % du chiffre d'affaires, et les coûts liés à ceux-ci dépassent les 120 euros/ tonne. Certains magasins préfèrent donc démarquer la marchandise (- 30 %) avant de la jeter, voire de la placer dans un local clos car si le « glaneur » tombe malade la responsabilité du magasin peut être engagée. Il est interdit de rendre les invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation : brûlage, destruction, contamination par produits chimiques. L'amende peut atteindre 0,1 % du chiffre d'affaires, hors taxes, du dernier exercice comptable et être assortie d'une peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la décision prononcée.
La loi Garot (2016) contre le gaspillage alimentaire oblige les commerces alimentaires dont la surface de vente est supérieure à 400 m² (ceux-ci représentent environ 20.000 points de vente), les industriels de l'agroalimentaire, la restauration collective (publique et privée) dont le nombre de repas préparés est supérieur à 3 000 repas / jour, les grossistes alimentaires produisant des denrées pouvant être livrées en vrac à un commerce de détail ou dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 50 millions d'euros à mettre en place une convention de partenariat avec des associations habilitées d’aide alimentaire pour le don de denrées consommables invendues. Cette convention doit être signée au plus tard 1 an à compter du début de l'activité ou de la date à laquelle elle atteint les seuils la soumettant à l'obligation de don de denrées alimentaires. Le commerçant soumis à l'obligation de don qui n'a pas conclu de convention ou qui fait un don sans en avoir établi une encoure une contravention de 200 € (personnes physiques) ou 1 000 € (personnes morales).
Les denrées alimentaires ne peuvent être données à une association qu'après vérification de leur conformité à la législation sur la consommation : étiquetage, règles d'hygiène, chaîne du froid. Les dons sont fiscalement déductibles (article 238 bis du Code général des impôts) : « les supermarchés peuvent bénéficier d'une défiscalisation de 60 % de la valeur des produits donnés dans la limite de 20.000 euros par an ou de 0,5 % du chiffre d’affaires ». La déclaration à l’administration fiscale doit mentionner : le montant et les dates de ces dons, l’identité des bénéficiaires (nom de l’association, adresse, numéro RNA, numéro SIREN), et la valeur des biens et services reçus en contrepartie. Les dons en nature sont imposables...
Les employés ou bénévoles des associations doivent s'assurer de la Date Limite de Consommation ; « À consommer avant le… ». Les denrées dont la DLC est inférieure ou égale à 48 heures peuvent être données à condition que l'association soit en mesure de respecter la chaîne du froid et en mesure de les distribuer avant leur DLC. Les denrées périssables et les préparations culinaires doivent être préemballées, étiquetées et renseigner : numéro de lot, DLC, présence d'allergènes. Les aliments entamés, exposés (« buffet ») ou les restes d’assiettées ne peuvent être donnés. Si la Date de Durabilité Minimale (« à consommer de préférence avant… ») est dépassée, la denrée risque de voir ses qualités (goût, texture, couleur) altérées. Les œufs doivent être livrés au consommateur final dans un délai n'excédant pas 21 jours après la ponte, soit 7 jours avant la DDM (28 jours). Les denrées avec une Date Limite d’Utilisation Optimale (le beurre par exemple) peuvent être donné après dépassement de la DLUO.
Les denrées à l'emballage déchiré, à l'odeur anormale, décolorées, moisies et boîtes de conserve bombées ou non étanches doivent être refusées. Un bon de retrait doit être établi à chaque don ; « Il n'appartient pas à l'association de s'engager ou de valider la valeur du don ». Dès que l'association bénéficiaire prend les denrées en charge, celles-ci passent sous sa responsabilité et le demeurent jusqu’à leur remise aux associations ou distribution aux personnes.
Le plan de gestion de la qualité du don de denrées alimentaires (avril 2019) stipule : la mise en place d'un plan de sensibilisation de l’ensemble du personnel à la lutte contre le gaspillage alimentaire - un plan de formation au don des denrées alimentaires - la désignation d'un responsable en charge de la coordination et du respect de ce plan - fixer les conditions d'organisation du don des denrées alimentaires - d'enregistrer les défauts signalés par l'association destinataire du don - le suivi des actions correctives engagées - de communiquer à l'association le plan de gestion de la qualité du don et les résultats des contrôles. Ces documents doivent être transmis à l'autorité administrative sur leur demande.
