Pour ou contre le tie-break au 5e set en Grand Chelem

par Axel_Borg
samedi 12 janvier 2019

Après l'US Open depuis les années 70, l'Open d'Australie et Wimbledon ont décidé, suite aux matches Isner / Mahut (70-68 au 5e set du 1er tour de Wimbledon 2010), Anderson / Federer (15-13 en quart de finale de Wimbledon 2018) et Anderson / Isner (26-24 en demi-finale de Wimbledon 2018), de mettre en place un tie-break au 5e set. Alors, réforme ou hérésie ?

Jeudi 24 juin 2010, Court n°18 du All England Club ... L'Américain John Isner bat Nicolas Mahut 70-68 au 1er tour des Internationaux de Grande-Bretagne, portant enfin l'estocade décisive à son rival français. Ce simple match de Wimbledon s'est mué en feuilleton de 11 heures et 5 minutes de tennis, dont 8 heures et 11 minutes pour le seul cinquième set. Ce match hallucinant par sa longueur éclipsera même la visite à Wimbledon de la reine Elizabeth II, qui n'était pas venue sur le prestigieux tournoi londonien depuis l'édition 1977, au temps de Borg et Connors !

Match exceptionnel par sa durée, l'OVNI Isner / Mahut ne l'était pas par sa qualité (les deux joueurs se retrouveront au même stade de la compétion en 2011 à Wimbledon, l'Américain réglant l'affaire en trois sets). Les répliques du séisme auront lieu en 2018. Le Sud-Africain Kevin Anderson se qualifie pour la finale après deux matches marathon gagnés contre Roger Federer en quart de finale, puis devant John Isner en demie. Personne n'aurait parié un kopeck sur lui avant d'affronter l'octuple tenant du titre, mais Anderson avait tenu le choc, enfonçant le clou contre Isner.

Cette fois, la coupe est pleine, car l'autre demie entre Novak Djokovic et Rafael Nadal doit se finir le samedi, avec une victoire du Serbe 10-8 au cinquième set, qui marque son retour au top pour cannibaliser de nouveau le circuit ATP, qu'il avait fait passer sous ses fourches caudines entre octobre 2014 et juin 2016 ...

Comment expliquer aux spectateurs du vendredi qu'ils n'ont pu voir la fin de ce match gigantesque que fut Nadal / Djokovic (sans doute le plus beau match masculin de toute l'année 2018) s'ils ne pouvaient revenir le samedi ? Comment aussi justifier que ces mêmes spectateurs de Wimbledon ont manqué la plus belle partie de ce match, en l'occurrence le cinquième set gagné 10-8 par le Djoker avec un refus viscéral de la défaite des deux côtés du filet ? Si le gaucher majorquin a finalement rendu les armes après une haute lutte de forte intensité en quarts contre Juan Martin Del Potro, Novak Djokovic ne pouvait guère le toiser lors de la poignée de mains, vu l'écart aussi infime que du papier à cigarette entre les deux hommes ce jour là.

Wimbledon, comme l'Open d'Australie et l'US Open, a vaincu la pluie en installant un toit sur son court central. La dernière jouée finale joue à Londres sans toit fut le mythique Nadal / Federer de 2008, gagné 9-7 par l'Espagnol au cinquième set, mettant fin à cinq années d'hégémonie du maestro bâlois dans son jardin anglais.

Mais ce qui a rendu cette finale 2008 extraoardinaire, tel un millésime exceptionnel, un très grand cru, c'est sa qualité de jeu avec pour sommet une quatrième manche gagnée in extremis par le virtuose de Bâle face au Taureau de Manacor, son nouvel épouvantail. De même qu'en 1980, le tie-break du quatrième set gagné par John McEnroe avait constitué le pinacle émotionnel d'une finale d'anthologie gagné par son rival suédois Bjorn Borg, autre madeleine de Proust ayant offert des montagnes russes d'adrénaline au public de Wimby.

La qualité du spectacle doit primer sur la longueur. Pourquoi s'infliger des prolongations qui n'apportent souvent pas grand chose au vu de la fatigue des joueurs ? C'est le plus résistant physiquement et mentalement qui l'emporte souvent, dressant la guillotine après une avalanche d'aces et d'échanges minimalistes qui peuvent confiner à l'overdose, loin de rallyes sublimes où l'on se consume d'impatience de voir le point suivant, où seules les obligations sociales et naturelles doivent priver le spectateur de cette parenthèse enchantée au milieu des servitudes de la vie quotidienne.

Le money time des matches à rallonge sont souvent bien loin de ces paradis célestes où les deux protagonistes tutoyent la perfection et méritent tous les superlatifs, tel le climax Federer / Djokovic de 2011 à Roland-Garros. Tous deux nourris au nectar et à l'ambroisie par les féés du destin, le Goliath suisse comme le Pantagruel serbe avaient croisé le fer jusqu'au crépuscule, pérennisant les coups de génie tout au long d'un match stratosphérique pour ne pas dire stellaire. L'épilogue de ces matches marathon est souvent une lente agonie.

