Un nouvel Houellebecq ...et une polémique de plus ?

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 19 mai 2023

« Que je le veuille ou non, je fais partie de la France qui vote Macron, parce que je suis trop riche pour voter Le Pen ou Mélenchon. » (Michel Houellebecq, le 4 mai 2017 sur France 2).

La semaine prochaine, le mercredi 24 mai 2023, sort chez Flammarion un nouveau livre de Michel Houellebecq intitulé "Quelques mois dans ma vie. Octobre 2022-mars 2023" : « Ma situation médiatique en France s'était on l'a vu dégradée : mes ennemis avaient encore gagné en virulence, mes amis m'avaient pour partie trahi, mais surtout il n'était plus question de me donner la parole. Les événements me concernant pouvaient encore être relatés lorsqu'il m'étaient néfastes ; mais mon point de vue n'intéressait plus personne. ».

J'ai toujours adoré tant l'homme (un anti-héros) que (surtout) l'œuvre, en particulier ses premiers romans ("Extension du domaine de la lutte", "Les Particules élémentaires", "Plateforme") mais aussi les suivants (en particulier "La Carte et le Territoire" et "Anéantir", le dernier, principalement sur l'euthanasie) et même certains essais (je recommande en particulier, pour les amateurs de Lovecraft : "H. P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie"), parce qu'ils traduisent par excellence la société d'aujourd'hui, dans sa laideur, ses aigreurs, mais aussi ses espérances (oui, il y en a) ; mais je pense que je n'apprécierais pas du tout son nouveau livre.

Certes, je ne l'ai pas lu (puisqu'il n'est pas encore sorti), mais d'après ce qui est dit, il serait une sorte de thérapie pour l'auteur. Écrire pour aller de l'avant est assez courant, mais faut-il vraiment que les lecteurs soient des aides-soignants ? Ce n'est en tout cas pas mon intention.

En effet, Michel Houellebecq a vécu, selon lui (et je le crois), des moments difficiles depuis l'automne dernier. Il s'estime banni des médias (il a raison sur ce point) et il considère qu'il a probablement fait deux "bêtises" (pour ne pas dire c...nneries) : son interview commune avec Michel Onfray dans la revue "Front populaire" sortie en automne 2022, qui a provoqué de nombreuses polémiques avec des représentants de l'islam, et sa participation à un film porno en début 2023.

Je ne retranscris pas les phrases polémiques de cette longue interview qui a, par ailleurs, un grand intérêt (plus intellectuel que littéraire), et je pense que Michel Onfray a tenté d'utiliser la notoriété sulfureuse de l'auteur au profit de sa revue. D'un côté, Houellebecq a été accusé d'islamophobie, de racisme anti-musulman, etc., et d'un autre côté, car il faut aussi insister sur l'autre côté, il a été récupéré par des officines identitaires positionnées principalement à l'extrême droite.

Depuis le début des années 2000, Michel Houellebecq, qui est plus long à l'oral qu'à l'écrit (parce qu'on ne sait pas combien de temps il met à écrire ses phrases), fait plutôt attention à ne plus intervenir dans le débat public car il ne met aucune bride anti-transgression (ce qu'adorent les populismes de tout bord). Il ne sait pas ne pas être spontané (et sa situation lui permet de s'en moquer), mais cela peut lui jouer des tours. Ce n'est pas nouveau qu'il s'en prenne à l'islam et les attentats de janvier 2015 ont renforcé sa haine, d'autant plus qu'il y a perdu un ami très cher, l'économiste Bernard Maris qui voyait en l'écrivain, avec raison je pense, celui qui traduit le mieux l'évolution de la société contemporaine, une évolution peut-être pas heureuse mais il la décrit lucidement.

L'affaire de la revue "Front populaire" a semblé d'ailleurs s'arrêter d'elle-même lorsque Houellebecq a accepté de retirer ou modifier certains propos dans la version éditée de cette longue interview. Cette marche arrière n'est pas étonnante : l'homme n'est pas fait pour la politique et devrait toujours se méfier des instrumentalisations des uns et des autres : « Moi, je me sens toujours irresponsable et je le revendique, sinon je ne pourrais pas continuer à écrire. Mon rôle n’est pas d’aider à la cohésion sociale. Je ne suis ni instrumentalisable, ni responsable. » (14 janvier 2015).

Dans une interview pour "Le Parisien" publiée le 8 décembre 2022, la romancière Annie Ernaux était du reste heureuse que le Prix Nobel de Littérature 2022 n'ait pas été attribué à un personnage aussi "politiquement incorrect" (avec des idées « totalement réactionnaires et antiféministes »). Et elle enfonçait le clou : « Quitte à avoir une audience avec ce prix, étant donné ses idées délétères, franchement, mieux vaut que ce soit moi ! ». Elle avait pourtant aimé "Extension du domaine de la lutte" : « C’était vraiment neuf, cette idée que la lutte allait se jouer sur l’apparence physique. Mais ensuite… J’ai arrêté de le lire à cause de son image des femmes, des mères, des femmes mûres, sa manière de décrire les peaux, les seins qui tombent. ».

