La France de tous les dangers

par Pelletier Jean
lundi 28 août 2006

C’est une banalité de dire que le monde change...il en a été ainsi de tous les temps. Pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, nombreuses sont les révolutions qui au cours de l’histoire ont provoqué des bouleversements sociaux, économiques et technologiques.

L’imprimerie qui a cassé le « trou noir du moyen âge » en brisant le monopole intellectuel et idéologique de l’église et qui a diffusé à travers de toute l’Europe des idées émancipatrices, la révolution industrielle du XIXieme siècle qui a favorisé la circulation des biens, des hommes et des idées, la révolution de Mac Luhan qui a diffusé sur la planète entière les images et les sons, et aujourd’hui l’avènement de la société numérique poussée par Internet qui remet en cause toute l’organisation économique et technologique de la diffusion des œuvres de l’esprit.

Il est vain de s’appesantir sur le passé, de ne vivre que de regrets et de pontifier sur les jeunes générations accablées de tous les défauts.

Toutefois il serait tout aussi vain de ne pas regarder bien en face la crise idéologique que traverse la société française soumise à ces mutations.

La campagne électorale qui s’engage nous renvoie, de manière éclairante, les crispations, les manques, les absences tragiques d’accompagnement de ces mutations, le vide sidérale de tous repères.

Dernièrement le Cercle des économistes a publié un ensemble de réflexions sur les pistes de réformes à engager, au regard des contraintes extérieures, et a dégagé les différentes options possibles sur les retraites, la santé, l’éducation, la recherche, l’aménagement du territoire. Ceci en espérant que les politiques s’en empareront dans la campagne à venir.

On attendrait des intellectuels français, à défaut des politiques qu’ils engagent le même travail.

Les français sont désemparés face à la crise de l’emploi, de l’éducation et soumis à toutes les peurs sécuritaires. Il est vrai qu’aucun travail d’accompagnement des intellectuels et des politiques n’est venu leur donner un cadre de lecture et d’analyse.

Soumis à des pressions quotidiennes dans leur emploi, dans l’éducation de leurs enfants, dans leur transports, leur habitat et leurs loisirs, ils prennent des coups chaque jour, doivent faire face à leurs obligations sans pour autant qu’on ne leur restitue un mode d’emploi et une visibilité qui puisse donner à la fois du sens à leur vécu et un minimum de lisibilité sur leur avenir.

La France garde encore à ce jour nombre d’atouts, elle est encore une grande puissance économique, elle conserve un positionnement de référence grâce à son histoire et sa culture, son patrimoine géographique et touristique en font la première destination mondiale, son potentiel de recherche est de tout premier plan, elle dispose d’une technologie nucléaire et aéronautique de grande compétitivité, sa protection sociale est unique au monde (mis à part les pays scandinaves) et sa production intellectuelle et culturelle est encore intacte.

Mais c’est le moteur même de ses ambitions, sa capacité à penser le monde d’un point de vue collectif qui est en panne.

De la Libération jusqu’aux années 80 la société française ; héritière d’une pensée socialiste, donc humaniste et sociale disposait d’un tissu unique au monde de structures qui pensaient et agissaient collectivement : les associations prospéraient dans tous les domaines (tourisme social, mouvements sportifs, structures coopératives, syndicats, sociétés savantes, compagnies culturelles etc...). Les hommes et les femmes qui avaient menées la résistance au fascisme établissaient à la Libération un programme de réformes considérables (Cf le programme du Conseil national de la Résistance : une référence toujours d’actualité).

Peu à peu les thèses libérales combinées à une accélération prodigieuse de la mondialisation, dans tous les domaines (économiques, culturelles et médiatiques) appuyées par l’arrivée au pouvoir dans de grands pays de dirigeants de la trempe de Reagan aux USA et de Thatcher en Grande Bretagne ont défait dans leurs pays respectifs et par ricochés idéologiques chez nous le sentiment d’appartenance à un collectif.

Le fait que chaque individu tout en menant sa propre existence, pour autant inscrivait ses actions individuelles dans un projet de société.

Les dégâts occasionnés par les deux dernières guerres mondiales avaient favorisés cet état d’esprit, et permis de faire émerger l’impérative nécessité de combiner l’initiative individuelle et collective.

Aujourd’hui il n’existe plus de contrepoids aux coups de boutoir de l’expansion économique mondiale. Elle porte la prospérité mais n’assure en aucune manière la juste répartition de la croissance, elle n’équilibre plus la nécessité de protéger le faible contre le puissant, le pauvre contre le riche. Elle propage l’insécurité dans tous les domaines et aux quatre coins de la planète.

Les dirigeants des années 80 n’en déplaisent aux socialistes, dont je fais partie, n’ont pas pris le soin d’entretenir ces réseaux, ils accréditaient l’idée qu’il suffisait de s’en remettre à eux pour que tous les problèmes trouvent leur solution. Ils ont laissés se désagréger le tissu associatif, coopératif et syndical.

Agir ensemble... pour le bien de chacun, débattre collectivement pour faire avancer les idées, négocier un contrat social ... tout cela a disparu progressivement.

Dans les écoles les grandes fédérations de parents d’élèves ont laissé la place aux associations d’intérêt local, dans les entreprises la désyndicalisation a été totale, dans le débat politique les partis sont devenus des « syndicats » d’intérêts personnels.

L’économie a pris naturellement le dessus sur toute autre considération puisque le champ était libre.

Il faut redonner à chaque citoyen le goût de la responsabilité et de l’initiative, c’est ce que la Deuxième Gauche a tenté vainement de faire. Chacun d’entre, nous livré aux forces de l’économie de marché, sans repère, sans concertation, sans projet, sans rapport de force, ne pourra que subir l’inévitable l’appauvrissement inéluctable de notre société.

La France de tous les dangers, c’est une France qui a renoncé à se battre et à faire valoir ses Droits.

Ceux qui se félicite de cet appauvrissement (et ils sont nombreux) ne voient même pas qu’ils seront à terme les premières victimes de cette dislocation.

A force de combattre et d’affaiblir les syndicats et les opposants de tous poils, c’est la notion même de travail, de responsabilité, les valeurs de la famille, de solidarité internationale qui disparaissent peu à peu.

La France conduite ainsi par des hommes politiques irresponsables des mieux intentionnés aux moins intentionnés (et eux aussi sont nombreux) s’endort d’un sommeil mortel qui l’enterre peu à peu dans sa capacité économique, culturelle et sociétale.

Chaque individu seul ne peut grand-chose, il faut impérativement donné aux corps intermédiaires que sont les syndicats, les partis politiques et les associations les moyens de reprendre force et vigueur.


Lire l'article complet, et les commentaires