La banlieue n’existe pas ;-)

par Jean-Paul Chapon
mardi 12 avril 2005

La publication d’un dossier par Libération (toutes mes excuses à mon journal de référence ;-) me donne l’occasion de recoller avec le titre de ce blogue.

Bertrand Delanoë, le maire de Paris, va bientôt dévoiler le PDU, Plan de Déplacement Urbain, de Paris. Pas le PDU de tout Paris puisqu’il ne concernera que Paris intra-muros, soit juste la zone où habitent à peine plus de 2 millions de parisiens, mais pas celui du Paris extra-muros qu’habitent un peu plus de 4 millions de parisiens sans parler des « parisiens des champs  » de la grande couronne... Des banlieusards direz-vous ? Pourquoi des banlieusards et qu’est-ce que la banlieue ?


Plutôt que d’essayer de définir ce qu’est la banlieue, essayez de définir ses habitants. Et pour commencer souvenez-vous de tous les Parisiens que vous connaissez, mais qui n’habitent pas les 20 arrondissements. Il y a sûrement Pierre, Paul, Samuel, Huu ou Jacques, ou encore Catherine, Nadya ou Brigitte qui ont déménagé il n’y a pas si longtemps. Ils ont acheté cet appartement à Montrouge, ou cette petite maison à Colombes, ou ce loft à Bagnolet. Non tu te trompes, ils sont maintenant à Vincennes, et Gilles est à Charenton parce qu’il y a le métro. On est loin de l’image des cités véhiculée par les médias que l’on tend à généraliser à toute une métropole.

Bien, maintenant que vous avez identifié vos amis parisiens qui ont dû troquer la plaque 75 pour un numéro commençant par un 9, reprenez (au hasard ;-) une déclaration de Denis Baupin, adjoint au maire de Paris chargé des Transports, de la Circulation, du Stationnement et de la Voirie, et remplacez « banlieusard » par « parisien ». Vous pouvez pour plus de clarté ajouter « extra-muros » ou un numéro d’arrondissement au-delà du chiffre 20.

Ainsi la citation suivante, parue dans le Point (18-11-2004) « Est-ce que celui qui a choisi de vivre en banlieue pour avoir une meilleure qualité de vie a pour autant le droit de polluer Paris en venant avec sa voiture ? » devient : « Est-ce que celui qui a choisi de vivre dans le 26ème arrondissement de Paris pour avoir une meilleure qualité de vie a pour autant le droit de polluer (les arrondissements 1 à 20 de) Paris en venant avec sa voiture ? » Et là une question se pose, pourquoi le 26ème
arrondissement est-il traité différemment des autres numérotés de 1 à 20 ?

Et face à cette ségrégation, sorte d’apartheid entre Parisiens et banlieusards, imaginons un raisonnement par l’absurde et que les municipalités de banlieue suivant l’exemple de la capitale se mettent à prendre le même type de mesures !


Donc l’été prochain, les communes riveraines de la Marne ayant réussi à se mettre d’accord pour organiser l’opération « Marne-Plage » l’autoroute A4 serait fermée à la circulation de mi-juillet à mi-août, comme la voie Georges Pompidou l’est pour « Paris-plage ». De même, les communes de banlieue auraient décidé de ne plus accepter les ordures originaires du 75 dans les incinérateurs situés sur leurs terrains pour ne plus se faire polluer par les déchets parisiens ?.

Allons plus loin. A force d’être stigmatisés, ces banlieusards qui n’ont qu’à prendre des transports en commun arrivés à saturation et à épuisement (voir le papier sur le RER d’Eric Fottorino, le Monde du 9 avril dernier), pourraient décider un boycott généralisé des commerces et services parisiens. Finis les achats « en ville », finie la fréquentation des salles de cinéma, des restaurants, des bars. Imaginez-vous le résultat économique pour la bonne ville de Paris qui perdrait d’un seul coup une clientèle de plusieurs millions de personnes ?

Enfin il n’y a pas que les clients qui viennent de banlieue. Imaginez maintenant une grève d’un nouveau style : panique dans les cafés, les restaurants, les magasins, les hôpitaux, les écoles, tous ces employés de service de nettoyage, d’entretien, serveurs, mais aussi vendeurs, infirmiers, professeurs, policiers, tous habitants la banlieue, qui ne seraient pas venus, lassés d’être trop mal accueillis par Paris intra-muros qui voudrait même leur faire payer une entrée en ville. Et comme les loyers sont trop chers ils habitent le 23ème ou le 30ème arrondissement de Paris, mais ne sont pas de vrais Parisiens pour autant ?

Redevenons sérieux un instant. La pollution, les difficultés de circulation, l’engorgement de la capitale sont des réalités. Mais pour les combattre, il faut d’abord prendre des mesures globales et comprendre que la métropole parisienne est un tout, une entité économique, sociale et culturelle unique et solidaire, qui doit être gérée comme telle, au-delà des égoïsmes politiques locaux si éloignés de la solidarité que prône pourtant la municipalité de Paris, tout en la réservant visiblement à une « élite parisienne » certifiée. L’alibi de la concertation à travers les contrats ou partenariats établis avec les communes limitrophes ne saurait remplacer une prise de décision démocratique par l’ensemble des habitants concernés, c’est-à-dire au niveau de l’agglomération.

Libération publie aujourd’hui un dossier sur ce thème avec pour clé de voûte un superbe éditorial de Jean-Michel Thénard « vitrine et dépendances » sur Paris ville fermée dont voici les dernières lignes :

« La démarche ne laisse pas d’inquiéter qui fait peu de cas de la banlieue. Il est bon de décréter l’interdiction en 2012 de la voie Pompidou, encore faut-il fournir d’ici là une vraie alternative de transports publics à ceux qui l’empruntent. Plutôt que de responsabiliser les pollueurs, l’équipe Delanoë les parque dans ses dépendances de banlieue pour ne pas salir sa vitrine. On comprend que, passé le périphérique, les projets parisiens paraissent moins écologiques que ségrégatifs et électoralistes. Plus destinés à satisfaire le bobo que le banlieusard qui ne vote pas à Paris mais est obligé au quotidien de traverser la capitale pour se rendre à son travail ».


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