L'autre événement moins heureux est d'avoir participé à un film à caractère pornographique. Officiellement, ce serait même de l'art pornographique ! Là, c'est moins banal. Depuis quelques années, Michel Houellebecq se plaît à devenir un acteur, et même un réalisateur, avec des fortunes diverses. C'est toujours très osé de changer de cadre, de case, mais il a raison de faire ce qu'il a envie de faire.


Pour ce court-métrage néerlandais intitulé "Kirac 27" (pour Keeping It Real Art Critic), l'idée du réalisateur Stefan Ruitenbeek de recruter Houellebecq n'était pas pour son passé d'acteur mais pour son présent de militant identitaire : il voulait que des personnes qui se haïssent idéologiquement puissent se réconcilier sous la couette. Le réalisateur néerlandais l'a déjà faire avec d'autres personnes, notamment le philosophe conservateur Sid Lukassen avec une étudiante de 23 ans de gauche, Jini Jane, dans "Honeypore" (sorti en 2021). Jini Jane l'a donc refait avec Houellebecq et l'épouse de ce dernier, Qianyun Li, elle-même actrice, y a participé également.

L'écrivain a ainsi eu des rapports sexuels filmés avec deux jeunes Néerlandaises, blondes et longilignes, d'une vingtaine d'années. Parmi ses conditions, Houellebecq a imposé au réalisateur qu'on ne puisse pas voir à la fois son visage et son sexe, comme cela, il pourrait toujours affirmer que ce serait son double ! (mais même masqué, qui ne reconnaîtrait pas Houellebecq ?). Or, dès la vision de la bande-annonce, Houellebecq a profondément regretté d'avoir fait partie de cette aventure pour le moins compromettante, meurtri par la manière dont le film a été monté.

Résultat, cela fait plusieurs mois (depuis février 2023) qu'il tente de faire interdire la diffusion de ce film tant qu'il n'a pas un droit de regard sur le montage. En première instance, le juge des référés du tribunal d'Amsterdam l'a débouté, le 28 mars 2023, de toutes ses injonctions, considérant que « la simple affirmation qu'il souffrait d'une dépression sévère au moment de la conclusion du contrat est insuffisante pour présumer qu'il ne pouvait pas prévoir les conséquences de ce qu'il a signé » (le couple avait plaidé l'abus de faiblesse).

Michel Houellebecq a, en outre, affirmé qu'il était très alcoolisé au moment de signer le contrat et, aussi, qu'il était gêné par la présence d'une caméra, mais, selon le juge néerlandais, « rien n'indique qu'une consommation importante d'alcool ait eu lieu avant cela. Et d'après les images présentées, Houellebecq ne semble à aucun moment gêné par la présence continue de la caméra. ». Le juge a d'ailleurs trouvé « incompréhensible que Houellebecq ait participé aux enregistrements [vidéo] s'il trouvait le contrat vraiment problématique ». Le tribunal n'a cependant pas encore jugé sur le fond, mais avec cette décision, il permet ainsi au réalisateur d'exploiter dès maintenant ces images.

Que Houellebecq ait été imprudent ou abusé, c'est bien possible. Mais à l'évidence, il s'est surtout trouvé piégé par la réalisateur, et il s'est montré bien naïf, audacieusement naïf.

Entre la polémique politicienne faite de récupérations idéologiques et de condamnations morales, d'un côté, et la polémique assez glauque sur sa participation étonnante à un film porno qui n'a, semble-t-il, aucun autre intérêt que de mater deux jolies filles en pleine action, Michel Houellebecq n'a rien trouvé de mieux à faire, pour se reconstruire, qu'à pondre un livre autobiographique sur ces quelques mois difficiles à vivre : « Il ne me restait qu'une seule chose à faire : la seule que je sache faire. J'entrepris l'écriture de ce récit dans la nuit du 31 mars. ».

C'est très bien de trouver un échappatoire à son malaise psychologique, mais je ne voudrais pas, comme lecteur, y être embarqué et j'espère que cela l'encouragera à écrire ultérieurement un autre livre ...disons, plus intéressant.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Un nouvel Houellebecq ...et une polémique de plus ?
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouveaux combats de Michel Houellebecq.
Anéantir : du grand Houellebecq !
Rentrée littéraire 2022 : "Anéantir" de Michel Houellebecq.
Michel Houellebecq évoque Vincent Lambert.
Houellebecq a 65 ans.
Lecture de la lettre de Michel Houellebecq sur France Inter (fichier audio).
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
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