La peur atavique

par C’est Nabum
lundi 21 octobre 2024

 

La Crue

 

En dépit des progrès techniques ou peut-être à cause d'eux, la montée des eaux inquiète et plus encore, laisse les humains face à un fléau que rien n'arrête. Rien en effet ne permet d'endiguer un flot furieux qui s'insinue partout, réduit à néant l'intérieur des demeures dans lequel il s'invite sans y être convié.

On s'interroge alors sur l'incapacité des pouvoirs publics ou l'irresponsabilité des bâtisseurs, la folie des aménagements en béton, l'artificialisation des rives, la canalisation des petits affluents, les caprices du temps et le dérèglement climatique. On peut s'étonner, déplorer, s'indigner ; rien n'y fait ; le courant emporte toutes nos certitudes.

La crue est d'abord un phénomène naturel avec lequel les humains ont eu rendez-vous à divers moments de leur histoire. Elle laisse alors des traits rouges associés à une date sur les murs de nos maisons, preuve s'il en est que c'est un événement marquant et qui pourtant n'a jamais empêcher les gens de renouveler de génération en génération les mêmes erreurs. La date s'inscrit alors dans l'Histoire, celle-ci avec une majuscule qui invite toujours à ne jamais tenir compte de ses enseignements.

C'est encore un rendez-vous aléatoire avec des conditions exceptionnelles. La convergence de différents facteurs météorologiques qui vient troubler le bel ordonnancement des choses. C'est alors que les braves gens se surprennent de découvrir qu'il y a quelque chose de plus fort, plus puissant, plus mystérieux qu'eux et qu'ils devraient le savoir pour la fois suivante. Hélas, mille fois hélas, les mémoires sont bien courtes.

Car c'est aussi un phénomène qui trouve des alliés dans la place. Promoteur véreux, aménageurs nourris de discours présomptueux, acheteurs imprudents ou simplement leurrés, administration défaillante, système économique prétendument plus puissant que la nature. Tout se conjugue pour mettre en place les conditions du drame avec une constance en dépit des alertes précédentes.

L'argent coule à flot pour certains et curieusement s'évapore dans des paradis factices tandis qu'il manque pour envisager la prévention, faciliter les aménagements de régulation, indemniser véritablement les pauvres victimes. Le ruissellement est une théorie stérile au niveau des finances tandis que la crue est une réalité tangible pour ceux qui en sont les victimes. Et les nouveaux maîtres du pouvoir envisagent toujours plus d'économie, de restriction pour amplifier les épisodes suivants.

Car les crues s'inscrivent dans un feuilleton qui n'a pas la régularité des séries sur nos écrans. Chaque épisode survient à l'improviste, frappe durement en quelques minutes parfois puis se fait oublier le temps de ne plus y penser. La fois suivante, on changera éventuellement les victimes, les naufragés, les déplacés pour redonner de la pitance et du drame aux journaux télévisées.

Les crues font couler beaucoup d'encre. Elles doivent s'amuser de ce curieux parallèle puis quand les articles ont séché, que l'eau s'est évaporée, elles retournent sagement dans un lit qui continuera insidieusement à ne pas être entretenu faute de moyens, de conviction, de cohérence administrative, de volonté politique.

Alors si jamais vous faites partie des malheureuses victimes, surtout ne recevez pas ces jocrisses qui viennent vous apporter leur soutien et celui de la nation. Ce sont les premiers responsables et si ce n'est eux, ce sont leurs paires, tous ces hauts dirigeants qui ne savent plus désormais qu'exploiter leur image durant une catastrophe avant que se retourner paisiblement, jouir d'une fonction qui semble désormais totalement impuissante à infléchir le cours des choses et des rivières. La seule crue qui vaille sera celle qui renversera ce système caduc.

 

La crue

 

 

La boue se recouvrait de moutons d'écume

Tandis que le vent soufflait par grandes risées

Des remous se creusaient défiant la brume

La Loire essorait un ciel liquéfié

 

Sur les flots, des remous formaient des spirales

Des langues d'eau s'insinuaient dans les terres

Donnant à tous les riverains le signal

De sa terrible intrusion délétère

 

La rivière prise d'une effrayante vitesse

Charriait des victimes et des décombres

Qui avaient cédé à sa course vengeresse

Ne paraissant plus désormais que des ombres

 

Toutes ces choses passaient à travers un songe

Qu'un courant furieux transformait en cauchemar

La pluie gonflait les cœurs telle une éponge

Noyant des destins en brisant leurs amarres

 

Les varennes devinrent fréquemment leur linceul

La clameur de la Loire comme dernière oraison

Pour toute bière un hangar ou un tilleul

En des adieux à quelques pas de leur maison

 

De sinistres épaves glissaient, ténébreuses

Faisant cortège à ceux qui n'en reviendront pas

Portant le deuil sous la couche boueuse

D'une colère d'un ciel qui sonne le glas

 

Parmi les rescapés au visage blême

Combien seront-ils à pouvoir lui pardonner

Crachant dans les eaux d'odieux anathèmes

Prix de ces existences qu'elles ont dérobées

 

Le temps passé n'effacera pas ce drame

Dans les cœurs ligériens la défiance

Fera place à la peur à la moindre alarme

Envers cette sinistre mésalliance

 

 

À la manière de Maurice Genevoix

 


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