Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode XII - 1982, le phénix Rossi marche sur les cendres d’un Brésil flamboyant

par Axel_Borg
lundi 21 janvier 2019

Algérie, Brésil, France ... Tous ceux qui ont illuminé ce premier Mondial à 24 équipes en seront les héros malheureux. En finale, on retrouve les deux champions du réalisme à l'européenne : Italie et Allemagne de l'Ouest. En 1982, la jeune démocratie espagnole reçoit la Coupe du Monde, marquée par la renaissance du buteur Paolo Rossi, la classe de Zico et Socrates et l'exploit des Fennecs contre la RFA, mais aussi le match de la honte entre Allemands et Autrichiens ... España 82 offre deux matches inoubliables avec Italie / Brésil (3-2) à Sarria d'un point de vue footballistique, et également RFA / France (3-3 après prolongation, 5-4 tirs aux buts) à Séville en demi-finale d'un point de vue dramaturgique.

En 1982, l’Espagne sort d’une période de transition démocratique, sept ans après la mort de Franco en 1975. Désigné héritier par le Caudillo en 1969, Juan Carlos a berné Franco car l’héritier de la dynastie des Bourbon va instaurer la démocratie. Mais celle-ci est fragile, comme le montre la tentative manqué de coup d’Etat du 23-F, le 23 février 1981, où Juan Carlos gagne ses galons de père de la patrie espagnole. Le pays avait obtenu l’organisation de la Coupe du Monde dès juillet 1966, se retirant au profit de la RFA pour 1974 en contrepartie du retrait ouest-allemand pour 1982. Joao Havelange s’occupe lui de gérer avec clientélisme ses pays électeurs. En contrepartie du vote des pays africains et asiatiques pour Juan Antonio Samaranch comme président du C.I.O. en 1980 à Moscou, l’Espagne de Juan Carlos accepte le passage de 16 à 24 équipes pour ce Mundial 1982 (dont le comité d’organisation fut présidé par l’ancien vice-président du Real Madrid, Raimundo Saporta), et tirera les marrons du feu avec l’obtention des Jeux Olympiques d’été de 1992 à Barcelone. Ce ne sont plus 38 mais 52 matches qui seront diffusés et sponsorisés par les partenaires économiques de la FIFA. A Zurich, un certain Joseph Blatter a été placé à la FIFA en 1975 par Horst Dassler. Cet ancien cadre de l’horloger Longines remplacer en juillet 1981 le docteur Helmut Käser comme secrétaire général de la FIFA. Tombé en disgrâce auprès du roi Soleil Joao Havelange, Käser tombe de Charybde en Scylla après une réunion du 7 mai 1981 où Havelange le guillotine en son absence ... En 1983, il n’est pas invité au mariage de sa propre fille Barbara. Comble du déshonneur, celle-ci épouse … Sepp Blatter ! Après la mort du Dr Helmut Käser le 11 mai 1994, la FIFA lui rendra hommage, en tant que modèle de compétence et d’intégrité ! Pour Sepp Blatter , le tirage au sort du Mundial espagnol 1982 vire au fiasco … Dans le Palais des Congrès de Madrid, les boules sont réparties dans des sortes de tambours de machines à laver en hauteur pour les mélanger. L'un d'eux s'enraye, et évince momentanément les équipes sud-américaines du premier tour. C'est le couac. La FIFA reviendra ensuite au tirage manuel. Les clubs sont donc plus importants que l'équipe nationale. Deux ans après le boycott américain des Jeux Olympiques d’été de Moscou, l’Union Soviétique est bien présente en Espagne, alors que le pays de Juan Carlos rejoint l’OTAN en ce 13 juin 1982, date du match d’ouverture ... Le stade du FC Barcelone, le Camp Nou, accueille l'inauguration ainsi que le premier match du tournoi opposant l'Argentine à la Belgique. Mais le spectacle n'est pas à guichets fermés. L'ouverture du Mondial ou le discours de Juan Carlos ne constituent pas l'intérêt médiatique de ce jour J du 13 juin 1982. Non, l'épicentre de ce match pour la majorité des Espagnols, c'est Diego Armando Maradona, et rien d'autre. Le prodige argentin vient à peine de signer pour 7,5 millions d'euros (soit 50 millions de francs, un record à l'époque) au Barça, et les supporteurs catalans sont surtout intéressés par sa performance contre la Belgique. Les Diables Rouges de