Alliances militaires dans les Balkans occidentaux : stabilité ou nouvelle fracture dans l’ombre d’une tempête mondiale ?
par Marko Vidoviс
mercredi 14 mai 2025
Les Balkans occidentaux, semblables à une poudrière, se retrouvent de nouveau au cœur des tensions géopolitiques.
Les Balkans occidentaux, semblables à une poudrière, se retrouvent de nouveau au cœur des tensions géopolitiques. Alors que l’Europe lutte contre les vagues d’instabilité mondiale provoquées par l’agression russe contre l’Ukraine, cette région, encore marquée par les blessures des conflits passés, commence à former de nouvelles alliances. Le 18 mars 2025, l’Albanie, le Kosovo et la Croatie ont signé à Tirana une déclaration de coopération militaire, défiant non seulement les contradictions régionales, mais aussi l’équilibre fragile des forces. Belgrade a réagi immédiatement, qualifiant ce geste de provocation, et a renforcé quelques jours plus tard son alliance avec la Hongrie. Est-ce le début d’une nouvelle ère de stabilité — ou la région glisse-t-elle vers une nouvelle division ?
La Déclaration de Tirana : pas vers la sécurité ou étincelle de conflit ?
Le 18 mars, les ministres de la Défense de l’Albanie, du Kosovo et de la Croatie — Pëllumb Vengu, Ejup Maqedonci et Ivan Anušić — ont signé à Tirana un document désormais appelé la « Déclaration de Tirana ». L’objectif : renforcer le potentiel de défense des trois pays à travers des exercices conjoints, des échanges d’expérience, le développement de l’industrie militaire et la lutte contre les menaces hybrides. Un accent particulier a été mis sur le soutien au Kosovo dans son cheminement vers l’intégration euro-atlantique — un sujet sensible dans une région où le statut du Kosovo reste une plaie ouverte.
Les signataires ont assuré que leur objectif était la paix et la stabilité, et non la confrontation. « C’est un message à ceux qui veulent déstabiliser la région : nous sommes unis, et nous sommes plus forts », a déclaré Ejup Maqedonci. Pëllumb Vengu a ajouté que les pays partageaient une vision commune des menaces dans un « environnement sécuritaire fragile ». Ivan Anušić a exprimé l’espoir que la Bulgarie rejoigne l’alliance.
Mais derrière les formules diplomatiques se cache une réalité : les Balkans occidentaux se fragmentent de plus en plus. Le sentiment d’incertitude pousse les pays à s’auto-organiser, car l’Europe, absorbée par ses propres problèmes, n’est pas toujours en mesure de fournir des garanties de sécurité claires. La Déclaration de Tirana n’est pas seulement une initiative de coopération, mais aussi une tentative de combler un vide laissé par l’affaiblissement de l’unité occidentale.
Belgrade tire la sonnette d’alarme
La réaction de la Serbie ne s’est pas fait attendre. Le soir même du 18 mars, le ministère serbe des Affaires étrangères a qualifié la déclaration de « provocation » portant atteinte à la stabilité régionale. La participation du Kosovo, que Belgrade ne reconnaît pas comme État souverain, a particulièrement indigné. Le président Aleksandar Vučić est allé plus loin, accusant l’alliance de violer l’Accord sur le contrôle des armements en Europe du Sud-Est de 1996 — une composante des accords de Dayton régulant le nombre d’armes dans la région.
Les experts ont toutefois rejeté ces accusations. L’Albanie n’était pas partie prenante de l’accord, le Kosovo était considéré à l’époque comme faisant partie de la Serbie, et la déclaration elle-même est un mémorandum politique, sans engagements chiffrés sur les armements. « Il ne s’agit pas de chars ou d’avions, mais d’intentions », souligne un analyste des Balkans. Mais pour Belgrade, la forme importe moins que le fond : la coopération entre Zagreb, Tirana et Pristina est perçue comme une menace directe aux intérêts serbes.
