« Le Repas des Fauves » Pusillanimité bien partagée avec Thierry Frémont au Théâtre Hébertot

par Theothea.com
samedi 11 novembre 2023

Dans la salle du théâtre Hébertot, sous la houlette de Francis Lombrail, son directeur depuis 2013, les Fauves se réinvitent à table en présence d'un public nombreux, effet d'un retentissant bouche à oreille.

Le multi-moliérisé "Repas des fauves" en 2011 - 3 récompenses : Molière de l'adaptateur, Molière du metteur en scène et Molière du théâtre privé - revient donc à Paris sous la férule du même metteur en scène Julien Sibre.

  

LE REPAS DES FAUVES
© FABIENNE RAPPENEAU

  

Adapté d’après la pièce de l’écrivain et scénariste d’origine arménienne Vahé Katcha écrite en 1960, Le Repas des fauves fut d’abord connu au cinéma par le film de Christian-Jaque où Claude Rich et Francis Blanche entre autres rivalisaient de veulerie dégoulinante.

C'est donc en voyant ce film que Julien Sibre a eu l'idée de s'approprier cette pièce avec l' accord de l'auteur (décédé entre-temps, en 2003).

Sa création eut lieu le 22 octobre 2009 au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison, avant d'être jouée de septembre 2010 à janvier 2011 au Théâtre Michel. E !le est reprise pour une seconde période au même théâtre de septembre 2012 à janvier 2013. Elle se produira au Théâtre du Palais-Royal pour 50 représentations en mai 2013.

Forte d'un succès de plus en plus populaire, Julien Sibre décide de la réactualiser en 2023. En la dynamisant un peu plus, lui insufflant une vitalité et un rythme particulièrement speed afin de la rendre encore plus attractive envers un public jeune. La distribution assez similaire à celle de sa création donne aujourd'hui des comédiens fort aguerris et la réputation de Thierry Frémont, nouvelle recrue, vient rajouter un agrément supplémentaire.

 

LE REPAS DES FAUVES
© FABIENNE RAPPENEAU

 

Dans un appartement cossu et bourgeois aux fenêtres calfeutrées par des journaux (décor de Camille Duchemin), sept convives veulent fêter un anniversaire en tentant de faire abstraction d'une réalité extérieure pourtant prégnante qu'une série d’images d’archives et d’animations graphiques en fond de scène qui ne sont pas sans rappeler dans leurs tons les monochromes de Persépolis de Marjane Satrapi, artiste franco-iranienne, mettra en exergue pour frapper les esprits et placer les spectateurs dans la situation tangible qui menace au-dehors du huis clos intime (Cyril Drouin en est le réalisateur graphique).  

Nous sommes sous l'Occupation en 1942. C'est la guerre et pourtant le couple Pélissier reçoit ses plus proches amis pour les 30 ans de Sophie. L’espace d’une soirée, on va essayer de mettre de côté tous les soucis. En dépit de la pénurie et les rationnements imposés, il a fallu des trésors de débrouillardise pour trouver un cadeau, des bas nylons ou un cognac de 10 ans d'âge et des bonnes choses à manger. André, le roublard patron d’une usine de sidérurgie qui deale avec l’armée allemande sans aucun scrupule débarque avec des produits de luxe : saucisson de Lyon, terrine de canard, parfum et ....une caisse de Champagne Magnum... « ce n'est pas la morale qui vous étouffe » lui lancera Françoise, veuve de guerre. « A la guerre comme à la guerre » réplique-t-il « l'acier, l'acier, à ma façon je fais aussi de la résistance ! ''

On échange des propos sans grande portée, on se lance quelques vannes et quelques réparties qui font mouche, on évite surtout de parler politique et on met de la musique pour danser.

Soudain, on entend des coups de feu et des aboiements féroces, des têtes de chiens aux dents acérées apparaissent en vidéo. La réception est perturbée par l'irruption brutale du Commandant SS Kaubach exigeant, sur des fondements totalement arbitraires, deux otages à fusiller dans chaque appartement en représailles d'un attentat commis sous leurs fenêtres. Il pousse le sadisme jusqu'à offrir aux convives de choisir eux-mêmes les deux sacrifiés !.