Et le respect du spectateur doit primer, n'en déplaise aux ayatollahs du jeu et autres nostalgiques du tennis de Bill Tilden, Jean Borotra et Ken Rosewall. A quoi sert-il de garantir un match sous le toit de Wimbledon ou de la Rod Laver Arena en cas de pluie s'il ne se termine pas à cause d'une règle devenue obsolète au fil des décennies, sous l'influence d'un sport de plus en plus professionnalisé, règlementé et médiatisé ? Le public plébiscitera toujours la qualité plutôt que la quantité, en tennis comme en cinéma. Imaginez un concert où une longue litanie de chansons indigestes succède aux plus grands tubes d'un artiste, on voit mal le public applaudir à tout rompre pour le rappel.

Certes, les détracteurs du tie-break pourront arguer que le sujet concerne moin de 1 % des matches joués en trois sets gagnants, et que le dernier set doit se gagner avec deux jeux d'écarts. Mais dans ce cas là, il faut être cohérent, le tie-break lui-même imposé depuis 1973 par les télévisions est une hérésie. On pourra aussi opposer à ce changement que le fait d'avoir un jeu décisif au cinquième set peut permettre de gagner cette manche décisive sans breaker son adversaire, ce qui est un franchissement du Rubicon pour les plus orthodoxes, pour ceux qui ont les yeux de Chimène pour le tennis de jadis. Pour tous ces garants de la tradition, le cinquième set sans tie-break est un totem. Mais il faut parfois savoir les abattre pour instaurer un juge de paix plus moderne et non moins légitime.

Dans ces conditions, le fait que l'Open d'Australie et Wimbledon aient réformé leurs règles en 2018 après la double jurisprudence Kevin Anderson, qualifié pour la finale à Londres après deux victoires à la Pyrrhus tant les pertes d'énergie étaient colossales. Son rival serbe Novak Djokovic avait lui eu moins de récupération, finissant sa demie le samedi après-midi, du fait de la durée exceptionnelle du bras de fer Anderson / Isner.
L'US Open autorisait lui un tie-break au cinquième set depuis les années 70, mais Flushing a toujours été un tournoi à part, avec ses odeurs de burger, ses night sessions, son Super Saturday et le bruit des avions de la Guardia, l'aéroport voisin dans le district new-yorkais du Queen's.

Le tournoi américain était le Nouveau Monde, la révolution copernicienne face au temple du tennis Wimbledon, avec son gazon, surface d'origine du tennis, son dimanche chômé et ses tenues blanches immaculées. Perché dans sa tour d'ivoire, Wimbledon est cependant le gardien du temple, de la tradition, la boussole du tennis, son soleil, son sphinx, son alpha et son oméga. Il est donc logique que le conservatisme y soit de rigueur, et que les aggiornamentos soient rares au sud-ouest de Londres.

Il est surtout dommageable que les quatre tournois du Grand Chelem ne soient pas alignés sur des points de règlement aussi fondamentaux, seul Roland-Garros n'ayant pas instauré de jeu décisif au cinquième set ... Mais le Grand Chelem parisien, qui est en plein renouveau du côté de la Porte d'Auteuil avec l'extension arrachée de haute lutte face aux Jardin des Serres d'Auteuil, est coutumier des serpents de mer et des utopies ...

Mais attention, l'usine à gaz a produit un Léviathan complexe, car les règlements diffèrent encore entre New York, Londres et Melbourne. Au concours Lépine des idées divergentes, le tennis a encore obtenu la palme d'or, telle une armée mexicaine incapable de discipline d'ensemble. Chacun joue sa partition façon électron libre ou feu follet insaisissable.

Au pays des kangourous, il y aura dès l'édition 2019 un super tie-break à 6-6 au cinquième set : le vainqueur sera le premier ayant atteint 10 points (avec deux points d'écart).

A Wimbledon, l'édition 2019 inaugurera un tie-break à 12-12, garantissant un compromis entre la durée raisonnable d'un match (un score de 12-12 faisant office de sixième set) et le spectacle à offrir aux fans.

Quant à l'US Open, il restera sur son tie-break standard à 6-6. Rien de nouveau du côté de Big Apple, passé au format 2.0 depuis belle lurette.

Les problème du tennis sont autres, et Australiens comme Anglais ont bien fait de ne pas se tromper de combat en changeant rapidement leurs règles : mieux répartir un prize money trop exponentiel, élaguer un calendrier démentiel qui ne laisse que décembre en jachère, lutter contre le dopage, lutter contre les matches truqués du circuit ATP, protéger la santé des joueurs de la canicule à Flushing Meadows et à Melbourne Park (en instaurant au delà de 35°C une pause de cinq minutes entre chaque set, chez les dames comme les messieurs), défendre le format en 3 sets gagnants et ne pas aller vers les mini-sets testés au Masters U21 Next Gen depuis 2017 à Milan ...

La Lombardie ne doit pas devenir le laboratoire d'un futur ubuesque pour la petite balle jaune, et ne pas toucher à l'ADN du jeu, ce qui fait sa substantifique moelle ...


Lire l'article complet, et les commentaires