2007 sans enjeu véritable
par Bernard Dugué
jeudi 31 août 2006
La nation n’existe pas, les élections servent à autre chose qu’au politique.
La nation fut sans doute une fiction intellectuelle et politique construite par quelques penseurs et gouvernants de la Troisième République. Les peuples y ont cru. Les nations ont fourni le ressort permettant d’éviter une désagrégation prématurée mais les pouvoirs étant ce qu’ils sont, la corruption des Etats et des âmes a fini par plonger les nations européennes au bord du suicide, avec un cortège de désastres et autres tragédies. Le Général fut le dernier à se réclamer d’une unité nationale pour conduire et justifier sa politique.
2007 s’ouvre vers quelques thèmes de campagne présidentielle. On aura noté "la France d’après", marotte intellectuelle de Nicolas Sarkozy rivalisant avec ce fameux "désir d’avenir" lancé par Ségolène Royal. Pourtant, les thèmes dominants restent la sécurité (physique et économique), la croissance, le pouvoir d’achat, bref, rien de très neuf. Comment résoudre ce paradoxe ? En supposant que le changement repose en premier - et sans doute dernier - ressort sur la capacité des gouvernements à réformer l’Etat et ce faisant, à répondre de manière plus efficace aux attentes supposées des Français... En caricaturant, cela revient à changer de véhicule. Plus sûr, meilleure tenue de route, plus de puissance et moins de consommation.
Avec le recul, compte tenu des transformations sociales opérées depuis deux ou trois siècles et des tendances dévoilées lors des dernières décennies, on se demandera si les sociétés occidentales, la nôtre en particulier, ne sont pas arrivées au terme d’un processus de développement dominé par la technique, l’économie, l’usage des instruments et autres technologies. Une fin qui n’est pas celle de l’histoire, mais celle de la mécanisation du monde et du développement technique, dont on ne sait s’il va encore produire des innovations. En une métaphore, le réacteur technologique universel peut-il produire du nouveau, ou bien est-il limité dans sa progression, à l’image d’un réacteur chimique une fois les réactifs consommés et la réaction achevée ? Je n’ai pas la réponse.
La nation telle qu’elle fut pensée par Renan reposait sur le partage d’un ensemble de valeurs, sur un rassemblement d’esprits autour d’une culture censée incarner le génie national, de grands principes, sur le partage d’une vision et d’un désir d’avenir, d’une unité spirituelle, d’un sens commun. Cet âge est révolu. L’Etat-nation a fait son temps, se métamorphosant progressivement en un Etat technicien, dont on pressent la forme terminale avec un ressort médiatique et communicationnel puissant. Ce n’est plus l’aventure collective, ni les grands récits et autres idéologies qui caractérisent l’horizon d’avenir des individus, mais davantage le souci de vivre une trajectoire personnelle. Et sur ce point, les projets, les désirs, les moyens, les situations, les circonstances du hasard et du destin divergent profondément. Les uns occupent une bonne place, les autres non, les uns ont un travail intéressant, les autres non, ou bien sont au chômage. Berline pour les uns, mobylette pour les autres, villa avec piscine, ou location en HLM. Préférence pour aventure ou pour vie stable, goûts pour la culture ou pour les loisirs, musée ou stade de foot, salle de concert ou de cinéma, vie routinière ou multiple. Des drames, accidents, des joies, des tristesses, une existence ennuyeuse ou passionnante, des pratiques artistiques, des enfants, une retraite paisible, des regrets et des espoirs, des emmerdements, des soucis, maladie, voiture en panne, divorce, licenciement, taule... croyance en un au-delà ou matérialisme strict, spiritualités, activités culturelles ou bricolage, décès, naissances, jeu, repos, contemplation, agitation...
La messe est dite. A ce compte-là, comment encore imaginer et concevoir un avenir pensé collectivement ? Dans cette société où les individus se sont différenciés, où les existences n’ont rien de commun, où les préoccupations sont extrêmement diverses si bien que, pour revenir à la case départ, les demandes courantes (qui ne sont pas illégitimes) auprès du politique se résument à la sécurité et au pouvoir d’achat. Un projet collectif n’est plus à l’ordre du jour. Les individus tirent leur sens collectif dans les associations, les tribus, les groupes d’intérêt, les passions communes, les activités locales, les événements sportifs, les grands spectacles, les vedettes et autres célébrités, et bien évidemment les élections, qui constituent aussi un événement marquant pour nos démocraties.
La politique est devenue une affaire de passionné, et se déroule à l’image des compétitions de foot. Les Français ne sont pas si passionnés que ça de politique, à l’exception de cette singulière campagne sur le traité européen en 2005. Le fait est que la question européenne a, selon le principe dialectique, réuni les Français autour de la question nationale. Pour ce qui est de 2007, force est de constater que la politique est pratiquée par une poignée de passionnés qu’on appelle les militants, terme équivalant à celui de supporters affiliés à un club. Les politiciens sont à l’image des joueurs de foot et des dirigeants de club. D’ailleurs, l’aveu de Villepin, il y a peu, est édifiant, quand il s’est imaginé en Zidane, et a comparé un de ses ministres à Henry marquant un but. Dans ce contexte, les électeurs sont des spectateurs, et lorsque les présidentielles se déroulent, la France se met au diapason, comme lors d’un Mundial. La presse et les médias sont au rendez-vous. On a pu dire que les hommes politiques ne sont pas proche des préoccupations des Français. C’est sans doute exagéré, mais force est de constater que l’activité d’un parti est dominée par sa propre logistique, si bien que le programme devient secondaire et, en fin de compte, bien peu original, fait de mesures et autres gadgets censés satisfaire le plus grand nombre. Par ailleurs, les contraintes du système sont telles que même si quelques grandes réformes sont pensables, elles ne sont pas réalisables en l’état actuel de la pratique politique. L’homme politique, lorsqu’il parle, se mire dans le regard de son parti, et se voit dans son miroir d’acteur, mais ne semble pas s’adresser aux électeurs. Il attend les votes, comme l’acteur venu faire sa promo en espérant remplir les salles.
Il ne faut rien espérer de la politique, qui est cependant une affaire assez sérieuse pour qu’on ne s’en moque pas, mais pas assez sérieuse dans son contenu pour qu’on se dispense d’ironiser sur son déroulement spectaculaire, sorte de jeu du cirque médiatique avec ses vedettes. Les mieux placés dans ce rôle s’appellent Nicolas et Ségolène, qu’on imagine parfaite pour monter les marches à Cannes, mais moins pour causer aux militants. Dominique de V. et Djack ne sont pas mauvais. On pourra ironiser aussi sur la désignation des candidats par militants. Sont-ils aptes à choisir un futur chef d’Etat ?
Sachons apprécier cette comédie politique, et revenir aux vrais fondamentaux, à savoir que l’amélioration de nos existences repose essentiellement sur nous-mêmes. On glose sur dix euros de carburant ou deux euros de viande venus grever le budget des familles, et on lance de grandes idées sur le pouvoir d’achat, alors que le meilleur moyen de l’augmenter, c’est de diminuer ses dépenses superflues en maîtrisant ses désirs (cela ne concerne pas ceux qui sont dans la pauvreté). Mais ces choses matérielles ne sont pas l’essentiel. Savoir apprécier l’existence, bien naviguer, choisir quand on dispose d’une possibilité de choix, passion, amis, amours, activités, voilà non pas une philosophie de vie, mais une politique de l’existence. La politique, c’est l’art de gouverner. Et en premier lieu de se gouverner soi-même, autant que faire se peut, dans le sillage de la philosophie stoïcienne.