La Coupe du monde des sponsors
par LM
mercredi 17 mai 2006
Annoncée sur la chaîne de Bouygues, la composition des bleus de Zinédine Orange Zidane a été dévoilée sans fioriture par Raymond SFR Domenech. Le compte (mobile) à rebours de la Coupe du monde Coca-Cola Carrefour Adidas RTL a commencé.
Et ça commence bien : avant même le premier tir raté de David Trézéguet, l’équipe de France de football a commis sa première boulette. Enfin, une semi-boulette. Dimanche matin, donc, à l’heure de l’apéro pour les supporters de base, Raymond l’astrologue Domenech, qui ne mélange jamais sagittaire et scorpion dans ses compositions d’équipe, annonce en grande pompe la liste des fameux 23 bleus choisis pour visiter l’Allemagne, dans quelque trois semaines.
La tension est palpable, du côté des journalistes, chez les Ribéry sans doute aussi, chez les Giuly, les Coupet, et donc, forcément, dans la salle de presse. Les caméras sont là, attentives, les micro tendus. La liste tombe, monocorde, pas de surprise, ou si peu, Barthez numéro 1, ça faisait deux semaines qu’on le savait, Giuly écarté, c’est plutôt logique pour un joueur qui, pendant la plus grande partie de la saison, n’a connu que le banc comme poste fixe, bref rien de très spectaculaire, si ce n’est Chimbonda, la surprise du chef sourcilleux, Chimbonda qui ne joue pas dans un grand club et n’a pas réalisé dans son petit club une grande saison, mais passons.
Enfin justement, non, ne passons pas, des questions pour Raymond, bien sûr, si sérieux, si appliqué. Mais, d’un seul coup, plutôt discret, plutôt muet. Pourquoi ? Un choix est un choix, dit-il en substance, pas la peine de trop s’épancher. Certes, sauf qu’il occulte l’essentiel. Il ment par omission : s’il ne commente pas ses choix, ce n’est pas parce qu’il ne le veut pas, c’est parce qu’il ne le peut pas. Pourquoi ? Parce que la Fédération de monsieur Escalettes, au nom de l’éthique sans doute, du respect des journalistes et du porte-feuille à remplir, a signé un accord d’exclusivité avec SFR. En fait, un peu plus tard, Raymond en a dit un peu plus long sur ses choix, sur le portail SFR, et fera même une sorte de grande conférence de presse sur mobile, réservée aux abonnés de SFR, demain jeudi 18 mai.
Jacques Vendroux, entre autres, a de quoi s’étrangler. « C’est pas un choix très républicain », a-t-il dit au micro de France 2. Pas très républicain, il y va peut-être un peu fort, le variétiste club de France, et puis bon, tout ceci n’est pas nouveau. En août 2005, quand Zinédine Zidane, emballé par quelques voix venues d’un forfait week-end, décide de revenir chez les bleus, c’est à un de ses principaux sponsors, Orange, qu’il réserve la primeur de la nouvelle. A l’époque, d’ailleurs, la scène est assez cocasse, telle qu’elle est racontée par Bruno Godard dans son livre Les bleus peuvent-ils gagner la Coupe du monde ? : « ... ce matin du 3 août, Zidane n’imagine pas donner l’info ailleurs que sur le site d’Orange. Sauf que, son interlocuteur, est en vacances et n’a pas branché son portable. Alors Zidane va être obligé de lui laisser plusieurs messages. Imaginez un peu la scène : tous les journalistes sportifs rêveraient d’avoir un coup de fil de Zidane, surtout pour pouvoir annoncer son retour en équipe de France. Mais le seul journaliste à qui Zidane veut le dire est en vacances et ne répond pas au téléphone. Surréaliste... »
Surréaliste, en effet, le mot est faible. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, le journaliste est moins important que le sponsor, tout simplement parce que le journaliste ne rapporte rien au champion. « Sur ma messagerie Zidane me disait sereinement qu’il avait quelque chose à m’annoncer. Dans les messages suivants, j’ai senti que la tension montait d’heure en heure... » Imaginons un peu les messages du divin 10 « euh, pardon, pardon c’est que... tu pourrais pas me rappeler ?... », à mourir de rire non ? En tout cas, ça prouve bien que presque retraité ou pas, revenant ou pas tout à fait, des champions de la trempe de Zidane ne perdent pas le sens des affaires. Ils rentabilisent. Tout, tout le temps. Leur temps de parole comme leur temps de jeu. Et ce n’est même pas scandaleux, c’est tout à fait logique, pour des acteurs d’un sport qui est devenu depuis très longtemps avant tout un business, et après, quand il reste du temps de cerveau disponible, éventuellement un sport. La Fédération française de football aurait eu tort, elle aussi, de ne pas se servir.
Devenu partenaire des bleus pour dix ans en 2001, SFR « s’associe au football français pour faire avancer la technologie au service de la communauté du football » ; rien que ça. Plus fort encore : « La marque de téléphonie mobile du groupe Vivendi Universal a mis au point (en 2001) un service destiné aux clubs amateurs et à ses 2,2 millions de licenciés. Testé actuellement dans quelques ligues régionales, il permettra bientôt aux vingt et un mille clubs français de gérer l’envoi groupé de SMS.
Tous les types d’informations sont possibles : résultats, classements ou horaires des matchs par exemple. Les membres et supporters qui souhaitent en profiter s’abonnent simplement à la mailing list via le site Internet du club ». Même le football amateur, il n’y a pas de raison, doit rapporter des sous. Et même les footballeurs amateurs, loin des studios télé, et qui, pour la plupart, ne deviendront pas des Zidane ou des Coupet, doivent verser leur dîme, sous forme d’un abonnement qui fait d’eux aussi des vaches à lait. Alors, oui, il est sans doute très naturel qu’un sponsor aussi généreux et concerné que SFR, qui raque quand même quelque 5,5 millions d’euros par an (la Fédération n’a jusqu’ici pas été très claire sur la répartition des sommes versées par l’opérateur...) ait « un petit plus » sur l’info, comme dirait Escalettes, le président de la FFF. Oui, sauf que le petit plus en question devient un peu tout, et qu’à force de privilégier la rentabilité et le tiroir-caisse, on risque d’avoir une information, en exagérant à peine, coupée en deux, entre ceux qui paient, et ceux qui encaissent d’un côté, et ceux qui posent simplement des questions, de l’autre.
Le journaliste sportif devra alors repenser son métier, ou accepter, la queue entre les jambes, d’user tout son forfait pour tenter de savoir, bon dieu de bois, pourquoi diable Pascal Chimbonda sera du voyage, alors que Ludovic Giuly mangera des tapas !... Comme le dirait SFR, pour plus d’information, « rendez-vous à la rubrique Allemagne 2006 ». Tapez 1.