Canicule, la sécurité en perspective
par Gérard Ayache
mercredi 26 juillet 2006
La chaleur caniculaire qui frappe la France comme une large partie de l’Europe, en ce mois de juillet, est un épiphénomène du changement climatique de la planète. L’atmosphère se réchauffe, les activités humaines sont vraisemblablement responsables ; nous ne savons pas où cela nous mènera. La seule chose certaine est que le phénomène s’accélère et que le changement climatique met définitivement notre sécurité en perspective.
En remettant, en 2004, le Prix Nobel de la paix à la militante écologiste kenyane Wangari Maathai le président Ole Danbolt Mjoes prononçait une phrase qui pose les jalons d’une nouvelle conception de la sécurité : « La paix sur la terre dépend de notre capacité à préserver notre environnement. » La même année, un rapport commandé par le Département américain de la Défense et rédigé par deux experts, Peter Schwartz et Doug Randall de Global Business Network, décrivait dans le détail les modalités et les conséquences d’un changement climatique brutal sur la sécurité mondiale. Les auteurs concluaient leur rapport sur un « monde d’États en guerre ». Toujours la même année, fut publié le rapport final du High-Level Panel on Threats, Challenges and Change, composé de seize membres internationalement reconnus, nommés par le Secrétaire général des Nations-Unies, Kofi Annan, pour examiner les principales menaces et défis auxquels le monde devrait faire face, au XXIe siècle. Parmi les conclusions de ce rapport on relève celle-ci : « Les changements environnementaux peuvent menacer la sécurité mondiale, nationale et individuelle » . En avril 2006 fut publié, en France, le rapport de la Commission d’information de l’Assemblée Nationale sur le changement climatique. Dans cet ouvrage, les rapporteurs ne font plus de contorsions verbales ; ils annoncent, d’emblée, que « l’accélération du changement climatique est brutale, profonde, définitive. » Les effets de cette menace sont « prévisibles, calculés, dévastateurs. Les changements climatiques se déroulent sous nos yeux. » Le rapport parlementaire évoque l’impératif de construire « un argumentaire de la catastrophe annoncée » et la nécessité de devenir « les maîtres d’un art de l’alarme ». Il affirme enfin notre passage « dans un nouvel âge de la responsabilité » et l’urgence de favoriser l’essor d’un nouvel humanisme.
Deux idées se rejoignent ainsi pour amorcer un changement de conscience et l’émergence d’un nouveau modèle de sécurité. La première idée est que les problèmes environnementaux menacent la paix du monde et ont un impact direct sur la sécurité ; la seconde idée est que le changement climatique n’est pas un événement progressif dont les effets graves pourraient être expédiés dans un futur lointain, mais que le processus de rupture de seuil peut être brutal et proche, à l’échelle de temps d’une vie humaine.
Ce changement de conception de la sécurité est un des mouvements les plus importants de notre époque. Il ne se produit pas sans difficultés, sans confusion et sans oppositions.
Les opposants à l’idée de sécurité humaine s’accrochent fébrilement à la conception la plus étroite assimilant la sécurité à la défense. Ils n’acceptent comme menaces légitimes que les phénomènes qui sont considérés capables de mauvaises intentions ou comme le produit de mauvaises intentions. L’intentionnalité étant le critère légitimant fondamental. Le terrorisme entre dans cette catégorie ; par contre, les changements climatiques et les autres formes de dégradations environnementales ne sont généralement pas acceptés comme des menaces crédibles quelle que soient l’ampleur des dégâts et le nombre de victimes qu’ils provoquent. (Selon Gregory Forster, Professeur à la National Defence University de Washington, même si on laisse de côté les tremblements de terre, les éruptions volcaniques et les épidémies et que l’on ne compte pas les blessés et les autres effets ‘collatéraux’, il y a trois fois plus de personnes qui meurent chaque année en moyenne de catastrophes naturelles pouvant être liées au changement climatique ou pouvant être exacerbées par lui, que de personnes tuées ou blessées dans les 37dernières années d’actions terroristes.)
Ces phénomènes climatiques sont implicitement laissés de côté et considérés comme des événements purement naturels et de nature métaphysique, ce qui les met hors de portée de toute intervention humaine. Les mesures punitives n’ont pas de sens à leur égard... Ces oppositions suggèrent que le modèle dominant en matière de sécurité -celui qui accorde la primauté à l’usage de la force- nous tient intellectuellement en otage et interdit le développement d’une politique stratégique compensatoire qui envisagerait le futur autrement que comme un mur. Le syndrome du Titanic est toujours vivace.
Le futur frappant à la porte du présent, il est urgent de construire une stratégie de sécurité humaine. Ce changement de perspective permettrait de mettre en œuvre, dès à présent des mesures propres, non pas à éviter la catastrophe, mais à en diminuer les effets sur la sécurité publique. Dans cette pensée stratégique nouvelle, à dimension humaine, le rôle de l’armée est à repenser en profondeur. L’armée ne peut plus se contenter d’être une force au service de l’État ; elle doit, pour être stratégiquement efficace, devenir un instrument de pouvoir au service de la société dans son ensemble, voire de l’humanité. Dans cette optique, elle devrait être complètement réorganisée, se doter de moyens spécifiques pour non seulement maintenir la paix mais assurer la survie. Dans le même esprit, les politiques d’urbanisme, de construction des logements, la logistique de transport et de protection des énergies vitales (électricité, eau, communications), l’architecture de nos moyens de circulation, de nos systèmes de santé publique, etc... devraient être immédiatement revues à la lumière d’une catastrophe considérée comme inéluctable.