Lieu-dit et non lieu-commun
par C’est Nabum
lundi 8 juillet 2024
L'air du temps …
Les toponymies des lieux-dits ont longtemps été les témoins d'une histoire ancrée les deux pieds dans le territoire. Ils permettaient même de pister une vieille croyance, un culte oublié ou bien approprié par le catholicisme. Ils étaient encore les témoins silencieux de récits qui ne demandaient qu'à être réactivés par des faiseurs d'histoire. Les lieux-dits étaient l'âme d'une nation par-delà le temps qui passe et l'oubli qui entend effacer ce qui ne correspond plus à l'air du temps.
Les lieux-dits résistaient jusqu'alors bien mieux que les noms de rues qui souvent devaient s'incliner par la volonté des importants de supprimer ce qui a leurs yeux évoque des époques révolues pour faire place aux grands hommes et plus rarement aux femmes célèbres. La rue du Poids du Roy devant baisser pavillon devant monsieur Thiers, le bourreau de la commune sans que quiconque n'en soit offusqué.
Mais voilà que des lieux-dits se trouvent soudainement en ligne de mire d'une actualité qui rappelle tragiquement que nos vieux démons ne meurent jamais. Alors, en guise de démarche pédagogique, il est préférable de les éliminer plutôt que de faire pédagogie utile sur un passé qui n’en finit pas de réveiller ses vieux démons. C'est en toute bonne conscience qu'ils sont ainsi retirés de la carte puisque l'effacement est préférable à l'explication.
C'est ainsi que dans le petit village de Courtemaux dans le Loiret le conseil municipal s'est vu confronté à un avis de tempête en 2014. Un lieu-dit sur la commune : « La mort aux juifs » a provoqué le courroux légitime du Centre Simon Wiesenthal, une ONG qui préserve la mémoire de l'Holocauste. Après une intervention du ministre de l'Intérieur l'endroit fut débaptisé.
Si la mesure peut se comprendre, elle fait fi me semble-t-il d'un rappel historique qui disparaît lui aussi des écrans radars. Pourquoi un tel nom ? Dans quel contexte fut-il donné ? Pourquoi est-il resté si longtemps en place ? L'histoire a besoin de trace et le retrait d'une pancarte bleue n'apporte rien à la compréhension d'un passé qui n'a pas toujours été glorieux.
Cette fois c'est la pancarte du lieu-dit « Le faux juif » qui disparaît subrepticement en une actualité brûlante sur le sujet. Situé entre Saint Denis de l'Hôtel et Châteauneuf-sur-Loire, ce patronyme fait vraisemblablement référence à un pan de l'histoire ligérienne. Il fut une époque lointaine où sur la Loire, les péages étaient légions.
Chaque péage précisait sur une pancarte la liste des denrées, marchandises et éléments transportés sujets à paiement d'une taxe. Dans cette vaste collection qui fournit bien des informations sur la navigation en ces époques, apparaît en trois endroits une mention glaçante quand on y songe. À Jargeau, Lutz et Biche et Sully-sur-Loire la pancarte faisait mention d'une redevance à verser pour le transport d'un juif mort ou vif.
C'est terrifiant certes tout autant que la marque indiscutable d'une situation passée qu'il convient de mettre en exergue pour se souvenir et tenter de repousser de telles extrémités. Ce lieu-dit situé entre ces péages devait faire référence à une tentative de fraude (si j'ose dire) ou d'usurpation d’identité. Le retrait de la pancarte c'est manière de gommer cette horreur, de la repousser dans le vide commode de nos mémoires. C'est encore un appel du pieds pour que reviennent à l'ordre du jour de telles idéologies.
L'effacement de la mémoire est une pratique propre aux systèmes qui entendent assujettir les citoyens à la tyrannie d'un présent fondé sur la peur et la conformité à l'idéologie dominante. Il se peut alors que beaucoup de lieux-dits passent sous la coupe d'un nouveau pouvoir qui fera table rase de bien des passés.