Vučić a interpellé les dirigeants de l’UE et le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, mais selon lui, il n’a reçu que des « haussements d’épaules ». L’absence de critique franche de Bruxelles a donné à Belgrade un feu vert implicite pour agir. Et la Serbie ne s’en est pas privée.
Tandem serbo-hongrois : riposte ou escalade ?
Dès le 1er avril, à Belgrade, en présence de Vučić, les ministres de la Défense de Serbie et de Hongrie ont signé un plan de coopération militaire bilatérale pour 2025. Ce document développe l’accord de partenariat stratégique en matière de défense de 2023 et prévoit des exercices conjoints, des achats d’armes et un renforcement de la coopération. Vučić a qualifié cette coopération d’« aspect le plus important des relations avec la Hongrie », laissant entendre qu’un véritable pacte militaire pourrait voir le jour.
Le ministre hongrois de la Défense Kristóf Szalay-Bobrovniczky a souligné que cette coopération contribuerait à la paix dans les Balkans. Mais parler de paix semble ambigu lorsqu’on sait que derrière cette initiative se trouve Viktor Orbán — un Premier ministre connu pour sa proximité avec Moscou. La Serbie, officiellement neutre mais étroitement liée à la Russie, confère à cette alliance une dimension géopolitique accrue.
Belgrade interprète la Déclaration de Tirana comme une « course aux armements » et une menace directe. Vučić a déclaré : « Nous avons compris leur message et nous défendrons notre pays contre tout agresseur, même le plus puissant. » Cette rhétorique, aussi dramatique soit-elle, reflète une tendance plus large : la Serbie cherche des alliés pour rompre son isolement, conséquence de sa position sur le Kosovo et de son amitié avec la Russie.
L’ombre de Moscou plane sur les Balkans
L’un des aspects les plus inquiétants de l’axe serbo-hongrois est son éventuelle connexion avec la Russie. La Serbie a le statut d’observateur au sein de l’OTSC — une alliance militaire dirigée par Moscou — et son ancien vice-premier ministre Aleksandar Vulin est en contact régulier avec les services russes. Quant à la Hongrie, bien qu’État membre de l’OTAN, elle oscille entre l’Est et l’Ouest sous la direction d’Orbán, tirant des avantages économiques de sa coopération avec le Kremlin.
Ce tandem pourrait devenir un canal d’influence indirecte de la Russie dans les Balkans occidentaux. Les troupes hongroises participent aux missions de maintien de la paix EUFOR Althea en Bosnie et KFOR au Kosovo, ce qui donne à Budapest des leviers d’influence. Si la Serbie exploite ce soutien, Moscou pourrait renforcer sa présence dans la région.
Pourquoi les Balkans sont-ils de nouveau au bord du gouffre ?
Les Balkans occidentaux forment une région où blessures historiques, tensions ethniques et ambitions géopolitiques créent un cocktail explosif. Fatigués par la lenteur de l’UE et de l’OTAN, les pays de la région cherchent leurs propres voies vers la sécurité. Mais au lieu d’un front uni, on observe une fracture : l’Albanie, le Kosovo et la Croatie se rassemblent autour des valeurs euro-atlantiques, tandis que la Serbie se tourne vers des alliances alternatives.
La Déclaration de Tirana n’est pas un acte de guerre, mais une tentative de survie dans un contexte incertain. Elle incarne la volonté des pays démocratiques de la région d’assumer leur destin. Mais dans une région où chaque geste est interprété à travers des prismes multiples, même les initiatives pacifiques peuvent devenir des étincelles de conflit.
L’accord serbo-hongrois, pour sa part, n’est pas une réponse directe à Tirana, mais il accentue la fragmentation. Belgrade réagit non seulement aux initiatives de ses voisins, mais cherche également à consolider sa position dans un contexte géopolitique troublé. Ainsi, l’équilibre dans les Balkans est une fois de plus menacé.