Guy Thys, vice-champions d’Europe en 1980 en Italie, terrassent d'ailleurs 1-0 l'Albiceleste. Ce Mundial 1982 va être un mauvais souvenir pour Diego Maradona, voire un cauchemar, à l'occasion du match contre l'Italie comptant pour cette fameuse seconde phase de groupe. La Squadra Azzurra bat l'Argentine 2-1 et le défenseur Claudio Gentile maîtrise avec brio le pauvre Diego durant tout le match. La performance du joueur italien est à montrer dans toutes les écoles de foot pour la science du marquage. Jamais un stoppeur n'a aussi bien contenu que lui l'un des meilleurs joueurs de tous les temps. Le favori du tournoi espagnol est le grand Brésil de Tele Santana, fort de son joyau Zico, de son poumon Falcao et de son inspirateur Socrates. Ce dernier, frère aîné de Rai, porte le prénom d’un philosophe grec. Ses autres frères, Rai excepté, tirent aussi leur nom de références antiques, avec Sostenes (cité dans l’épitre de Saint-Paul) et un Sophocles, du nom de l’auteur d’Œdipe Roi adapté en 1975 au cinéma par Pier Paolo Pasolini. Docteur en médecine et grand fumeur devant l’éternel, Socrates défendra la démocratie au Brésil, via la démocratie corinthienne, mouvement lancé avec Wladimir et Casagrande, ses coéquipiers aux Corinthians de Sao Paulo. Comme pour le cycliste Gino Bartali qui avait contribué à sauver des Juifs durant la guerre (cachant des documents dans le cadre de son vélo et se rendant de couvent en couvent entre Florence, Assise ou Gênes) et qui fumait des cigarettes comme un pompier, l’aura et le destin de Socrates dépassent le simple cadre du sport. Mais son but contre l’UR.S.S. n’en reste pas moins un chef d’œuvre de l’homme aux grands compas. Pour son premier match, face à la redoutable URSS, le Brésil est mené 1-0 avant que Socrates ne trouve la mire d'une formidable frappe du pied droit en pleine lucarne de Rinat Dassaev. Un geste d'une efficacité redoutable, précédé de deux feintes de frappe d'école. Du grand art pour un grand artiste. Après avoir écrasé URSS (2-1), Ecosse (4-1) et Nouvelle-Zélande (4-0), la Seleçao pense avoir trouvé la martingale gagnante. Elle atteint son climax lors d’une démonstration 3-1 face à l’Argentine où le jeune Maradona mesure encore le chemin à parcourir pour éblouir une Coupe du Monde comme le fait Zico, le Pelé Blanc de Flamengo. Le deuxième tour de ce Mundial espagnol de 1982, dont l’affiche a été peinte par Joan Miro en personne, offre un groupe de la mort qui tue : Brésil, Argentine et Italie. Qui va sortir vainqueur de ce jeu de billard à trois bandes ? La plus séduisante équipe de ce groupe de la mort, le Brésil, a été sans conteste la plus belle à voir jouer dans ce tournoi, voire dans toute l'histoire du football. Emmenés par le génial coach Tele Santana, les Auriverde font découvrir au monde entier le concept du football romantique. Avec Zico et Socrates, soit respectivement l’alpha et l’oméga de cette Seleçao qui reste le must du must, ces Brésiliens inventent la théorie du mouvement permanent sur une pelouse : le ballon ne s'arrête jamais, le talent prend le dessus sur l'effort. Ce Brésil ne compte pas de porteurs d'eau dans son groupe, et seulement deux boulets : le gardien Waldir Peres et l’avant-centre Serginho, remplaçant de Careca blessé. Chaque joueur brésilien possède les qualités d'un meneur de jeu et tous se comportent comme un numéro dix, y compris les défenseurs ! Mais l’Italie, où Enzo Bearzot a instauré un silenzio stampa après l’opprobre jetée par la presse sportive lors d’un premier tour moribond (trois matches nuls et deux buts marqués seulement), va se mettre en travers de ce Brésil naïf tactiquement. Claudio Gentile ayant muselé Maradona face à l’Argentine, les deux équipes jouent un quart de finale à Sarria, sur les hauteurs de Barcelone. Les épiciers contre les artistes, les serruriers contre les magiciens, les bouchers contre les virtuoses. La caricature est facile mais c’est pourtant le moins talentueux qui va gagner, avec un réalisme effarant, là où le Brésil est