2007, année des rendez-vous manqués, réponse d’un citoyen à Jospin et Villepin

par Bernard Dugué
vendredi 30 juin 2006

Dominique de Villepin est connu pour afficher une vision claire de l’élection présidentielle décrite comme la rencontre d’un homme et d’un peuple. Néanmoins, si l’on admet que le peuple n’est plus celui d’un Michelet, voire d’un Renan, alors quel sens accorder à cette élection et à cette idée de rencontre ?

L’histoire est riche de héros et d’événements historiques où effectivement un homme a rencontré un peuple. Oui, mais pas dans les meilleures situations, ni avec des desseins louables. Pétain a rencontré le peuple français en 1940, quant aux Allemands, Hitler leur a fait croire qu’ils pouvaient le rencontrer, et si cette rencontre a eu lieu, c’est entre un non-peuple qui s’est cru investi d’un destin de peuple par l’habileté d’une caste de dirigeants sans scrupule, froids, technocrates, copies des nouveaux apparatchiks soviétiques de 1927 si bien croqués par le philosophe Berdiaev. Les nazis on voulu fabriquer un peuple ! Voilà la face sombre. Maintenant, la face moins sombre reste la rencontre entre de Gaulle et les Français à plusieurs occasions, et notamment lors de la naissance de la Ve République. C’est ce vertige historique auquel fait allusion Villepin, vertige inutile à louer, tant les temps ont changé. Comment rencontrer un peuple si celui-ci n’existe plus ? Car telle est la situation. La France, comme toutes les sociétés avancées, est devenue une association d’individus démocratiques peu soucieux du passé national et encore moins de l’avenir. L’histoire n’est pas faite que de ces rencontres entre deux instances, l’un et le multiple. Il y a aussi les idées incarnées, la Nation, l’Esprit d’une époque... Pétain, a-t-on pu dire, a incarné le Peuple sans la France, de Gaulle, la France (éternelle, idéelle) sans le peuple. La plus belle des solutions serait qu’un homme politique puisse incarner à la fois son peuple, sa rencontre, et la nation au sens idéel. Le peuple n’existant plus, il pourrait se tenir auprès des citoyens, comme un maître aux autorités diverses, se réclamant du passé le plus radieux et de l’avenir le plus prometteur. Mais là, c’est une idéalité peu crédible, si on attend qu’elle puisse se réaliser. Villepin se croit dans une superproduction gaullienne, mais les temps ont changé.

 

 

2007. Rien de commun avec 1958, et le contexte qui a vu naître la Ve République à l’instigation du Général qui pensait le peuple suffisamment immature pour lui proposer l’élection au suffrage universel d’un chef suprême. La France a changé. En 2007, la question n’est pas tant celle de la rencontre d’un homme d’Etat (d’histoire) avec le peuple que la rencontre d’un peuple avec lui-même, autrement dit, la naissance d’une connivence citoyenne au lieu d’une superposition d’individus démocratiques centrés sur leurs intérêts et se retrouvant en petits comités si leurs intérêts convergent en vue d’une action commune. Cette connivence se produit parfois, mais c’est hélas temporaire, une campagne sur le TCE étant éphémère comme un Mondial de foot, autre prétexte, moins intellectuel, à une connivence entre individus. Et les grandes idées, l’Esprit d’une époque ?

 

 

Autant nous pouvons espérer une rencontre des citoyens entre eux, autant il faut redouter ce phénomène lorsqu’il se produit en un seul homme qui, ayant des ambitions présidentielles, décide de se rencontrer avec lui-même et avec son destin imaginé (imaginaire). C’est justement ce qui s’est passé avec Lionel Jospin qui, à l’occasion d’une tribune dans Le Monde et d’un passage au JT, s’est enfin rencontré avec lui-même ; mais a-t-il rencontré les citoyens ? A mon avis, partagé certainement, la réponse est non. Jospin est apparu comme une pièce du jeu politique, sorte de tour, ou de fou, venant se placer sur un échiquier incomplet.

 

 

Moins métaphorique mais plus allégorique serait une comparaison de la venue de Lionel à la tâche d’un chef d’entreprise venu communiquer pour régler une situation de crise. C’est ce qui s’est passé récemment à l’occasion de la commercialisation d’un lot de steaks hachés avariés, et Michel-Edouard Leclerc de se montrer face aux caméras et médias pour garantir que la situation est en main. Jospin est dans une position similaire ou presque, se présentant devant les caméras et se positionnant en gestionnaire d’une crise, ou du moins en candidat à l’investiture pour la plus haute fonction dans l’ordre des gestionnaires de crise, étant entendu que, selon les termes de l’intéressé, la France n’est pas en déclin mais en crise, à l’instar des centres Leclerc, en crise mais nullement au bord du dépôt de bilan. Bon courage, Lionel, si tu penses que les individus sont des actionnaires et des consommateurs de politique, lance-toi comme tes concurrents, Dominique, Djack, Ségolène, Martine, François, Laurent, quoique, Lolo, il puisse se réclamer d’une légitimité particulière, après sa prise de position sur le TCE !

 

 

Cela dit, il nous faut quand même constater que les individus démocratiques sont plus des consommateurs de politique que des acteurs. En lisant l’édito de Jospin, on sera étonné, mais pas surpris, du style et du contenu. A aucun moment il n’est question de faire appel à l’action des citoyens, à une complicité entre la société civile et les gouvernants, à une synergie entre le politique et les individus. Jospin est une pièce dans un jeu à haut rang de chaises musicales. Comme les autres, mais grâce à son intervention de pièce rapportée, il dévoile l’essence de ces prochaines élections où, en fin de compte, le trait dominant sera l’absence de rencontre, si bien que 2007 se prépare déjà à se positionner comme l’année des rendez-vous manqués. On en reparlera dans un an.

 

 

Le facteur sonne deux fois, l’électeur t’a sonné deux fois Lionel, alors, pourquoi un pari inutile ? Paris vaut bien une messe, la France ne mérite pas un pari. Il n’y a pas de crise française, mais une crise de civilisation à l’échelle mondiale. A quoi bon te présenter comme le PDG providentiel d’une société en crise, si ce n’est pour ajuster la crise nationale à la crise internationale ? La France, avec son passé, et son génie pas encore enseveli, a pour mission d’inventer, avec d’autres peuples, d’autres nations, d’autres citoyens, un avenir inédit, au lieu de faire du suivisme dans les champs technologique, économique, financier. La véritable alternative sera entre un politique qui s’alignera sur les évolutions matérialistes associées aux diktats des classes bourgeoises et un visionnaire qui saura catalyser des énergies nouvelles, solidaires mais pas collectivistes, créatives mais pas opportunistes, généreuses avec tempérance. Le concept que je propose, ce n’est pas le développement durable, mais le développement admirable !

 

 

 


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