Bigeard rempile et râle
par LM
mercredi 18 janvier 2006
Aux éditions du Rocher, en même temps que Régine, qui livre ses souvenirs, l’ancien gégènéral reprend son paquetage et réclame un rab de tripes.
Des tripes, oui, des tripes, nom de Dieu ! C’est ce qui manque au pays actuellement, si l’on en croit Bigeard, gueulard parmi les gueulards, qui n’en peut plus de voir « sa » France commandée par « trois types, c’est-à-dire deux de trop », affaiblie, molle, sans ambition. Il veut réveiller tout ça, et il n’est pas le seul, nous dit-il, assailli par des « centaines de lettres » reçues chaque jour de Français qui pensent comme lui, se désespèrent sans oser le dire.
Bigeard, lui, il ose. Ce n’est pas une cuvette qui l’empêchera de sauter ! Il y va, et règle ses comptes avec Chirac, même si, aujourd’hui, il n’ose pas trop, parce qu’aujourd’hui, Chirac est « malade », et « on ne tire pas sur un homme malade », c’est bien connu ! Pourquoi en veut-il à Chirac ? Pour ses piètres résultats sur le front du chômage ? Pas du tout. S’il lui en veut, c’est parce que Chirac en « chef des armées », n’est pas monté au créneau quand certains ont assimilé Bigeard à un tortionnaire. Bigeard, tortionnaire ? Pensez-vous ! Comment peut-on laisser dire une chose pareille ? Qui a parlé de crevettes ? Quelles crevettes ?
Non, Bigeard n’a rien à se reprocher, c’est un militaire exemplaire, droit dans ses bottes, maintes fois blessé, maintes fois reparti au combat, c’est un exemple pour la France. Comme... Brigitte Bardot, par exemple. Mais je m’emporte, le vieux général, 90 piges quand même, va m’en vouloir, il serait foutu de me sauter sur le paletot, avec des blagues pareilles ! Surtout que, bon, moi, je fais partie de la génération qui a vu avec un œil ravi la suppression de l’inutile service militaire obligatoire ! Oui, mon général, j’ai trouvé ça génial ! Génial, oui, de ne pas me coltiner une chambrée de bas du front qui rêvent de faire des pompes en se levant, de ramper sous des barbelés ou de courir dans la boue jusqu’au genou avec sur le dos un sac de trente kilos ! J’ai été plus qu’heureux, de report en report, de passer au travers de ce bizutage splendide, ce carnaval de forts en gueule tout juste bons à taper dans un ballon, mais passons.
Bigeard, lui, est loin de cet avis, et pense qu’on devrait rétablir tout ça, l’autorité, bien sûr, l’apprentissage de l’ordre, de l’obéissance, de l’amour du drapeau, à tous ces jeunes abrutis qui ne pensent qu’à ne rien foutre à longueur de journées ! C’est pas dans sa cour d’immeuble qu’on brûlerait une voiture ! Aujourd’hui, rien ne va, on n’est même pas capable de se dépatouiller des terroristes, alors que de son temps, c’est sûr, on leur aurait réglé leur compte plus vite que le courant circule dans une salle de bain, entre le transformateur et les testicules ! Ce qu’il nous faudrait, là, tout de suite, ce n’est pas un Bigeard, trop vieux, mais un Général, ça oui, c’est sûr, une sorte de « de Gaulle 2006 », nous dit le vieil homme. Ah, de Gaulle, y’avait longtemps ! Mais quel de Gaulle, au fait ? Celui qui conduisait la France vers la Résistance, ou celui qui ne voyait que d’un œil distrait quelques Arabes tomber dans la Seine, en octobre 1961 ?
C’est toujours pareil, avec les militaires, ils ne se souviennent que de leurs victoires, et accusent les autres de leurs défaites. Eux, jamais. Mais de Gaule n’est pas le seul à trouver grâce aux yeux fatigués du général. Il y a aussi Giscard. Giscard, « le type le plus intelligent que je connaisse », dit Bigeard. Voilà qui fera plaisir à l’architecte des volcans d’Auvergne, qui est en passe de ruiner la région avec son Vulcania éteint, ça lui fera chaud au cœur qu’un ancien militaire sur la fin lui tresse quelques lauriers. Nul doute qu’il s’en délectera l’accordéon. Et les jeunes, dans tout ça ? Parce que bon, de Gaulle, Giscard, c’est pas des perdreaux, et c’est pas l’année, alors les jeunes, dans tout ça ? Ils ignorent le respect, ma bonne dame, et ça, pour l’amateur de crustacés qui ne se saute pas que dans les cuvettes, c’est intolérable. Où est donc passé l’honneur du pays ? Quid du patriotisme ?
Ah, si on pouvait revenir à ces temps rêvés de l’après-guerre, où les Français « n’avaient rien à manger, vivaient de peu, mais avaient une volonté terrible, étaient heureux d’être libérés », nous raconte le vieux grigou. « C’était autre chose », conclut-il. Aujourd’hui, que faudrait-il donc pour redresser le pays, excepté un homme providentiel, un « chef, un vrai » ? Que faudrait-il ? Un ou deux fils bien branchés ? Un couteau bien aiguisé ? Un peu de béton ? Bigeard assure qu’aujourd’hui encore, régulièrement, des gens « importants » lui demandent des conseils.
C’est l’autre point commun avec Brigitte Bardot, le syndrome « je dis tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. »
Bigeard a-t-il un plan ? Bigeard a-t-il une stratégie ? Que pense-t-il de Ségolène Royal ? Que pense-t-il de Dominique Strauss-Kahn clownant la marseillaise entre la minute blonde et le journal people chez Denisot ?
Il faudrait le lui demander, parce que ça, il ne l’a pas écrit.
Autre chose : « sa » France, comme il l’appelle, faut-il en être fier ? N’était-ce pas une France que le général Aussaresses voyait lui aussi d’un bon œil ?
Allez, mon Gégènéral, adieu donc, puisque vous l’écrivez, adieu, et sans rancune, partez en paix. La France s’en remettra.