sur son propre nuage, dans une autre dimension : celle du rêve. Le réveil va être douloureux, façon uppercut de Mike Tyson en plein dans la gencive. Zico pris par le cerbère Gentile, les autres stars italiennes se chargent du travail. Dino Zoff, Bruno Conti et surtout Paolo Rossi offrent la victoire à la Squadra Azzurra, tandis que le Brésil n’a cessé de courir après le score. Ce 5 juillet 1982, à Rio de Janeiro et Sao Paulo, reste le jour où le football est mort. Le drame de Sarria, c'est d'abord celui d'une équipe qui ne sait pas, ou refuse de calculer. Tactiquement, on a eu tout faux. On n'a même pas pensé que ce résultat nous qualifiait, reconnaît aujourd'hui volontiers le défenseur Luizinho. Alors le Brésil va chercher à gagner à tout prix ce faux quart de finale contre l’Italie (l’Argentine étant éliminée), un match où il va toujours faire la course derrière la Nazionale d’Enzo Bearzot. Parce que l'Italie est telle qu'on aime se la représenter : faussement attentiste et génialement opportuniste. Comme face à l'Argentine de Maradona, la Squadra Azzurra a décidé d'évoluer à dix contre onze. Cerbère de génie élevé à l’air du Calcio, Claudio Gentile ignore la présence du ballon et ne voit que le numéro 10 floqué dans le dos de Zico. Le défenseur italien fait partie de cette race de gagneurs-nés qui font passer l’efficacité avant le style. À la Juve s'acquiert une habitude mentale de sacrifice qu'il n'y a nulle part ailleurs. À la Juve, ils t'enseignent que le match le plus important est toujours celui à venir. À la Juve, ils t'enseignent à avoir toujours « faim » de victoires, à ne jamais t'en contenter. Ce n'est pas un hasard si les chances de la Nazionale ont toujours coïncidé avec la large présence de bianconeri en azzurro. L'époque tolère encore le marquage individuel et Gentile réduit sa proie au silence. En deuxième mi-temps, j'ai comme été exclu du match, souffle Zico. Gentile m'avais pris d'une telle façon au marquage que mes partenaires ne pouvaient plus m'atteindre. En première période, le Pelé Blanc a profité d'une demi-seconde de liberté pour permettre à Sócrates d'égaliser dans un angle que lui seul avait discerné. En bon capitaine et philosophe, Sócrates a tiré une vision du football mais aussi du monde de cet après-midi de défaite à Barcelone. Il existe une tendance à valoriser le succès et les résultats plutôt que l'art et la beauté. La victoire est trompeuse, celui qui gagne croit qu'il sera aimé comme un demi-dieu. C'est donc logique de vouloir gagner, mais moi je vois la défaite d'un point de vue positif, d'un point de vue humaniste. Un point de vue définitivement obsolète après l'élimination sublime face aux Bleus en 1986. Le Brésil va réapprendre à gagner tout en ravivant ses fantômes de 1982 et 1986 pour regretter les victoires trop européennes des Seleçao de Parreira en 1994 et Scolari en 2002. Le Brésil est condamné et cela fait bientôt 34 ans que cela dure. Socrates n'a arrêté de fumer que quelques semaines dans toute sa carrière, au moment de la Coupe du monde 1982. Le Brésil a échoué. Il a ressorti ses Marlboro du tiroir, et gardé ses fulgurances pour l’année 1983, la plus belle de sa carrière. Dans les années 80, Time Magazine s'était intéressé à lui. Signe que la portée du personnage dépassait de loin le cadre étriqué du soccer, pour lequel les Américains se passionnaient alors modérément. Dans l'article, ses jambes étaient comparées aux tours jumelles du World Trade Center. D’autres équipes que ce grand Brésil seront des héros malheureux de ce Mondial espagnol, comme l’Algérie de Belloumi et Madjer. Les Fennecs s’offrent le scalp de la RFA, championne d’Europe en 1980 en Italie. La prouesse des stars du Maghreb reste sans lendemain. Comme en 1978 pour Argentine / Pérou, un match va profiter de la connaissance du résultat de celui de ses rivaux pour fausser la glorieuse incertitude du sport. Le match de la honte RFA / Autriche est gagné par les hommes de Jupp Derwall 1-0 sur un but de raccroc de Horst