L’Immunité face aux variants alpha, delta, etcetera. Qui gagnera la bataille ?

par Bernard Dugué
jeudi 1er juillet 2021

 

 Variations sur un thème de SARS-CoV-2

 Le coronavirus responsable des premiers cas de Covid en 2019 ne circule plus. Les SARS-CoV-2 infectant les humains actuellement ont accumulé quelque 30 à 50 mutations. Il en existe des dizaines de mille mais il est possible de les classer à partir de mutations particulières produisant des descendants et contenant ces mutations dites importantes (disruptives). Le terme de clade n’est pas vraiment approprié. Les virologues emploient les notions de lignée ou variant. Parmi les nouveaux variants, quelques-uns sont repérés car ils semblent se répandre plus rapidement et deviennent majoritaire dans la population infectées. Les épidémiologistes britanniques, sans doute les meilleurs au monde, sont passés maîtres dans l’art de détecter ces « variants of concern », VOC et chez nous Français, désignés comme variants d’intérêt ou alors préoccupants. Les mutations les plus surveillées concernent la protéine spike, S, sorte de clé qu’utilise le virion pour pénétrer dans les cellules en se fixant puis en fusionnant avec la membrane après un clivage réalisé par une protéase capable de reconnaître un code. Les variants dit brésilien, anglais ou sud-africain ont en commun une mutation N501Y. Une tyrosine remplace une asparagine. D’autres mutations ont été observées sur S, elles expliquent selon les virologues la contagiosité accrue de ces nouveaux variants maintenant désignés par des lettres de l’alphabet grec. Le variant anglais est désigné alpha, et pour l’indien, c’est delta (Le variant delta plane sur les médias, laissant craindre un été indien en septembre).

 L’historique de ces variants préoccupants indique que la contagiosité du virus augmente progressivement. En fait, l’explication darwinienne tient la corde sous réserve d’une adaptation de la théorie vers le darwinisme sémantique. Les mutations conférant au virus un gain dans la « fonction infection », même modéré, finissent pas être sélectionnées car le variant diffuse plus rapidement. La sélection n’est pas uniquement naturelle puisque la vaccination module la diffusion virale, ainsi que les restrictions sanitaires, ce qui ne remet pas en cause la logique adaptative darwinienne. Il est certain qu’il y aura un après Covid, avec un changement des attitudes et des consciences dans les sociétés mais aussi un après dans la virologie car c’est la première fois qu’un virus est suivi avec autant de précision, analysé dans les moindres détails. Le nombre de séquençages complets a franchi le seuil du million. Reste à savoir si cette masse colossale d’études confirme ce que nous savons déjà sur les virus, leurs mutations, leurs mécanismes, leurs échappements immunitaires, ou bien conduit vers de nouvelles pistes théoriques, ce dont je suis persuadé.

 Le variant delta, alias 21A ou B.1.617.2 est issu du B.1.617, qui contient les substitutions E484Q et L452R. Il contient en plus une mutation T418K et une autre très particulière affectant le code polybasique de reconnaissance de la protéine S par la protéase furine. La mutation P681R remplace une proline par une arginine. Cette substitution n’est pas anodine. Parce que la proline possède une géométrie spéciale, pouvant altérer la structure secondaire des protéines, et que de plus, la séquence polybasique est renforcée et l’on sait que ce type de code rend les virus plus contagieux (ce phénomène a été observé pour les virus grippaux aviaires). Le code prrar figurant sur la souche originelle de Wuhan est remplacé par rrrar. En Europe, le variant delta concurrence le variant alpha et vient de dépasser les 20% ; ce variant se répand sur tous les continents. Le variant kappa apparenté au delta ne semble pas plus contagieux mais reste préoccupant. Au final, le variant delta serait plus transmissible à cause d’une meilleure affinité pour le récepteur ACE2 ainsi qu’une propension accrue à être clivé par la furine. Le delta plus contient une mutation supplémentaire sur la protéine S, K417N.

