Le Nobel de physique 2022 récompense les travaux sur l’intrication quantique

par Bernard Dugué
mardi 4 octobre 2022

 Le prix Nobel de physique 2022 a été attribué au Français Alain Aspect, à l'Américain John F. Clauser et à l'Autrichien Anton Zeilinger, a annoncé, mardi 4 octobre, l'Académie royale suédoise des sciences. Les trois chercheurs sont récompensés pour leurs travaux pionniers sur « l'intrication quantique », a détaillé le jury, un mécanisme où deux particules quantiques sont parfaitement corrélées, quelle que soit la distance qui les sépare. C’est sans doute le phénomène le plus mystérieux de la physique contemporaine. Cette récompense était attendue depuis bien longtemps. Ici une présentation sommaire de cette intrication extraite d’un de mes livres qui n’est pas édité, consacré aux sept physiques modernes.

 

 La physique quantique n’est pas avare d’étrangeté et autres énigmes. La plus connue du grand public est l’intrication, phénomène bien plus mystérieux que le chat de Schrödinger qui au fond, n’est qu’une expérience de pensée. C’est du reste une expérience de ce type qui a mis les scientifiques sur la voie de l’intrication. Il faut en effet remonter à 1935 pour voir se dessiner l’intrication dans une formulation sommaire proposée par Einstein, Podolski et Rosen. Ces trois savants ont voulu montrer que la mécanique quantique était incomplète en inventant une expérience conduisant vers un paradoxe désigné depuis comme EPR. Imaginons que deux particules soient émises après avoir interagi. Le principe est simple. A part sur la gauche et un instrument mesure avec une précision presque infinie la position. B part sur la droite et c’est la vitesse de B qui est mesurée. Or, en vertu des lois classiques de conservation, la vitesse de A peut être déduite de celle de B. Les auteurs en ont conclu que le principe d’incertitude d’Heisenberg était transgressé puisque le produit des écarts de mesure devient inférieur à ce qui est autorisé par la formule Δx.Δv ≥ h/2m.

 

Mesure position ← A ← (A↔B) → B → Mesure vitesse

 

 Le paradoxe EPR montre la ténacité et l’obstination d’Einstein à trouver les failles de la mécanique quantique (…) L’expérience EPR est restée dans le domaine de la pensée. Il faudra attendre quelque 30 ans pour voir apparaître une formulation authentiquement quantique de l’intrication par John Bell, physicien dont les inégalités servant de test pour l’intrication portent son nom. Bell a utilisé les formules quantiques pour créer en théorie des systèmes intriqués alors que l’expérience EPR repose sur une intrication classique conçue avec les lois de conservation de la mécanique analytique. L’intrication est facile à expliquer en prenant une configuration classique. Admettons que Bob et Alice reçoivent de la part de Charles une pièce de un ou deux euros. Imaginons deux cas de figure. Dans le premier, Charles tire au hasard de sa poche les pièces qu’il donne aux deux protagonistes ; dans le second, Charles tire au sort la pièce donnée à Alice puis donne à Bob une pièce de valeur différente. Voici ce que cela donne dans le second cas

 

 Alice 11212222111212221111212111

 Bob 22121111222121112222121222

 

 Calculons la moyenne de la valeur reçue en euros par Alice sur un grand nombre de pièces, on obtient à peu près <σA> = 1.5 et pareil pour Bob ; <σB> = 1.5. Si on fait le produit des deux valeurs, on obtient à chaque fois 2 et la moyenne du produit sera évidemment égale à deux. Cela signifie que <σA> x <σB> est égal à 2.25 et donc supérieur <σA x σB> qui est égal à 2. C’est une inégalité. Ce calcul permet de savoir s’il y a ou non une corrélation. C’est facile à calculer. Dans la configuration non corrélée, le produit est égal à 1, 2 ou 4. Avec une chance sur quatre d’obtenir 1 ou 4 et une chance sur deux d’obtenir 2. La moyenne des produits est alors égale à 4/4 + 2/2 + 1/4, ce qui donne 2.25. Alors qu’en cas de corrélation, ce nombre devient inférieur à 2.25 et chute à 2 en cas de corrélation parfaire, comme dans l’exemple ci-dessus.

 

 C’est en 1980 qu’Alain Aspect a réalisé les premières expériences montrant que les inégalités de Bell sont « violées », ce qui traduit la présence d’une intrication, observée en détectant la polarisation de photons (…) Nombre d’interprétations fantaisistes ont été formulées ; par exemple des signaux supraluminiques. La compréhension de ces phénomènes impose une fois de plus de sortir du cadre classique. La corrélation des systèmes intriqués est une propriété qui ne dépend pas de la distance et donc elle est étrangère au principe du champ dont l’influence décroit dans l’espace avec une loi en 1/r. Elle ne repose pas sur une communication dépassant la vitesse de la lumière car le principe relativiste l’interdit.

 

 L’univers intriqué ne colle avec aucune des physiques connues et laisse perplexe. Le seul élément physique, c’est la préparation des particules intriquées et les deux mesures dévoilant des corrélations sans qu’il n’y ait le moindre échange, la moindre transmission d’information d’un lieu à un autre. Les physiciens ont découvert quelque chose d’inattendu, imprévu, qui n’était pas décrit dans la publication EPR de 1935 (…)

 

 Les expériences de non séparabilité quantique décrivent quelque chose ayant un rapport avec l’essence de l’espace. Avec une information ayant certaine connivence avec l’holographie. Comme si nous retrouvions les intuitions des anciens. Le nous d’Anaxagore répondant à l’énoncé : tout est dans tout, ou alors le cosmos d’Héraclite, avec le Tout et ses parties (pantha). Peut-être approchons-nous les mystères de la gravité quantique. Des recherches récentes, publiées après 2010, ont établi la possibilité de construire à partir de l’intrication un espace réglé par la gravité qui devient alors quantique (Dugué, 2017 a et b) Une nouvelle physique à venir ?

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Mes deux ouvrages

L’information et la scène du monde, Iste éditions, 2017

https://iste-editions.fr/products/linformation-et-la-scene-du-monde

Temps, émergences et communications, Iste éditions, 2017

https://iste-editions.fr/products/temps-emergences-et-communications

Traduction anglaise

http://www.iste.co.uk/book.php?id=1199

http://www.iste.co.uk/book.php?id=1332


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