De l’argent pour le Hamas ou comment culpabiliser l’Europe

par Claude Tencer
lundi 5 juin 2006

Depuis la victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier, le gouvernement palestinien dirigé par Le Hamas apparaît de plus en plus isolé par l’Occident. Les Américains, les Israéliens et les Européens ont suspendu toute aide à l’Autorité palestinienne, refusant de financer un mouvement accusé de cautionner le terrorisme. Pourtant, le précédent gouvernement palestinien bénéficiait d’une aide internationale d’environ 780 millions d’euros. Le Hamas revendique depuis les accords d’Oslo plusieurs dizaines d’attentats suicides contre des civils israéliens, et il s’oppose à tous les accords signés entre Israël et l’autorité palestinienne.

Etonnante, l’annonce faite par le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, au président palestinien, Mahmoud Abbas, l’avisant du désistement de la Ligue arabe dans l’aide à l’autorité palestinienne et le règlement des salaires des fonctionnaires palestiniens, une aide estimée à plus de 70 millions de dollars, provenant des contributions des pays arabes membres. Toutefois, la Ligue arabe avise qu’elle est apte à verser cette somme aux fonctionnaires, néanmoins elle étudie les moyens pour transférer cette somme.

Alors que la Ligue arabe fait des manœuvres politiques pour esquiver l’aide financière au gouvernement du Hamas, on culpabilise l’Europe d’être quasi responsable de la détresse palestinienne. Pourtant, plus de 70% de la population palestinienne a voté démocratiquement le 25 janvier pour élire le Hamas, qui a su durant des années mobiliser de l’argent pour se procurer des armes, bâtir des ateliers pour fabriquer des explosifs, des roquettes « Kassam » ou encore payer des pensions aux familles desdits « martyrs ». Où est à présent cet argent, qui pouvait garantir une vie plus décente aux Palestiniens ? La motivation du Hamas, qui a su récolter des millions de dollars lorsqu’il était dans l’opposition, se trouve-t-elle à présent défaillante ?

Nous estimons que le siège économique et politique vise à contraindre le gouvernement palestinien à faire des concessions politiques [...] Toutes les parties doivent agir de façon réaliste et traiter directement avec le gouvernement palestinien élu, annonce le Premier ministre palestinien, Ismaïl Haniyeh, celui même qui a justifié auprès du Washington Post début 2002, l’utilisation des bombes humaines : Les juifs aiment la vie plus qu’aucun autre peuple et ils préfèrent ne pas mourir. Ainsi les bombes humaines palestiniennes sont l’arme idéale pour les user

L’UE et les Etats-Unis ont inscrit le Hamas dans la liste des organisations terroristes ou celles qui sponsorisent le terrorisme. Ils ont gelé l’aide aux Palestiniens transitant par le nouveau gouvernement du Hamas, et exigent pour la reprendre que le Hamas renonce officiellement à la violence et reconnaisse Israël, ce que le Hamas exclut. Pour nous, le principe reste le même. Nous voulons répondre aux besoins humanitaires du peuple palestinien, mais nous n’allons pas fournir de l’argent à une organisation terroriste, a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Sean McCormack.

Les banques locales, arabes et internationales craignent en effet de s’exposer à des sanctions américaines au cas où elles contribueraient à briser le blocus financier décrété par Washington à l’encontre du Hamas. Le gouvernement américain est en effet habilité par la loi à geler les avoirs de toute banque étrangère demeurant aux Etats-Unis qui entrave ses efforts pour asphyxier financièrement un gouvernement présenté comme une organisation terroriste ayant de plus comme objectif d’anéantir un Etat reconnu comme membre de la communauté internationale.

Le Prince Saoud al-Faisal, ministre saoudien des Affaires étrangères, a tenté aussi, sans succès, de convaincre l’administration Bush que la suspension des aides au gouvernement palestinien et l’isolement de ses dirigeants issus du Hamas pourraient conduire à la radicalisation de la population et au retardement de la paix avec Israël. C’est en prenant en considération le Hamas que l’on pourra le faire changer de position, a plaidé mercredi 17 mai le Prince Saoud Al-Faisal lors d’une réunion aux Nations unies. Une déclaration de plus, sans action concrète, de la part d’un des pays arabes les plus riches du monde refusant de verser un iota au gouvernement palestinien.

Pour l’instant, la majorité des Palestiniens impute la crise aux Etats-Unis, à l’UE et à Israël, mais un nombre croissant de voix réclame un assouplissement de la position du Hamas.

Pourquoi alors les pays arabes n’optent-ils pas pour une aide humanitaire, à défaut de pouvoir apporter un aide financière au gouvernement du Hamas, préférant plaider l’urgence de l’aide financière auprès des Américains et des Européens ? Le gouvernement palestinien ne fait pas appel non plus à une aide humanitaire, mais insiste pour obtenir cette aide financière. N’a-t-il pas d’autres objectifs que d’aider la population qualifiée « d’affamée » ? Pourquoi les pays arabes les plus riches se font-ils aussi discrets envers les Palestiniens ?

