Le variant delta suggère que le SARS-CoV-2 est un virus spinozien qui persévère

par Bernard Dugué
vendredi 13 août 2021

1) Le SARS-CoV-2 a émergé sans doute discrètement pendant l’automne 2019, avant que les autorités de Wuhan ne détectent le début de la foudroyante pandémie de Covid. La séquence du virus historique fut publiée le 2 janvier 2020. Le virus a muté assez rapidement pour générer des variants désignés 20 et A, B, C, D ou E. Une double mutation, D614G sur la protéine spike et P323L sur la polymérase (RdRp) ont été sélectionnées et figurent actuellement sur la presque totalité des virus circulant actuellement. L’épidémie s’est développée distinctement selon les pays, modulée par la géographie des territoires, des populations et des mesures restrictives. En France, l’épidémie s’est dessinée en quatre vagues. Même situation au Royaume-Uni, avec des décalages chronologiques et des différences d’amplitude ; et une troisième vague dévastatrice, avec des contaminations quotidiennes approchant les 60 000 et un pic de décès journaliers franchissant les 1200. Cette vague épidémique fut causée par un variant dit « britannique » rebaptisé « alpha » pour lequel la contagiosité a été estimée à quelque 60 % de plus que pour les virus des premières vagues. Autant dire que l’apparition du variant alpha a surpris des spécialistes qui l’été 2020 espéraient, pour ne pas dire anticipaient, une atténuation de la puissance virale. Un autre variant, le delta, a émergé pendant l’hiver 2021 en Inde, puis s’est propagé au Royaume-Uni, en Europe et sur tous les continents où il est devenu majoritaire, prenant la place du variant alpha. Ce variant est considéré comme différent des précédents et même comme un virus nouveau, pouvant causer une épidémie d’un genre nouveau, autrement dit une sorte de second Covid. La contagiosité du variant delta serait bien plus élevée que celle de la grippe et approcherait le niveau de la varicelle, ce qui le placerait parmi les virus les plus contagieux que l’homme connaît.

2) Les données disponibles ont montré que le variant delta échappe partiellement aux anticorps générés par la vaccination, ce qui est un phénomène classique en virologie, désigné comme échappement immunitaire. Il a une capacité de reproduction largement au-dessus de celle notée pour les variants précédents. Ce variant a comme signature la mutation L452R affectant le domaine d’attachement de la protéine S. Cette substitution remplace la leucine par l’arginine ce qui augmente l’électropositivité de la protéine face au récepteur ACE2 connu pour être électronégatif. De plus, l’arginine se prête à une N-glycosylation ce qui augmente la plasticité structurelle. La reproduction accélérée du delta favorise évidemment les capacités à muter. Parler de variant est du reste inapproprié. Tous les virus possédant les caractéristiques du variant delta historique ont accumulé des mutations. Il n’est pas exclu que les différences dans les populations virales puissent expliquer le cours distinct de l’épidémie en fonction des zones géographiques.

3) Comparons deux départements accueillant des estivants. Le taux incidence dans les Alpes-Maritimes se situait autour de 15 au début de l’été ; il dépasse les 600 le 9 août. En revanche, les Landes faisaient la course en tête avec une incidence dépassant les 50 alors qu’au 9 août, elle est de 215, en baisse constante depuis le pic de 300 fin juillet. Peut-être la densité de population a-t-elle jouée. La Martinique et la Guadeloupe sont en situation d’épidémie intense, avec des incidences de 1200 et +2000. Tout est étrange même si les différences géographiques et culturelles, additionnées à la vaccination, peuvent expliquer le décalage entre les Antilles et les Landes. Pour la Mayenne, le chiffre est de 50. Au Royaume-Uni, les contaminations n’ont pas atteint les 100 000 cas/j anticipées par le ministre de la santé ou les 200 000 cas/j redoutés par l’épidémiologiste Neil Fergusson. Le seuil de 40 000 a été effleuré et le nombre est en baisse constante, divisé par deux, malgré une très légère remontée ces derniers jours. Même chose pour les Pays-Bas. En Espagne, pays volubile et festif, les contaminations sont passées de 25 000 à 15 000. En revanche, la nouvelle vague du delta est en cours dans nombre de pays d’Asie, Iran, Indonésie, Thaïlande et même Japon. On ne comprend plus trop, excepté le constat sur la vaccination qui semble freiner la vague du delta sans pour autant la stopper comme l’indiquent les contaminations en Israël, quelque 5000 soit l’équivalent du pic de la vague de septembre. Le spectre d’une stabilisation des contaminations à un niveau moyen n’est pas à exclure. L’épidémie sera moins intense mais durable, spinozienne en quelque sorte, un fléau qui persiste à nous pourrir la vie.