 

 Brève histoire des variants

 Avec l’appui des virologues, les épidémiologistes ont noté une augmentation de la contagiosité du SARS-CoV-2 depuis janvier 2020 jusqu’à l’été 2021. Cette augmentation a été corrélée à une série de mutations apparues indépendamment dans plusieurs endroits puis renforcées par les descendances de ces lignées devenues plus transmissibles. Il semblerait que la mutation précoce D614G affectant S, combinée à P324L affectant la réplicase, ait produit le premier variant hautement contagieux, responsable de la première vague pandémique. D’autres mutations sont apparues, affectant la protéine N. Les substitutions D614G et P324L, observées sur la presque totalité des séquençages (dépassant le million), sont devenues une marque de fabrique de la souche pandémique actuelle causée par les variants alpha, bêta, gamma, delta, kappa, etcetera. Si l’on fait défiler le film à l’endroit, on voit apparaître une succession de gains de fonction modestes mais dont l’effet cumulé se remarque car la contagiosité augmente. En faisant défiler le film à l’envers, nous observons une perte de fonction. Autrement dit, nous pouvons reconstituer l’histoire du virus avant la première flambée épidémique observée à Wuhan à partir de fin décembre et supposer qu’un variant moins contagieux circulait présent avant cette flambée. En remontant plus loin dans le passé, la perte de fonction reconstituée permet d’envisager la présence d’un virus ancestral encore moins contagieux, mais possédant tous les éléments pour causer une pathologie proche du Covid. Cette supposition est consistante avec les données indiquant la présence du virus dès octobre 2019, non seulement à Wuhan mais aussi en Europe, avec des cas de Covid passés sous les radars à l’époque mais retrouvés rétrospectivement dans les bases de données cliniques, en Italie, en France et sans doute dans d’autres pays. Si les autorités chinoises sont réticentes à collaborer, ce n’est pas forcément pour cacher un accident de laboratoire mais plutôt une faute de surveillance épidémiologique. Si le SARS-CoV-2 a circulé à très bas bruit, ce virus ne pouvait pas échapper à la détection car sa séquence est caractéristique d’un sarbecovirus comme le fut le SARS-CoV de 2002.

 L’apparition de variants plus transmissibles n’a rien d’étonnant. Elle s’explique par la conjugaison des mutations avantageuses et de la diffusion du virus dans les populations infectées. Cette augmentation de contagiosité se traduit par une tendance vers le gain de fonction. Ce gain n’est le plus souvent disruptif et discontinu comme on le constate lors d’un changement de tropisme viral, que ce soit au sein d’un même réservoir ou alors lorsqu’un virus passe d’une espèce à une autre. Le gain de fonction des variants de SARS-CoV-2 est un processus graduel avec des mutations disruptives expliquant qu’un variant en remplace un autre lorsque la vague épidémique est en cours. Le nouveau coronavirus donne l’impression de « monter en puissance », avec une « baisse de puissance » de la réponse immunitaire globale. L’infection virale est une partie qui se joue à deux, le virus et son réservoir constitué par les organismes infectés.

 

 La bataille des épitopes

 Si dans le principe, la défense antivirale est simple à comprendre, en revanche, le détail des mécanismes et les facteurs déterminant le résultat final nous échappent. L’évolution d’une infection virale dépend fortement du dispositif de reconnaissance déployé par les cellules de l’organisme afin de détecter les particules virales en ciblant des déterminants antigéniques désignés comme épitopes. Les virus sont d’étranges particules nucléoprotéiques possédant des protéines de surface, des protéines fonctionnelles et d’autres qualifiées d’accessoires mais qui semblent être dotées de propriétés anti-immunitaires, autrement dit, capables de neutraliser les systèmes de défense de l’hôte, en jouant notamment sur les voies de signalisation liées à l’interféron. Les mutations des virus favorisent aussi les « mécanismes » d’échappement immunitaire.