Hrubesch. Derwall qui avait pourtant déclaré, avec une arrogance non dissimulée : Si nous ne battons pas l’Algérie, je rentre par le premier train. Le sélectionneur allemand sera bien là jusqu’à la grande finale de Madrid … Après le sinistre RFA / Autriche gagné par les Allemands, Paul Breitner en rajoute dans la provocation par cette déclaration fracassante : La réaction des gens est stupide. On n’est pas venus ici pour faire le spectacle, mais pour gagner le tournoi. L’autre cocu du premier tour est le Cameroun de Roger Milla, privé d’un but valide face au Pérou par l’arbitre autrichien Franz Wöhrer. Avec ce but camerounais, l’Italie n’aurait pas accédé au deuxième tour … La seule consolation est pour Thomas N’Kono. Le gardien camerounais est embauché par l’Espanyol de Barcelone, où il jouera pendant dix ans. Du côté des Petits Poucets, les Kiwis néo-zélandais se fait hacher menu par l’Ecosse (2-5), l’Union Soviétique (0-3) et le Brésil (0-4) en Andalousie … Ian St John avait déclaré qu'il trouvait dommage que la FIFA permette à de si petites équipes de jouer la Coupe du Monde et il pensait que la Nouvelle-Zélande perdrait certains de ses matchs sur des scores de cricket, se souvient encore John Adshead, sélectionneur anglais de ces All Whites néo-zélandais entre 1979 et 1982. Mais l’humiliation sera encore pire pour le Salvador, battu 10-1 par la Hongrie le 15 juin à Elche … Le Zaïre avait déjà perdu 9-0 en 1974 contre la Yougoslavie à Gelsenkirchen, et la Corée du Sud s’était aussi inclinée 9-0 en 1954 à Zurich devant la grande Hongrie de Puskas et consorts. Mais jamais une équipe n’avait concédé un score à deux chiffres en phase finale … Au-delà de l’écart de niveau entre les Magyars et les Latino-Américains, le contexte expliquera ce véritable massacre … Cette équipe du Salvador fut emportée par le chaos et l’amateurisme. Sa qualification pour la Coupe du Monde 1982 était déjà un miracle en soi. La guerre civile déchirait en effet ce petit pays d’Amérique centrale et l'entraînement en ces temps troublés n'était pas chose aisée, comme le rappellent encore régulièrement certains joueurs. Si certains d'entre nous arrivaient en retard aux entraînements, c'était parce que nous devions aider des blessés abandonnés le long des routes, raconte le défenseur Francisco Jovel. Certaines rumeurs évoquaient des joueurs favorables au gouvernement militaire. D'autres affirmaient qu'ils étaient des sympathisants de la guérilla. Mais la politique n'a finalement pas eu d'importance dans le vestiaire. Le Salvador a été la dernière des 24 équipes qualifiées à se rendre en Espagne, débarquant finalement après un épuisant voyage de 72 heures. Seulement trois jours avant un premier match contre les Hongrois... Notre itinéraire semblait planifié par nos adversaires, plaisante le défenseur Jaime Rodriguez. Huit jours avant de débuter la Coupe du Monde, on nous a fait jouer un match amical contre Gremio, poursuit-il. Puis nous avons sauté dans un avion pour le Guatemala, où nous avons passé une nuit à l'aéroport. Puis direction le Costa Rica, la République Dominicaine et enfin Madrid, où nous avons pris un autre avion pour Alicante. Quand nous nous sommes finalement installés dans notre hôtel, nous étions en plein jet-lag. Nos corps et nos têtes avaient neuf heures d'avance sur l'heure européenne. Impossible de retrouver un sommeil décent avant nos débuts contre la Hongrie. Rendez-vous compte que le Honduras était arrivé en Espagne un mois avant la compétition ! Pour ne rien arranger, la Fédération du Salvador a plombé le moral des troupes en inscrivant seulement vingt joueurs pour le Mondial. Présents dans la délégation, Gilberto Quinteros et Miguel Gonzalez ont donc été laissés en marge de l’équipe. Une décision incroyable et incompréhensible que le président de la Fédération a justifié en estimant qu'une équipe de vingt éléments était plus que suffisante. Une manière peu convaincante de masquer une réalité grotesque. C'était un coup très dur, explique le gardien