Ce n’est pas de la tarte
par C’est Nabum
dimanche 23 février 2025
La reine Claude.
Une reine Claude, lasse de compter pour des prunes, entendit faire valoir ses titres de noblesse. Elle estimait que durant la période de l'épiphanie elle était la plus à même de tirer les rois. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour saisir ainsi le fond de sa pensée. Il y avait sans doute dans sa revendication une once de jalousie d'autant que d'après-elle, c'est l'amande qui tirait les marrons du feu.
Notre belle prune avait ouïe dire que l'intérieur de son noyau contenait une amande. Elle estimait que ce serait lui rendre justice que de préparer la frangipane à partir de lui. Voilà une argumentation sur laquelle bien des pâtissiers se casseraient les dents puisque la confusion entre la prune et l'amande réactiverait la guerre orthographique.
Mais le plus délicat dans cette histoire serait de faire reconnaître à cette reine machiavélique que son noyau cache bien des turpitudes puisque l'amande en question renferme une toxine naturelle : le glycoside cyanogène, de quoi mettre à bas bien des gens durant le mois de janvier en faisant ainsi concurrence féroce à la grippe.
Notre reine Claude en bonne souveraine, n'avait cure de tels arguments. Seul comptait pour elle ce désir de prestige. C'est alors qu'une cousine vint se mêler au débat. La belle mirabelle estimait que c'était bien plus à elle, de venir se glisser dans la galette puisque les rois mages en leur temps avaient apporté de l'or en hommage à sa robe mordorée et de la myrrhe en pensant à elle.
Vous comprendrez aisément que de tels arguments ne puissent sembler sérieux dans notre monde. Mais pour ces deux-là, le débat faisait rage. Leur faire entendre raison ne serait pas du gâteau et encore moins de la tarte. Il convenait de faire la part des choses et de calmer le jeu afin d'éviter des coups fourrés.
Il fut convenu de confier la querelle à une bonne pâte, une fève qui du reste en avait assez de cette algarade qui lui courrait sur le haricot. La fève réclama aux deux belligérantes de constituer chacune un dossier afin qu'elle examine sur pièce les tenants et les aboutissants de l'affaire. La pauvre légumineuse ne s'attendait pas à recevoir mille feuilles d'arguments aussi creux que possible.
Devant ce pensum indigeste, la fève prit le parti de l'amande qui en la circonstance n'était pas requérante. Elle fit alliance avec elle et fort satisfaite de ce mauvais tour fait aux prunes, songea que la pâte feuilletée sera le réceptacle idéal à la délicieuse crème d'amande. Désirant recevoir sa part de reconnaissance, elle se glissa dans la frangipane pour désigner les rois au grand dam de Reine Claude et Mirabelle.
Reine Claude s'en retourna dans son prunier, la mine défaite et le cœur chagrin. Elle prit un peu de maturité pour se contenter d'agrémenter tartes, clafoutis, marmelade et confitures à la belle saison tandis que Mirabelle, victime d'une méchante crise de goutte, songea qu'il y avait là un message dont elle devait tirer parti.
L'obsession de sa cousine d'exploiter son noyau fit germer en elle une formidable idée. Pourquoi diantre ne pas laisser macérer ses noyaux avec du sucre dans un alcool incolore. Sa chair connaîtrait les mêmes usages que sa rivale, mais de plus sa liqueur ferait sa gloire et pourquoi pas, pourrait venir parfumer les galettes des rois.
Reine Claude se sentit humiliée devant pareil triomphe de sa cousine lorraine. Elle songea prendre sa revanche avec les bouilleurs de crue du pays en faisant don de sa chair à la distillation. Ce fut une franche réussite que naturellement je me dois de vous inviter à en jouir avec une extrême modération sinon la prune et l'amende reviendraient au galop et à point nommé.