 Par commodité, la plupart des virologues prêtent aux virus une stratégie, ce qui permet de raconter un récit de l’invasion virale mais donne une image approximative de la réalité. Le réductionnisme qui distingue les parties, les objets, passe à côté des interférences systémiques. En revanche, l’image est plus claire. Un virus infecte les cellules et au final, ce virus se répand, se multiplie, ou bien il est neutralisé par le système immunitaire qui avec l’inflammation, élimine les cellules endommagées et restaure les tissus. Le but d’un virus serait de se reproduire et cette vision est trompeuse. Les virus se modifient pour échapper au système immunitaire et donnent le sentiment de disposer de stratégie alors qu’ils n’en ont pas. Ils sont tout simplement plastiques, pouvant changer leurs cartes protéiques et génomiques. Les virus plus agressifs ou plus contagieux ont produit des cartes mais n’ont pas gagné le jeu. C’est plutôt l’organisme qui a perdu en ne sachant pas mener la partie, si bien que les virus agressifs sont sélectionnés et détectés par les radars scientifiques en cas d’épidémies ou pandémies émergentes. Une revue récente a résumé comment les virus de la grippe A parviennent à « s’évader » du système immunitaire en utilisant deux modes opératoires. L’un agissant sur les mécanismes de l’immunité innée, avec la protéine virale non structurale NS1 dont l’effet est de bloquer le signal interféron gamma. L’autre déjouant l’immunité humorale avec des dérives génétiques conduisant à la diversification des épitopes viraux (Ahsan, 2019). Finalement, les virus ne paraissent pas avoir de stratégie mais plutôt une incroyable plasticité morphogénétique qui se joue des défenses immunitaires, comme si en jouant des millions de parties, le virus finissait par en gagner une, disposer des bonnes cartes pour diffuser en masse en ayant les cartes en main pour mener le jeu face aux organismes dont les cartes ne sont pas bonnes ou alors mal jouées.

 Les épitopes sont les cartes du virus que le système immunitaire doit lire correctement pour jouer la partie et la gagner. Le jeu est parfois difficile, surtout avec des cartes pouvant se transformer avec des ajouts de résidus sur les protéines, glycosylation notamment. Deux types de cellules immunitaires sont spécialisés dans la lecture des déterminants antigéniques viraux. La cartographie complète inclut les épitopes B et les épitopes T, ainsi que les épitopes lus par les récepteurs cytoplasmiques ; TLR par exemple, fonctionnant dans les cellules dendritiques, première ligne de défense innée. Les épitopes B sont ciblés par la réponse humorale et sont en première ligne dans les analyses in vitro et in silico car c’est avec ces épitopes que se joue l’efficacité des vaccins. C’est aussi avec les épitopes que se joue la défense naturelle de l’organisme avec un schéma compliqué car les épitopes apparaissent lors des différentes phases du cycle viral. Une étude publiée en juin 2021 a montré la diversité des épitopes B du SARS-CoV-2, qui ne se réduisent pas à quelques motifs antigéniques présent sur la protéine S. Des dizaines d’épitopes humoraux ont été détectés, sur les quatre protéines structurales, S, N, E et M, ainsi que sur les séquences non structurales, ORF3a et ORF8, codant pour des protéines définies (par défaut) comme accessoires. Contrairement à ce qui est couramment raconté, l’évasion immunitaire n’est pas uniquement liée aux épitopes S ; elle fait intervenir d’autres protéines et de plus, les séquences ORF 3a, 6 et 8 sont impliquées dans des effets immuno-modulateurs (Heffron, 2021).

 Le gène ORF8 a été suivi de près ; des corrélations ont été établies entre des délétions dans cette séquence et la gravité du Covid. De plus, ORF8 possède une région hypervariable. Pourtant, le rôle de cette séquence est controversé. La séquence ORF8 du variant alpha contient deux substitutions, R52I et Y73C, accompagnées d’une mutation nucléotidique produisant un codon stop Q27*, ce qui rendrait la séquence ORF8 inopérante (illisible). Cette observation indique que ORF8 n’influerait pas sur la transmission du SARS-CoV-2 (Jungreis, 2021). Sur le variant delta, on note deux une délétion minime, Δ119-120. Pour le variant gamma, on note une substitution. La séquence ORF3a présente également une ou deux substitutions sur quelques variants surveillés. Il est plausible que le variant delta soit moins agressif que les autres avec cette mutation ORF8 mais rien n’est certain. Les études britanniques sont attendues sur ce point précis. Nous sommes certains d’une chose, c’est que les mutations continues du SARS-CoV-2 modifient les cartes épitopiques, conduisant alors les organismes à multiplier leurs cartes pour contrer les virions qui en retour, jouent sur leurs plasticité pour tester des variations avantageuses. Les mutations sont de plusieurs types, structurelles, impactant la liaison des protéines virales aux récepteurs et sans doute la circulation de la nucléocapside dans le cytoplasme, les mutations épitopiques, modifiant les cartes du jeu immunitaire et les mutations fonctionnelles affectant les protéines virales nsp 1 à 16, sans oublier les mutations affectant les protéines accessoires censées être codées par les séquences ORF 3 à 9. Une étude réalisée sur 44 sarbecovirus a montré comment les mutations sont sélectionnées par les contraintes évolutives et permettent de distinguer les cadres de lecture codant pour des protéines participant à l’infectivité, alors que d’autres cadres ne semblent par essentiels (Jungreis). 

