Hezbollah : ou comment un parti « démocratiquement élu » pratique le terrorisme cathodique
par Patrick Adam
mercredi 26 juillet 2006
Arrivant à Larnaka après avoir tenté une évaluation des besoins humanitaires au Liban, Jan Egeland, chef des opérations humanitaires des Nations Unies, a fustigé la « lâcheté » du Hezbollah coupable, selon lui, « de se fondre » parmi la population libanaise et de provoquer ainsi délibérément la mort de centaines de civils. Il rapporte avoir entendu des responsables du Hezbollah dire qu’ils étaient fiers « parce qu’ils avaient perdu très peu de combattants et que ce sont les civils qui subissent le plus gros [des pertes] ». Une telle attitude doit avoir fortement secoué le représentant des Nations Unies puisqu’il n’a pu s’empêcher d’ajouter : « Je ne pense pas que quiconque devrait être fier d’avoir plus de morts parmi les enfants et les femmes que les hommes armés ».
De tels propos apporte la preuve, s’il en était encore besoin, qu’au Liban aujourd’hui nous sommes définitivement loin du Vercors. Non, le terrorisme aveugle n’est pas la Résistance, celle qui s’écrit avec un R majuscule. Israël tue des civils innocents en Palestine et au Liban, c’est un fait. Le Hezbollah en fait tout autant, de l’autre côté de la frontière libanaise. La différence c’est qu’il le fait tout aussi délibérément, mais de façon bien plus cynique, parmi les siens.
Alors pourquoi nos télévisions ne s’intéressent-elles qu’aux images de haine, aux vociférations et aux des insultes, dans un pays dont on sait depuis longtemps qu’il représente une véritable poudrière confessionnelle ? Pourquoi les journaux télévisés se gardent-ils d’inviter le moindre spécialiste sérieux du Proche Orient ? Doit-on y voir la crainte de devoir prendre parti. Car celui ou celle qui, au sud Liban, mettrait en doute, même à mots couverts, la politique du Hezbollah (sans parler de sa légitimité) sait bien que ses jours seraient rapidement comptés. Entre un exposé finement ajusté d’un Antoine Sfeïr, des Cahiers de l’Orient, et la détresse d’une mère qui tient son enfant dans les bras, y a plus photo. Le discours raisonnable est devenu trop dangereux. L’image qui suscite l’indignation devient consensuelle. Elle est aussi irréprochable qu’irresponsable.
C’est pourquoi notre télé-trottoir exhibitionniste nous inonde de plus en plus d’images de cris et de sang. Et la concurrence entre les chaînes s’en mêle. Priorité au reportage qui montrera les plus belles mares d’hémoglobine parsemées de morceaux de chairs calcinés. Le must consistant depuis quelques jours à filmer les pieds de ceux qui pataugent dedans. A la bourse du sang, celui du Liban est nettement plus côté aujourd’hui que celui de Bagdad. Il semble plus neuf. Quant aux habitants de Bombay, c’est à se demander s’il leur coule une seule goûte de sang dans les veines... De ce côté-là, on n’a pas vu grand chose et on a vite bien vite effacé...
On en vient alors immanquablement à se demander si, de ce fait, le Hezbollah n’en profiterait pas pour se constituer une superbe banque d’images de femmes en pleurs et d’enfants ensanglantés, de préférence sur fond de mosquée, d’hôpital ou de centre social touchés par un obus. Quoi de mieux pour galvaniser une bonne partie des foules chauffées à blanc par les télés satellitaires et faire pression sur les opinions publiques occidentales qui comptent s’en aller prendre le frais à la campagne ou rôtir sur les plages, sans y être perturbées par des relents de mauvaise conscience.
Désormais, le terrorisme est devenu cathodique. Sommes-nous aussi sensés que nous prétendons l’être, de nous en faire les complices ? La saint-sulpicerie hisse bien haut le drapeau vert. A Michel Serres qui disait : « Aujourd’hui, entre informer ou savoir, il faut choisir », le Hezbollah a déjà répondu. Il mise tout sur l’information.
Patrick Adam