La rivière qui marche

par C’est Nabum
mercredi 10 mai 2023

 

Un si bel exutoire

 

Invité du prochain Festival de Loire, le Saint Laurent ne risque pas de devoir supporter la comparaison avec la Loire. Tout dans ce fleuve relève de la disproportion et échappe totalement aux idées que l'on se fait d'une rivière de ce côté-ci de l'Atlantique. Il se contente du reste d'être le déversoir, l'exutoire en langage géographique de cinq immenses bassines, toutes plus naturelles les unes que les autres. Pour lui, la bonne affaire de son cours est dans cinq lacs.

Se passant aisément de source officielle, il ne se sent pas sorti de la cuisse du Jupiter ou du flanc d'un volcan en sommeil. Point de bataille de chiffonnier pour s'attribuer la paternité à moins que ce ne fut la maternité de son cours. Il se contente d'être le trop plein de cinq vases immenses et néanmoins communicants.

Tout commence par le Lac Supérieur dont la surface fait de lui le plus grand lac d'eau douce au monde et le troisième en matière de volume d'eau douce. Situé à 183 m d'altitude il souffre de rétention aqueuse puisqu'il faut environ 200 ans pour que ses eaux s'écoulent par le truchement de la rivière Sainte Marys dans le Lac Michigan. Cette caractéristique fait de lui le moins pollué de tous. Sa plus grande profondeur culmine si j'ose dire à 406 mètres.

Le lac suivant est, il faut bien en convenir, un vilain intrus. Le lac Michigan coule des jours heureux chez le voisin américain. Ne l'ébruitez pas mais il n'est qu'au troisième rang des Grands Lacs, ce qui contrarie grandement l'oncle Sam. C'est encore le lac où il fait le plus froid tandis que son temps de rétention est d'environ 100 ans. Ce laps de temps s'explique par le fait que l'eau entre et sort du lac par la même voie provoquant une circulation ralentie. Quant à sa profondeur elle est au maximum de 281 mètres. Son niveau baisse régulièrement depuis 1960 et ses eaux sont particulièrement polluées. Son nom provient de la langue ojibwé : Mishigami qui signifie « grandes eaux »

Le lac Huron est le deuxième plus grand lac du réseau des Grands Lacs et se classe au cinquième rang mondial. Sa baie Georgienne, qui à elle seule, pourrait se classer parmi les 20 plus grands lacs au monde. Sa rétention d'eau est toutefois beaucoup plus courte puisque les eaux n'y restent que 22 ans. C'est le merveilleux réceptacle de plus de 30 000 îles ce qui en fait un paradis pour les oiseaux. Son nom vient du vieux français huron qui signifie « Sauvage ». La rivière Sainte-Claire lui sert d'exutoire.

Le lac Érié se distingue des autres lacs par une profondeur moyenne de 19 mètres. Ses eaux se réchauffent donc rapidement au printemps et gèlent complètement en hiver. Le lac Érié reçoit outre ses trois voisins les eaux du lac Saint Clair, l'un des lacs plus petits du réseau. Le débit y est puissant puisque son temps de rétention n'est que de 3 ans tandis que son déversoir n'est autre que les chutes du Niagara qu'on ne présente plus.

Le lac Ontario est un peu plus petit que le lac Érié, tout en contenant un volume d'eau quatre fois supérieur car il est beaucoup plus profond il descend jusqu'à 244 mètres. Le lac Ontario est bordé par les chutes du Niagara et la rivière des Mille-Îles. Son nom vient de l'iroquois et signifie « Eaux miroitantes ». Le temps de rétention du lac Ontario est de 6 ans, après quoi les eaux se dirigent vers le fleuve Saint-Laurent qui lui sert d’exutoire.

Tout ce réseau qui entre en communication s'étend sur une longueur de 2 340 km avant que le Fleuve Saint-Laurent ne prenne le relais pour que les eaux finissent leur course, pour certaines après 340 années d'un très long voyage au terme d'un périple de 1 197 km. Une aventure à l'échelle d'un continent de la disproportion qui mérite un petit récit.

Les premiers Européens qui découvrirent ses eaux le nommèrent « La Rivière des morues » ou « Grande Rivière ». Il est vrai que la dimension de sa baie a de quoi influencer les esprits

Nous retenons la date 1535 et le nom de Jacques Cartier qui lors de son second voyage en Amérique arrive dans le Golfe après une traversée de presque deux mois. La renommée lui vaut le titre usurpé de découvreur du fleuve.

Le premier européen à le voir est un explorateur italien : Jean Cabot qui le 24 juin 1497 fait quelques ronds dans l'eau à son embouchure. Cinq cents ans plus tôt, des Vikings, sous la conduite de leur chef Leif Ericson fondent une petite colonie sur la côte du Labrador, le Vinland. Ils ne furent que de passage et l'histoire les oublia injustement.

C'est Samuel de Champlain qui fonda la ville de Québec et imposa le nom de Saint-Laurent, nom que l'on trouvait auparavant sous des orthographes différentes. L'histoire retient la date du 3 juillet 1608, il faut bien un commencement à tout et la rivière qui marche n'échappe pas à ce curieux principe.

Comme en Europe, les villes se créent d'abord en bord des rivières qui favorisent le commerce grâce aux voies d'eau. Cela se passa ainsi avec le Saint-Laurent qui attira les aventuriers mus par l’appât du gain. Au XVIIe siècle, Saint-Laurent constitue le chemin idéal pour les expéditions vers l’Amérique du Nord.

À ce titre, le Saint-Laurent est bien un lointain cousin océanique de la Loire et nos amis québécois trouveront tout naturellement leur place lors du Festival éponyme. Ses légendes sont en parties influencées par les cultures autochtones qui y laissèrent une trace plus prégnante que dans le reste du continent. Il y aura naturellement de quoi bonimenter pour votre serviteur si vous y venez à ma rencontre.

À contre-eau.

 

 

 


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