Pedro Sanchez réélu à la tête du gouvernement espagnol au prix fort

par Sylvain Rakotoarison
lundi 20 novembre 2023

Le socialiste espagnol a été investi après avoir promis une amnistie pour les putschistes catalans.

Le coup de poker du Président du gouvernement espagnol sortant a donc réussi. Après la défaite de son parti, le PSOE (socialiste), aux élections municipales et régionales du 28 mai 2023, Pedro Sanchez a pris la décision de dissoudre les Cortes Generales (le Parlement espagnol à deux chambres) le lendemain pour organiser des élections générales anticipées qui ont eu lieu le 23 juillet 2023.

Contrairement aux sondages, le PSOE a tenu le choc électoral et même s'il a perdu des plumes, se rangeant en deuxième position derrière le PP (parti populaire, centre droit), il a bénéficié d'une réserve avec des alliés à gauche.

Rappelons la répartition du nouveau Congrès des députés (Chambre basse) issu des élections du 23 juillet 2023 : le PP a obtenu 137 sièges sur 350 avec 33,1% des voix (soit 49 sièges supplémentaires), le PSOE 121 sièges (1 de plus) avec 31,7% des voix, Vox (extrême droite) reste le troisième parti d'Espagne avec 33 sièges (19 de moins) pour 12,4% des voix, puis Sumar (coalition d'extrême gauche) 31 sièges (8 de moins) avec 12,3%. Les autres partis représentés sont régionalistes voire indépendantistes, et c'est là le problème national.

Dans un premier temps, le 22 août 2023, le roi Felipe VI a proposé Alberto Nunez Feijoo, le leader du PP, premier parti représenté, pour former le nouveau gouvernement. Mais ce fut un échec. Même avec une alliance avec Vox, le PP n'obtiendrait que 170 voix, insuffisant pour obtenir la majorité absolue (176), ou, du moins, pour éviter d'avoir une majorité absolu contre lui, car tous les autres partis se sont ligués pour empêcher l'arrivée au pouvoir de Vox. Effectivement, le 27 septembre 2023, Alberto Nunez Feijoo a raté son vote de confiance : seulement 172 pour et 178 voix contre. Au second tour (seule la majorité relative est suffisante), le 29 septembre 2023, 172 voix pour et 177 voix contre. Échec et mat.



Après cet défaite cinglante, Felipe VI a proposé de reconduire Pedro Sanchez qui avait déjà annoncé qu'il était candidat dès le 31 juillet 2023 car il se prévalait d'une alliance à gauche. Il a alors entamé les négociations avec la communiste Yolanda Diaz, la leader de Sumar, coalition d'extrême gauche (intégrant notamment Podemos et les communistes de Izquierda Unida), et Ministre du Travail sortante (ainsi que Vice-Présidente du gouvernement sortante). Un accord de gouvernement fut conclu le 24 octobre 2023 avec entre autres cette mesure phare, la réduction du temps de travail de 40 heures à 37 heures et demi par semaine.

Cet accord de gouvernement a été ratifié ensuite par les militants des différentes formations (près d'une vingtaine), notamment au PSOE le 4 novembre 2023 (par 87,1%), à Izquierda Unita le 6 novembre 2023 (par 85,1%) et à Podemos le 14 novembre 2023 (par 86,1%).

Toutefois, l'alliance entre le PSOE et Sumar ne suffit pas à atteindre la majorité absolue. Ils ne disposent que de 155 sièges. Il faut donc trouver au moins 21 sièges supplémentaires pour avoir la majorité absolue, et au moins 18 sièges avec 3 abstentions pour la majorité relative, si on se fie au scrutin parlementaire du 29 septembre 2023. Ce sont les députés régionalistes qui ont fait la différence. Les Basques ont 11 sièges répartis dans deux partis, tandis que les Catalans ont 14 sièges répartis en deux partis aussi dont 7 pour Junts, les indépendantistes de Carles Puigdemont. Avec ces deux ensembles régionaux, Pedro Sanchez pouvait se reposer sur 25 sièges supplémentaires.


Les négociations avec les régionalistes ont commencé le 10 octobre 2023. Le PP a fortement condamné les discussions avec la gauche indépendantiste basque anciennement liée à ETA ainsi qu'aux indépendantistes de Junts, auteurs d'un coup d'État en proclamant l'indépendance de la Catalogne en 2017. Pedro Sanchez a annoncé le 28 octobre 2023 qu'il était favorable à une loi d'amnistie pour les responsables du référendum illégal du 1er octobre 2017 (90,2% de oui mais avec seulement 43,0% de participation : les partisans du maintien dans le royaume ont refusé de participer à cette mascarade). Le 9 novembre 2023, un accord a été signé entre le PSOE et Junts. Le dimanche 13 novembre 2023, la droite et l'extrême droite ont manifesté pour contester l'accord d'amnistie.

Le 3 novembre 2023, le PSOE a obtenu un accord avec le bloc nationaliste galicien (qui n'a qu'un député) avec un programme d'infrastructures ferroviaires et une consolidation de la justice spécialisée dans la violence faite aux femmes. Les nationalistes basques ont conclu un accord avec le PSOE le 10 novembre 2023 avec dans la dot de la mariée plus d'autonomie de gestion et le développement de la langue basque. Le 10 novembre 2023 également, l'unique députée nationaliste des Canaries a annoncé un accord d'investiture avec le PSOE.



Le 16 novembre 2023, le vote de l'investiture a eu lieu : Pedro Sanchez a obtenu la confiance de 179 députés contre 171 voix contre. C'est la première fois depuis 2011 qu'un Président du gouvernement a été investi avec la majorité absolue (176 voix) et pas la majorité relative. Le lendemain, le vendredi 17 novembre 2023, Pedro Sanchez a prêté serment au Palais de la Zarzuela devant le roi Felipe VI pour son troisième mandat de Président du gouvernement.

À la tête du gouvernement espagnol depuis le 2 juin 2018 (et président de l'Internationale socialiste depuis le 25 novembre 2022), Pedro Sanchez a réussi le tour de force de renverser le contexte défavorable à son parti, mais au prix fort. Pour lui, Madrid vaut bien de se moquer des institutions et de blanchir les putschistes qui ont pourtant mis en danger le peuple espagnol.

Il ne suffit pas seulement d'obtenir l'investiture, encore le nouveau gouvernement espagnol devra obtenir à chaque vote et en particulier pour le budget, l'aval de sa très compliquée et exigeante coalition. Pas sûr que cet attelage hétéroclite puisse tenir plusieurs années. Après le sprint des négociations d'investiture, Pedro Sanchez entame le marathon de son action gouvernementale. L'Union Européenne est soulagée puisque l'Espagne, qui présidait le Conseil de l'Union, retrouve enfin sa stabilité politique après quatre mois de rebondissements et d'incertitudes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pedro Sanchez réélu à la tête du gouvernement espagnol au prix fort.
Surprises espagnoles aux élections législatives du 23 juillet 2023.
Picasso et …nous !
Paco Rabanne.
Gérard Hernandez.
Pedro Sanchez en 2019.
Les élections législatives du 28 avril 2019 en Espagne.
Manuel Valls.
Salvador Dali.
Carles Puigdemont.
La Castalogne.
Attentats en Catalogne.
Franco.



 


Lire l'article complet, et les commentaires