Le magasin et l'association partenaire se doivent de conserver les informations relatives à la traçabilité des denrées : établissement donateur, numéro de lot de fabrication, signature avec la date de la prise en charge du don, nom et adresse de l'association pour prévenir une alerte sanitaire ou un rappel de produit. En cas d’alerte, l’entreprise donatrice se doit d'avertir l’association bénéficiaire (téléphone, e-mail, fax, courrier) qui se chargera de relayer la procédure d’alerte. Ce document permet également au magasin d'authentifier fiscalement les dons.
Le don serait-il une variable d'ajustement comptable qui permettrait aux magasins de « lisser » la somme des dons fiscalement déductibles ? Dans un article du 27 février 2024, « 20 Minutes » s’interrogeait sur le délit de fraude fiscale rencontré dans la grande distribution. « Si on sort la machine à chiffres, les comptes font mal. Ces 38.000 tonnes auront demandé 11 millions d’heures de bénévolat inutiles pour trier ou jeter et coûté 74 millions d’euros aux associations. Pour l’État, le manque à gagner est évalué à 65 millions d’euros après les déductions fiscales ».
Le magasin d'une grande enseigne a donné quotidiennement les invendus alimentaires à la DLC dépassée de plusieurs jours..., des aliments et produits animaliers sans bon de retrait... et sans se soucier de la chaîne vertueuse : transformation, valorisation destinée à l'alimentation animale, utilisation pour faire du compost, valorisation énergétique (biogaz). L'association bénéficiaire d'offrir un festin aux pigeons et aux rats avec la dépose sur le trottoir d'environ d'un mètre cube de pain rassi... Art 99.2 du Code rural « Il est interdit d'y jeter, déposer ou abandonner des pelures, épluchures et résidus de fruits et légumes, et, d'une façon générale, tous débris ou détritus d'origine animale ou végétale susceptibles de souiller la voie publique ou de provoquer des chutes. Cette interdiction s'étend aux graines, miettes de pain ou de nourriture quelconque tant sur la voie publique que sur les fenêtres, balcons, et parties extérieures des immeubles riverains ».
En cas de contrôle de la Direction Départementale de la Protection de la Population (anciennement Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) ou de la police sanitaire des aliments (ministère de l’Agriculture), l'entité irrespectueuse de ses obligations peut être sanctionnée. Le commerçant ou l'association dispose de 10 jours pour présenter ses remarques, ce délai de mise en demeure écoulé, il encourt une astreinte journalière de 1 500 € et d'une amende de 15 000 € (personne physique) ou 75 000 € (personne morale).
Si la plupart des supermarchés « jouent le jeu », d'autres sont loin d'être un exemple de probité avec des associations complices préférant fermer les yeux de crainte de perdre leur convention et leurs subventions, les employés leur poste... « Quand il n’y a pas de sanction, on ouvre la porte à la fraude » (Guillaume Garot). Des associations exercent des activités commerciales parallèles (article 206 du Code Général des Impôts) sans même prendre la précaution de lire l'instruction 4 H-5-06 de la DGI... La responsable d'une association qui revendait des denrées alimentaires a été placée en garde à vue par les agents du Service d'Enquêtes Judiciaires des Finances, déférée devant le Parquet puis placée sous contrôle judiciaire et renvoyée devant le tribunal correctionnel pour « abus de confiance - travail dissimulé - infractions à l'hygiène de denrées alimentaires ».
Les autorités et les directeurs ou directrices de certaines associations sont-ils atteints de cécité ? Si « chacun tend à occuper un poste jusqu'à son niveau d'incompétence » (principe de Peter), pour certain(e)s il est rapidement atteint, voire dépassé. Aux trois domaines : savoir, savoir-faire et savoir-être il convient d'y ajouter le faire-savoir. Où commence et où s'arrête la bienveillance complice de ces nouveaux marchands du Temple ? Une correction, une précision, une remarque ?
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