 

 Evolution et adaptation du SARS-CoV-2

 Lors des premières vagues de 2020, plusieurs « clades » ont circulé sans qu’aucun ne présente un avantage décisif après la substitution D614G sur Spike qui est devenue dominante et semble maintenant offrir un avantage décisif pour la propagation. Cette mutation a défini le clade 20A ; elle est combinée avec la substitution P324L portant sur la réplicase nsp12 sans que l’on ne sache si cette modification participe à la virulence accrue de ce clade. De ce clade est issu le 20B produit avec deux substitution sur Nucléocapsid, R203K et G204R. Ces deux mutations n’ont pas produit des variants plus contagieux. Quelques autres mutations ont produit quelques clades (variants). En Europe, les clades 20E et 20D ont été observés. Le 20E contient les substitutions A222V sur S et A220V sur N. Le 20E contient la substitution T732A sur S. D’après les données de nextstrain, quatre clades se partageaient le marché du coronavirus en novembre 2020, avec respectivement des pourcentages de 48, 22, 6 et 22 pour les A B D et E. C’est à ce moment que le variant 20I, alias variant anglais alpha, est apparu sur les radars britanniques, se répandant rapidement pour représenter 80% des cas identifiés courant avril. En ce début de juillet, le variant alpha a perdu 10 points alors que variant 21A, apparu au printemps en Inde, désigné comme delta, représente 20 % des cas. Le diagramme présenté sur nextrain n’est pas exonéré d’un biais car les britanniques font plus de séquençages.

 Des virologues américains ont parlé de disruptions épidémiques causées par les quatre substitutions affectant la protéine Spike des nouveaux variants circulant depuis l’automne 2020. D614G, N501Y, E484K, et K417N/T, en confirmant également les possibilités d’évasion immunitaire au fil du jeu des épitopes (Jungreis). D’autres substitutions sont très surveillées, comme la L452R affectant le domaine de liaison de la protéine S et censé expliqué la disruption liée à l’émergence du variant delta. Des investigations supplémentaires ont établi que les domaines variables de S et nsp3 mutent moins qu’escompté alors que c’est l’inverse qui est observé pour le domaine variable R185 à G205 sur N, soupçonné de contenir un motif épitopique (Jungreis). Les virologues en déduisent que ces substitutions « disruptives » sont sélectionnées avec la participation du système immunitaire.

 Au final, l’évolution d’une souche virale dans un réservoir est gouvernée par les principes de la biosémantique. Les virions doivent être réceptionnés par les interfaces de l’organisme, autrement dit, réceptionnés, puis lus comme des cartes de jeu, puis interprétées. Le virus n’est pas un organisme vivant mais un élément de communication dans le vivant, une unité nucléoprotéique aux propriétés sémantiques et transformantes. Le devenir d’un virus dépend fortement de l’immunité déployée par les organismes du réservoir. Une immunité robuste produit des souches peu virulentes, ce que l’on observe chez les chauves-souris. Une immunité défaillante produit des souches agressives et contagieuses. Qui gagnera, le SARS-CoV-2 ou l’humain ? Dans le second cas, cette victoire sera causée par la riposte immunitaire, avec un effet des vaccins à évaluer car incertain. Il faut aussi espérer la génération de variants contagieux mais moins agressifs. La partie n’est pas terminée. Il faudra apprendre à vivre avec le virus et affronter les débats éthiques et philosophiques pour vivre, car vivre, ce n’est pas rester enfermé et masqué !

 

 

Ahsan N, Sabahat A, Muhammad A N. A Review of Strategic Immune Evasion by Influenza Virus and Antiviral Response of Interferon. Adv Biotech & Micro. 2019 ; 12(5) : 555848.

http://dx.doi.org/10.19080/AIBM.2019.12.555848

 

Heffron AS, McIlwain SJ, Amjadi MF, Baker DA, Khullar S, Armbrust T, et al. (2021) The landscape of antibody binding in SARS-CoV-2 infection. PLoS Biol 19(6) : e3001265.

https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3001265

 

Jungreis, I., Sealfon, R. & Kellis, M. SARS-CoV-2 gene content and COVID-19 mutation impact by comparing 44 Sarbecovirus genomes. Nat Commun 12, 2642 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-22905-7

 


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