4) Ces quelques lignes publiées dans Nature traduisant la perplexité du monde scientifique : « Les scientifiques se grattent la tête sur la baisse précipitée des infections quotidiennes au COVID-19 au Royaume-Uni après leur augmentation rapide au début de l'année. Les nouveaux cas officiellement enregistrés ont diminué de plus de moitié en seulement 2 semaines : d'un maximum de 54 674 le 17 juillet à 22 287 le 2 août. « Personne ne sait vraiment ce qui se passe », déclare l'épidémiologiste John Edmunds de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM). En particulier, il n'est pas clair si cette tendance soudaine indique que le pic de la troisième vague est passé, ou s'il s'agit d'un soubresaut causé par des facteurs sociaux complexes (…) La baisse des cas sur plusieurs jours semble impliquer une cause sous-jacente spécifique. Mais cette cause pourrait être une combinaison de beaucoup de choses, dit Edmunds. »

5) L’attaque surprise du variant delta est corrélée à deux observations effectuées sur la charge virale très élevée dans les muqueuses et le délai entre la contamination et la contagiosité. Il n’est pas exagéré d’évoquer une nouvelle pandémie. En notant que lorsque le variant alpha fit son apparition, quelques-uns de nos spécialistes ont parlé de nouvelle épidémie en France pendant l’hiver 2021. Le SARS-CoV-2 monte en puissance pourrait-on dire, sauf qu’un virus ne doit pas être considéré indépendamment du réservoir qu’il occupe. Un virus n’est pas un organisme vivant comme le sont plantes, animaux, bactéries, archées. Le virus se présente comme un élément de type champ capable d’interférer avec les cellules sources qui parviennent à le freiner ou alors le produisent en grande série et transmettent l’agent viral d’une cellule à une autre. Ces cellules sont celle des organismes constituant le réservoir, autrement dit, les espèces qui définissent le tropisme viral. Ensuite, au sein d’une même espèce, le tropisme peut varier selon les tissus infectés. La plupart des virus respiratoires se limitent aux muqueuses nasopharyngées, parfois descendent dans les bronches. Le SARS-CoV-2 connu pour être généraliste présente un tropisme très étendu, il infecte les tissus de l’appareil digestif, le nasopharynx, le nerf olfactif, parfois le cerveau et souvent hélas les pneumocytes, occasionnant alors une pneumonie. De plus, ce virus acquiert des gains de fonction en augmentant la puissance de son tropisme, ce qui a donné les variants grecs, alpha, epsilon, gamma, delta, etcetera. Le processus de colonisation virale montre une augmentation de puissance, ce qui traduit un caractère spinozien, dans la mesure où cette colonisation persévère dans son être, ou du moins, augmente en puissance et donc persévère dans son essence. Etant entendu que chez Spinoza, être et essence ne font qu’un, contrairement aux vues de saint-Thomas sur cette question assez ardue. L’invasion virale a monté en puissance avec le variant delta et s’observe sur le tropisme humain, autrement dit, les tissus affectés et les catégories de populations touchées. Les jeunes seraient plus impactés par ce variant. Et le tableau clinique serait légèrement différent. Il semble qu’une nouvelle pandémie se propage.

6) Le nouveau virus est mystérieux (selon les termes d’Olivier Véran), un mystery strain, jeu de mot utilisé comme titre de l’essai sur le Covid que je viens d’achever et qui espère un éditeur. Les épidémiologistes et les virologues ont été surpris par l’arrivée de variants plus puissants en termes d’invasion virale et de propagation tissulaire. Les variants sont générés par les organismes infectés. Le procédé de colonisation virale n’a pas d’explication autre que la réactivation de mécanismes présents avant l’apparition des premiers organismes vivants, dans un monde occupé par des protéines et des ARN. Dans cet univers, une bataille sémantique se déroulait. Et maintenant, le devenir de la pandémie se joue avec la confrontation entre le système identitaire immunitaire et le potentiel invasif et transformant du virus. Cette situation impose de dépasser la virologie classique et de développer l’approche biosémantique

A suivre


Lire l'article complet, et les commentaires