Dérives fascistes à l’ombre de la démocratie ?

par J-B.
mardi 18 avril 2006

Les craintes formulées par certains, dans la crise que traverse actuellement la France, de voir réapparaître un vote lepéniste aux prochaines élections méritent qu’on s’y arrête.

Lorsqu’on lit, dans la presse ou sur Agoravox, des témoignages d’étudiants ou de lycéens victimes du blocage de leurs universités ou lycées, on peut être frappé par la récurrence du terme fasciste utilisé pour qualifier les méthodes employées par les bloqueurs (vote à main levée, intimidations, insultes, interdiction de s’exprimer sereinement...), alors que, dans le même temps, on prétendait donner une caution démocratique, par le recours au vote, à un mode d’action qui n’en reste pas moins illégal et anti-démocratique, ne relevant nullement de l’intérêt général et portant atteinte aux libertés de travailler et de circuler.

La fin de certains blocages par la force, ou la fermeture de certaines facultés pour calmer les tensions entre les étudiants en sont du reste la preuve. Deuxième point pouvant susciter l’attention, ce sont les craintes formulées par certains, là aussi de façon régulière, de voir réapparaître un vote lepéniste aux prochaines élections, à la suite de la crise que traverse le pays, après les émeutes dans les banlieues à l’automne dernier.

Lorsqu’on considère certains aspects de la crise actuelle, on peut à bon droit s’inquiéter des dérives de notre belle démocratie, dérives institutionnelles sans aucun doute, mais aussi dérives dans les comportements des personnes elles-mêmes.

Quand on observe sur le terrain comment les choses se sont passées, il n’échappe à personne que ce mouvement de jeunes n’a pas vraiment été spontané, ni le résultat d’une réflexion bien informée sur la situation du travail en France par exemple. Nous avons pu assister (et ce n’est pas nouveau) à une orchestration "syndicalo- médiatico- politicienne" du mouvement. Des adultes de tous bords utilisent des jeunes (qui s’entraînent entre eux pour des raisons qui n’ont souvent rien de politique), les encadrent ou les enrégimentent, les amènent à répéter des slogans ou arguments ressassés à satiété par des responsables politiques ou syndicaux, eux-mêmes relayés par les médias - quand ce n’est pas l’inverse : les médias imposant leur grille de lecture et leurs petites phrases à certains responsables, dans un bel unanimisme.

D’aucuns, Mme Royal par exemple, se réjouissent à présent de l’"engagement" politique de la jeunesse, de son élan "citoyen", de sa "résistance". Pourtant, quand on écoute les lycéens que l’on a sous les yeux, de vrais jeunes, aurait-on envie de dire, pas ceux soigneusement choisis par les médias, ni cette généralité abstraite qui arrange visiblement certains, on ne peut que s’interroger sur cet apprentissage politique, qui relève tout autant de la manipulation que d’un réel engagement pour certains. Jeter la jeunesse dans la rue, ou plutôt lui emboîter le pas, est une stratégie familière à la gauche française en mal de projet politique. Cela relève de la démagogie.

Mais, historiquement, enrégimenter la jeunesse est aussi une méthode fasciste. Et l’on enrégimente les jeunes d’autant plus facilement qu’ils sont moins éclairés. Or, l’un des aspects préoccupants de cette crise est le mode d’action choisi : le blocage d’établissements scolaires. Là encore, certains ne tarissent pas d’éloge sur l’organisation démocratique des jeunes dans une telle circonstance. On peut tout de même se demander ce qu’il y a de démocratique à nuire ainsi à ses pairs. Une telle action n’a rien à voir avec les piquets de grève des ouvriers qui, en empêchant la production, nuisent à leur patron. Et il est bien difficile aussi de faire croire qu’on est "solidaire" quand on se donne un tel pouvoir de nuisance sur les autres, prétendant le faire cautionner par un vote.

De plus, interdire l’accès à des lieux d’étude est tristement symbolique. Plutôt que de s’extasier sur cette jeunesse militante, on pourrait peut-être aussi se demander quels étudiants étaient mobilisés. Pour exemple, à Lille, le fer de lance du mouvement était l’université de Lille III, Lettres et sciences humaines : des filières aux débouchés plus qu’incertains, et des bâtiments dans un tel état de vétusté que la faculté doit être fermée. Finalement, le mode d’action choisi ne signe-t-il pas le naufrage d’une université française qui, depuis vingt ans, ne mène nulle part un très grand nombre d’étudiants, le désamour pour les études, l’école, l’acquisition d’un savoir tenu pourtant comme formateur et émancipateur (dans la tradition des Lumières, du moins) ? Et un tel rejet ou renoncement face au travail intellectuel ne laisse-t-il pas la porte ouverte à toute forme de manipulation ?

Quoi qu’il en soit, les jeunes sont les premières victimes de la situation et ils font depuis plus de vingt ans les frais des errements politiques en matière d’éducation, de formation et d’emploi. Et ils ne font aussi que suivre l’exemple lamentable donné par les adultes, qui, depuis 2002, vivent dans un simulacre de démocratie. En effet, le vote d’un président de la République à 82%, dans les circonstances que l’on sait, n’a rien de démocratique. Ce score stalinien a été obtenu récemment par le président algérien ou par celui de la Biélorussie. Sinistres comparaisons.

Comment en est-on arrivé là ?
Au terme d’une campagne inexistante, puis d’une propagande inouïe des médias et de la gauche, lançant- comme d’habitude- ses troupes dans la rue, et agitant le spectre du fascisme (qui n’a pourtant jamais existé en France). Alors on a exigé du plus grand nombre qu’il cautionne par son vote une absence de choix ou un choix imbécile ("Voter escroc et pas facho")- pour maintenir l’illusion d’un fonctionnement démocratique. Dès lors le vote a été vidé de son sens, comme tous ceux qui ont suivi. Et aujourd’hui, les jeunes utilisent le vote comme justification d’actions de toute façon illégales. Les parlementaires votent des lois qu’on n’applique pas, se voient contraints de retirer une loi qu’ils ont pourtant votée...

De tels désordres, à quoi l’on peut ajouter la montée du racisme et de l’intolérance, justifient les craintes d’un nouveau vote lepéniste. Mais les dérives fascistes sont le fait même du fonctionnement de la société dite démocratique et du vide politique auquel nous nous trouvons confrontés.


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