Il faut sauver le juge Van Ruymbeke !

par Philippe Bilger
vendredi 19 mai 2006

Le comportement judiciaire de Renaud Van Ruymbeke (RVR), depuis sa révélation par Le Canard enchaîné du 10 mai et sa confirmation par le magistrat, a suscité un intense débat juridique et, au-delà, citoyen. La justice est entrée dans les conversations quotidiennes et chacun, du spécialiste au profane, y est allé de son analyse sur la rencontre de RVR avec Gergorin dans les conditions que l’on sait, et sur le secret jalousement et longuement gardé parce que la foi du Palais se devait d’être respectée.

RVR a été entendu, notamment par le président Magendie, et je ne doute pas une seconde, connaissant ce magistrat et l’appréciant, que l’échange n’ait été intense et fructueux, et RVR s’est sans doute vu opposer des arguments pertinents.

Mais, aujourd’hui, le problème n’est plus là.


Ce serait une grave erreur, de la part du garde des Sceaux, que de saisir le Conseil supérieur de la magistrature à des fins disciplinaires.
RVR est un juge d’instruction de très haut niveau, et une personnalité dont la loyauté et l’intégrité sont insoupçonnables. Surtout, et c’est un trait qui me touche particulièrement dans cette période où le pouvoir judiciaire n’est pas toujours maîtrisé à proportion même de son ampleur, ce magistrat a mis en oeuvre, dans les affaires dont il a eu la charge et que les médias ont rendu familières aux citoyens, une pratique de modération et d’équilibre. Eloigné de la frénésie de la détention provisoire, il n’est jamais tombé dans une forme de sadisme procédural que certains collègues affectionnent.

Par ailleurs, même si le contexte politique de ces deux dossiers n’a peut-être pas l’incidence qu’on lui prête sur la gestion interne du judiciaire, force est d’admettre qu’il explique sans doute la rapidité et la gravité de ce qu’on prévoit à l’encontre du juge. Il me semblerait choquant qu’il devienne la victime collatérale d’enjeux d’une tout autre nature et qui le dépassent.
De plus, saisir le CSM, à supposer que l’initiative soit à approuver, ce que je ne crois absolument pas, ne pourrait constituer une démarche utile que si nous ne pouvions subodorer la présence d’un arrière-plan plus personnel que judiciaire, mêlant des membres du CSM au magistrat co-saisi avec RVR. Le Monde du 15 mai a évoqué le premier cette facette non négligeable.

Les réactions syndicales sont également très surprenantes. Elles manifestent que le cas de RVR échappe aux clivages traditionnels et que certains veulent "se payer" ce dernier pour des motifs inavouables. Que le syndicat de la magistrature le soutienne n’étonne pas, qu’en revanche Dominique Barella, président de l’USM, s’obstine à l’attaquer alors qu’en général il défend, par corporatisme, tous, tout et n’importe quoi, ne laisse pas d’intriguer, surtout lorsque Valéry Turcey, ancien président de l’USM, va au secours vigoureusement, lui, de RVR.

Enfin, le garde des Sceaux, dont la lucidité politique n’est pas la moindre qualité, percevra que l’attitude de RVR, si elle est diversement appréciée sur le plan judiciaire, serait de nature à rassembler la magistrature, toutes tendances confondues, dans un même refus si du disciplinaire était envisagé contre elle. Trop serait trop. RVR deviendrait réellement une victime sacrifiée sur l’autel du politique, et personne ne l’accepterait chez nous.

Qu’on ne voie pas dans mon propos l’illustration de ce qui est souvent reproché aux magistrats, et qui relèverait d’une apologie mécanique, par solidarité.
Je voudrais seulement qu’on rende justice à RVR. Un grand magistrat. On n’en a pas tant !


Lire l'article complet, et les commentaires