Ricardo Mora, aujourd’hui fonctionnaire. Car à la place de ces deux joueurs, la Fédération a fait accréditer deux officiels qui n’ont pas assisté à un seul de nos matchs. A peine arrivés, ils ont disparu et se sont offert des vacances en Europe aux frais de la Fédération. Et que dire des conditions d’hébergement et d’entraînement ? Un petit hôtel bas de gamme près d'Alicante, des équipements abimés et un manque de reconnaissance évident. Nous étions traités comme des visiteurs de troisième classe, raconte Ricardo Mora. Les sacs et les maillots que la FIFA nous a donnés étaient vieux. La plupart portait même le logo de la Coupe du Monde 1974. C'était honteux. Mais ce n’est pas tout … Pire que tout, on n’avait pas de ballon pour s'entraîner, peste encore Jaime Rodriguez. Les officiels nous ont expliqué qu'ils avaient été volés et nous avons donc envoyé un joueur au camp d’entraînement des Hongrois pour en demander quelques-uns. Comme chaque équipe de ce Mondial, ils avaient reçu 25 ballons de la part de la FIFA. Ils ont accepté de nous en prêter deux, la veille du match. Quelques heures plus tard, de retour à leur hôtel, les joueurs du Salvador ont reçu la visite d’un agent espagnol. Il possédait une cassette vidéo d’un match de la Hongrie. Il a fallu se cotiser pour l’acheter et la visionner. Notre coach nous a dit qu’ils jouaient comme le Paris Saint-Germain, que nous avions battu dans un match amical deux semaines avant, se souvient le défenseur Mario Castillo. Il nous a donc demandé de les presser le plus haut possible sur le terrain. C'était sans doute la plus grosse erreur de tous les temps.  En effet, car la Hongrie de Tibor Nyilasi et Lazslo Kiss marquera à dix reprises sur la pelouse. Entré en jeu à la 56e minute, Kiss n’aura besoin que de vingt minutes pour établir un record qui tient toujours, celui du hat-trick le plus rapide en Coupe du Monde ! Les vrais problèmes ont finalement commencé après une incompréhension entre le gardien et un défenseur qui a offert un quatrième but à la Hongrie. Nous n'avions jamais concédé plus de trois buts et quand ils ont marqué le quatrième, nous avons vraiment commencé à perdre nos nerfs, raconte Diaz Arevalo, qui a assisté au match depuis les tribunes et qui remercie encore les médecins qui lui ont interdit de jouer à cause d'une blessure. Ce quatrième but a coïncidé avec le début d’un chaos mémorable. Conscient du scénario noir qui était en train de s’écrire sous ses yeux, le manager Mauricio Rodriguez a demandé à son gardien remplaçant, Eduardo Hernandez, de s’échauffer pour entrer. Mais ce dernier a refusé ! Je voulais simplement protéger Mora et lui éviter d’encaisser plus de buts, explique Rodriguez dans une version un peu différente et un peu plus à son avantage. Mais j'ai ensuite réalisé qu’en le faisant sortir, je risquais d’entamer la confiance de mes deux gardiens le même jour. Alors j'ai laissé Mora sur le terrain. Symbole de cette soirée historique, une photo du tableau d’affichage après le dixième but signé Nyilasi. Et cet employé du stade obligé d’improviser pour afficher un nombre à deux chiffres. La France, elle, se voit annuler un but valable d’Alain Giresse par l’intervention sur le terrain du cheikh Fahid Al-Ahmad Al-Sabah, frère de l’émir du Koweït en personne. Michel Hidalgo fou de colère bondit de son banc et envahit à son tour la pelouse. Mais le sélectionneur des Bleus en impose moins avec son polo du RC Paris et son short ! Et il se fait jeter véritablement comme un malpropre par la guardia civil espagnole qui croyait avoir à faire avec un touriste. Une scène mémorable également ... Les Bleus gagneront finalement 4-1 ce match ubuesque, à la suite duquel le cheikh se laisse aller à des propos peu diplomatiques : La FIFA, elle peut aller se faire, je luis dis m… elle est pire que la mafia … Si nous pouvons abandonner la FIFA, nous le ferons sans hésiter. Le lendemain à Madrid, l’instance suprême se penche sur le cas koweïtien, et punit l’Association de Football du Koweït avec