De la nécessaire légalisation de la prostitution
par Sylvain Reboul
lundi 20 mars 2006
On ne voit pas très bien ce que le métier de prostitué(e) aurait de plus moralement dégradant que d’autres métiers dits « de services » ; ce qui l’est c’est, d’une part, le regard hypocrite d’une société qui le méprise tout en l’exploitant (en tous les sens du terme), d’autre part, et surtout, les conditions de cette exploitation, du fait de cette condamnation morale de façade.
Tout métier
de service à la personne pourrait, si on pousse la logique des choses, être considéré comme de la
prostitution. La condamnation "moraliste" du seul service qu’est le service sexuel est en droit
injustifiable ; du reste le droit n’interdit pas la prostitution, mais
le proxénétisme, généré par le refus de soumettre ce métier au droit
social ordinaire. Il
y aurait donc une contradiction à refuser certains droits
sociaux aux prostitué(e)s, au nom d’un refus moral de la prostitution, alors que celle-ci n’est pas, en droit, interdite et qu’elle est une profession légalement fiscalisée et donc reconnue.
Examinons les élements de ce paradoxe :
On
ne voit pas, en effet, en quoi le sexe serait un organe corporel
différent de la main qui masse ou qui coupe les cheveux ou qui
soigne... à moins de considérer que la
sexualité en général doit être
soumise à des normes ou interdits moraux particuliers, ce
qui avait peut-être encore un sens à une époque
où la contraception n’existait pas, mais n’en a plus
aujourd’hui. Les seuls motifs
de cette différence paraissent d’ordre religieux et donc ne
valent
que pour ceux qui y adhèrent, non pour tous. Le problème est
donc que le point de vue moral des adversaires de la prostitution n’est
pas nécessairement celui de tout le monde ; chacun a le droit de
considérer que la prostituion est un service comme un autre, et je ne
vois pas au nom de quelle morale valant pour tous on pourrait imposer
aux autres, clien(e)ts et prostitué(e)s consentant(e)s, la morale
particulière qui est celle de ses adversaires. Personnellement, je n’aime pas la boxe
que j’estime violente, mais je n’en demande pas l’interdiction pour
autant, dès lors que les boxeurs (adultes et vaccinés) ne la voient pas
comme telle ou consentent à cette violence comme plaisir lié à leur
sport.
Si c’est en effet le droit des adversaires de la prostitution de la
refuser pour eux-mêmes, ce ne l’est pas de l’interdire aux
autres.Ce qui fait que le
droit, par principe libéral et universaliste, ne peut interdire
la
prostitution (laquelle ne concerne pas que les femmes), ce qui est
effectivement le cas : le droit interdit le proxénétisme
et le racolage sur la voie publique, pas la prostitution. Il est
alors absurde de voir le droit condamner pour
proxénétisme quiconque vit avec un(e) prostitué(e)
ou loue un logement ou une chambre à un(e) prostitué(e ),
etc.
Ainsi, si nul ne n’oblige personne à se
prostituer ou à fréquenter les prostitué(e)s,
on ne voit pas en quoi il faudrait interdire la prostitution,
comme service rémunéré à la personne,
à ceux qui y consentent . De plus, la fausse interdiction
actuelle a pour seul résultat de transformer la prostitution en
esclavage et en entreprise mafieuse, dont les pratiques sont contraires
aux droits des hommes et des femmes prostitués.
C’est un tel déni des droits des prostitué(e)s qui est injustifiable, alors qu’ils ou elles ont le droit d’exercer ce métier. Pour sortir de cette contradiction, il faut donc sortir de l’hypocrisie qui consiste à condamner la prostitution et surtout les prostitué(e)s pour des raisons « moralistes » particulières et à « tolérer » l’exercice de leur métier dans les conditions les plus intolérables pour eux ou elles et les plus dangereuses pour la santé publique, du fait même de cette condamnation injustifiable en droit. Il faut donc légaliser la prostitution, de telle sorte que les prostitué(e)s jouissent du droit social de tous les autres travailleurs, et que les exigences de santé publique particulières à cette profession puissent s’appliquer comme dans les autres.