 

LE REPAS DES FAUVES
© FABIENNE RAPPENEAU

 

Et comble d'ironie perverse, après tout ce n'est pas un barbare, il leur laisse un peu de temps pour terminer leur petite soirée pendant qu'il regardera la collection des livres anciens de Victor, le libraire mari de Sophie. C'est à partir de ce moment déterminant qu'un mécanisme d'horlogerie se déclenchera. Un décompte mortifère s'engagera où tous les coups bas sont permis.  

Jochen Hägele interprète excellemment cet officier allemand qui manie le cynisme subversif avec un plaisir non dissimulé. Il est le marionnettiste qui tire les ficelles et mène toute cette clique par le bout du nez. Jouant sur leur panique, il mesurera à quel point leur apparente indéfectible amitié va se déliter.

On cherche d'abord des solutions collectives, des échappatoires : faire jouer ses relations ? s'enfuir ? soudoyer l'ennemi ? trahir ses amis ? rien ne marche, alors on en viendra à se demander individuellement quelle vie vaut plus la peine de vivre que l'autre, Jean-Paul le médecin, donneur de leçons (Cyrille Aubin) prétextera qu'il a des victimes à soigner, Victor le libraire (Olivier Bouana) qu'il a une femme à protéger, Vincent le dandy philosophe provocateur plutôt je m'en foutiste (Julien Sibre) qu'il veut encore en profiter, Pierre l'ancien combattant aveugle (Jérémy Prévost) a l'espoir de retrouver la vue et ne veut pas mourir aussi bêtement, celui qui détient la palme de la pusillanimité, André (Thierry Frémont) en tant que dirigeant d'une aciérie a tout intérêt à faire marcher la machine. Il pousse la bassesse jusqu'à s'agenouiller devant l' officier en le suppliant de l'épargner car tout est bon pour éviter le pire. On n'a qu'une vie après tout !

 

LE REPAS DES FAUVES
© Theothea.com

 

Les masques tombent, les vernis éclatent, les rancoeurs et la peur révèlent la lâcheté des uns et des autres. L'avilissante manipulation est à son paroxysme quand Kaubach désignera l'aveugle comme ''chasseur'' pour sélectionner les deux otages et effrontément leur balancera : « Cinq qui devront leur vie aux deux autres. Je vous offre là un beau rôle, non ? » « Un peu d'enthousiasme voyons, c'est un jeu ! » (jouer à colin-maillard).  

Le machiavélisme de Kaubach qui articule les fils invisibles fait jaillir la personnalité profonde de chacun. Le texte de Vahé Katcha fait preuve d’un réalisme cru sans complaisance.

Alors que Victor et André sont dans la ligne de mire, le coupable de l'attentat est arrêté, les membres du groupe sont à nouveau libres. Le jeu de massacre est terminé mais combien l'humanité de chacun aura-t-elle été piétinée, bafouée, saccagée.

Le Repas des Fauves met en scène des êtres qui, confrontés à la mort, ont perdu toute notion de morale. Tous les repères amicaux et sociaux s’effondrent et chacun développe un instinct propre à sa survie. Pourtant, la dualité des êtres dans la pire des lâchetés comportementales n'est pas aussi manichéenne, sauvée par moments par l’humour présent malgré l’angoisse et cette irrésistible envie qu’on a de croire qu’une fois le chaos passé, tout pourrait peut-être continuer comme avant ! « Victor on est amis ! » implore André avant de partir.

  

LE REPAS DES FAUVES
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La mise en scène de Julien Sibre imprime un rythme survolté au déroulement de l’action à travers la diversité des situations ; chacun exploite les ressources dont il dispose et fait feu de tout bois : Fuite, argent, mérite, grossesse, dénonciation d’un bouc émissaire…avec beaucoup d'énergie. Les huit comédiens jouent sur un registre nerveux qui donne un tantinet le tournis. On ne sort pas indemnes de cet ignoble ultimatum imposé par l'occupant allemand mais on quitte la salle un peu groggy par tant d'excitation.

  
photos 1 à 3 © FABIENNE RAPPENEAU
photos 4 à 6 © Theothea.com

  

LE REPAS DES FAUVES - ***. Cat'S / Theothea.com - de Vahé Katcha - mise en scène Julien Sibre - avec Thierry Frémont, Cyril Aubin, Olivier Bouana, Stéphanie Caillol, Sébastien Desjours, Benjamin Egner, Jochen Hägele, Stéphanie Hédin, Jérémy Prevost, Julien Sibre, Barbara Tissier, Alexis Victor - Théâtre Hébertot
  

   

 

LE REPAS DES FAUVES
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