une amende symbolique de 25 000 francs suisses, une misère pour un Etat pétrolier de surcroît ... Au match suivant, Manuel Amoros sauve la patrie face à la Tchécoslovaquie de Panenka (1-1). La France frôle l’exploit à Séville en demi-finale mais l’entrée en jeu de Rummenigge en prolongation redonne la grinta nécessaire à la RFA. Car cette équipe de France a un péché mignon : elle ne sait pas tenir un résultat. La RFA va en profiter pour tirer les marrons du feu. Menée 1-3, cette dernière revient à 3-3 et l’emporte aux tirs aux buts, pendant que Patrick Battiston a évité de peu la mort sur la barbare agression d’Harald Schumacher. Pas même averti et encore moins expulsé par l’arbitre néerlandais Charles Corver, le bourreau de Battiston sera ignoble jusqu’au bout : Je lui paierai ses frais de dentiste. La sortie violente du gardien de Cologne inspire l’acteur Francis Huster, passionné de football qui se fend “Lettre ouverte à Michel Platini”, écrite peu après le match dans sa nuit d’insomnie du 8 au 9 juillet 1982, le comédien engagé fait les louanges de ces qualités qui ont coûté cher aux joueurs français et emploie des mots très durs pour qualifier les footballeurs Outre-Rhin, renforçant ainsi inexorablement l’antagonisme franco-allemand : Ce pourquoi Cyrano, Molière, Jean Moulin en France sont morts : le panache. Contre la brute aveugle, contre la bêtise de la force, contre la masse de muscles sans faille, vous avez jailli avec votre poésie, votre imagination, votre finesse, votre inspiration, et tu sais quoi Michel, votre humilité. Mais plus que jamais, lors du match de 1982, les vieilles rancœurs sont réapparues. Si de nombreux Français font ainsi le serment de ne plus jamais mettre les pieds Outre-Rhin, la haine est principalement canalisée sur le gardien allemand Harald « Toni » Schumacher. Surnommé Schumacher-SS, il devient le personnage allemand le plus détesté des Français devant Adolf Hitler ! Le magazine Paris-Match rajoute alors de l’huile sur le feu en prolongeant la comparaison avec les précédents affrontements franco-allemands : Tout est guerre. Et 1914. Et 1940. Et 1982 où, pour la troisième fois en un siècle, la France rencontrait l’Allemagne dans un match et le champ de bataille de Séville. Ce sentiment haineux d’injustice français est tel que le Président de la République François Mitterrand et le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt se voient dans l’obligation d’écrire un communiqué commun afin de ne pas mettre en péril une entente harmonieuse. Deux ans plus tard, par leur émouvante poignée de mains du 22 septembre 1984, devant la nécropole de Douaumont, François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl offrent à l’Europe entière l’image symbole du pacte franco-allemand, garant de paix sur le Vieux Continent, donnant ainsi une belle leçon aux imbéciles qui ont voulu exploiter la défaite de Séville à des fins d’anti-germanisme primaire … En finale à Madrid, l’Italie venge la France, battant la RFA 3-1, avec un premier but de Paolo Rossi suivant un penalty raté par Antonio Cabrini. Buteur providentiel, Paolo Rossi était pourtant gardé par un redoutable cerbère, Karl-Heinz Förster. Nanti de 41 sélections en équipe nationale d’Allemagne de l’Ouest, le stoppeur du VfB Stuttgart n’avait jamais vu un attaquant adverse, dont il était responsable direct au marquage individuel, inscrire un but à la Mannschaft. Pour sa 42e sélection, en finale de la Coupe du Monde, c’est chose faite avec Paolo Rossi ... A quarante ans, le capitaine italien Dino Zoff soulève dans le ciel de la Castille le trophée de la Coupe du Monde, la troisième pour la Nazionale. Il était temps pour le gardien de la Vecchia Signora, qui partira en retraite en 1983. En parallèle de ce Mundial espagnol spectaculaire, la guerre des Malouines gagnée par le Royaume-Uni de Margaret Thatcher face à l’Argentine de Jorge Videla servira de terreau à l’édition suivante de la Coupe du Monde.


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