Un contentieux entre certains pays arabes du Golfe et les Palestiniens demeure en effet depuis la première Guerre du Golfe, lorsqu’Arafat a proposé à Saddam Hussein le sang des Palestiniens, tandis qu’il envahissait son voisin, le Koweït. Des manifestations de soutien à Saddam Hussein ont éclaté un peu partout, et dans les territoires palestiniens, concluant en représailles le limogeage de plus de 300 000 Palestiniens du Koweït. Pourtant, c’est au Koweït qu’Arafat et son staff ont créé le Fath, principale composante de l’OLP.

La commissaire européenne chargée des relations extérieures de l’UE, l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, estime que Washington ne prévoyait pas de contribuer à l’aide proposée par l’UE, mais ne s’opposait pas à la création d’un fond d’aide directe qui ne passerait pas par le gouvernement du Hamas. La Banque mondiale gère déjà un fonds fiduciaire auquel contribuent de nombreux pays donateurs, créé en 2004 pour mieux contrôler l’utilisation de l’aide. Le mécanisme souhaité par les Européens pourrait fonctionner sur ce modèle. L’UE, qui verse une aide aux Palestiniens à hauteur de quelque 500 millions d’euros par an, a également demandé aux pays arabes d’y contribuer. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal, qui se trouvait à Bruxelles, a affirmé que son pays essayait d’apporter une aide... Une manœuvre politique pour se désister d’une certaine fraternité peu attractive, ou pour anesthésier le gouvernement palestinien, dont ils ne sont guère les supporters les plus sympathisants ?

Tandis que les Européens, sensibles aux causes humanitaires, tentent de trouver un moyen pratique pour apporter leur aide directe au peuple palestinien, Khaled Mechaal, le chef du Bureau politique du Hamas, exhorte les partisans du Hamas à travers le monde à envoyer aux Palestiniens des armes, des hommes et de l’argent, pour soutenir leur lutte contre Israël. Nous demandons à tous les habitants des pays arabes et du monde musulman, et à tous ceux qui nous soutiennent, de nous envoyer des armes, de l’argent et des hommes... Il s’agit de résistance, pas de terrorisme, a-t-il affirmé le 10 mai, depuis le Qatar.

La surprise tombe le 30 mai 2006 lorsque le Premier ministre palestinien, Ismaïl Haniyeh, annonce à l’ouverture de la réunion hebdomadaire du cabinet, qu’un quart des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne, qui n’ont pas été payés depuis mars, va percevoir un mois de salaire dans les prochains jours. Le ministère des Finances va payer le plein salaire d’un mois à tous les fonctionnaires dont les salaires ne dépassent pas 1500 shekels (330 dollars) et dont le nombre s’élève à 40 000, a déclaré M. Haniyeh. Les fonctionnaires dont le salaire est supérieur à 1500 shekels percevront une avance sur salaire égale à cette somme. A noter que l’Autorité palestinienne emploie quelque 160 000 fonctionnaires, pour une masse salariale s’élevant à quelque 120 millions de dollars par mois.

Mercredi 31 mai 2006, le ministre palestinien des Finances annonce que le gouvernement dirigé par le Hamas va payer les arriérés de salaires de ses 40 000 fonctionnaires d’ici deux jours. Omar Abdel Razek précise que ne seraient versés que les salaires les moins élevés de l’Autorité palestinienne, c’est-à-dire de moins de 1500 shekels (270 euros). Les autres fonctionnaires ne seront pas payés dans l’immédiat. Nul ne peut imaginer par quel miracle les caisses du gouvernement se sont remplies. D’ailleurs, M. Haniyeh n’a pas précisé quelle était l’origine de ces fonds.

De la poudre aux yeux, ou une manœuvre politique pour culpabiliser l’Europe des éventuels résultats économiques catastrophiques pouvant affecter les Palestiniens, ces mêmes Palestiniens pourtant préférant élire un gouvernement issu du mouvement Hamas afin de continuer la lutte anti-israélienne et antiaméricaine ? Si nul n’a le droit d’interférer dans les affaires d’un pays, et puisque nous devons respecter toute élection démocratique, pourquoi intervenir dans une bonne ou mauvaise gestion d’un pays ? Sommes-nous coupables de la gestion de ces dirigeants qui ont été démocratiquement élus ?

N’est-il pas plus facile pour certains de distinguer de « réels » problèmes humanitaires loin de chez eux, plutôt que de concentrer leurs efforts sur nos malheureux, nos SDF et nos familles, qui ne sont pas moins en détresse économique que les autres pauvres du monde...


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