La réaction du PS aux propos de Nicolas Sarkozy n’est pas la bonne
par Nicolas Cadène
mardi 17 janvier 2006
Les voeux de Nicolas Sarkozy
ont été l’occasion de constater, une fois de plus, à quel point le Parti
socialiste peut paraître défaillant dans ses réactions et propositions. N’est-il pas temps que la gauche, et en particulier le Parti socialiste, réagisse avec harmonie et intelligence ?
C’est pourquoi il me semble judicieux de souligner ce que certains considèrent comme des erreurs de la direction socialiste. Je ne porte là aucun jugement sur un quelconque courant de ce parti, la direction étant "plurielle".
Tout d’abord, revenons sur les propos du ministre d’Etat du jeudi 12 janvier 2006, lors de ses voeux :
Très vite, ce dernier nous parle de "succès réels" qu’aurait connus la France en 2005, sans en évoquer un seul concrètement.
Il revient plus logiquement sur les échecs de cette année : référendum, crise des banlieues, mais en en imputant la faute à la et aux politique/s en général, sans jamais concéder un aveu d’échec, alors qu’il est aux responsabilités depuis bientôt quatre ans, et "numéro 2" du gouvernement actuel.
Il rappelle donc les chiffres sur la délinquance, "ses" chiffres, devrait-on dire, puisqu’ils sont particulièrement contestés et parfois considérés comme erronés et manipulés : il évitera de rappeler sérieusement (il le fera succinctement et subtilement) l’augmentation de 5 % des violences envers les personnes en 2005, puisque ce chiffre en fait un des plus mauvais ministres de l’Intérieur de la Ve République. Bien qu’il prévoie pour 2006 de nouveaux chiffres excellents, de manière très assurée, cela semble assez mal camoufler sa faiblesse.
Alors, pendant de longues minutes, il entretient - sans doute dangereusement - l’idée de désordre, en décrivant un prétendu climat quotidien de violence et de peur.
Il use de formules populistes, et soutient souvent une justice inquisitoire, où la présomption d’innocence et la réinsertion apparaissent comme très secondaires.
Dans ses propositions apparaît parfois un autoritarisme latent : toujours plus de policiers, jusque dans les lieux les plus sensibles (les écoles), de CRS, de GIR, mais sans aucune cohérence, ni souci de prévention en amont.
Aucun budget n’est alloué à cette prévention, pourtant essentielle, alors que des sommes démentes sont dépensées dans l’armement, l’équipement et le recrutement de fonctionnaires de police ou de gendarmerie.
Etrangement, Nicolas Sarkozy semble oublier que si ce travail de prévention était réalisé, alors ces dépenses sécuritaires n’auraient sans doute pas lieu d’être : mais électoralement, M. Sarkozy sait qu’il est plus efficace d’agir à court terme via des actions visibles et tape-à-l’oeil.
Le ministre de l’Intérieur révèle une certaine forme de populisme à de nombreuses reprises, et notamment lorsqu’il propose une "réserve opérationnelle de la police" : qui donc se portera volontaire dans les quartiers sensibles ? N’y a-t-il pas objectivement un risque de voir se créer quelques "milices" d’individus partiaux et peut-être mal intentionnés, sans formation sérieuse, ni juridique, ni civique, ni policière ?
Par la suite, le numéro 2 du gouvernement décline sa politique de prévention, qui ne ressemble à aucune autre : la surveillance (portant souvent atteinte aux libertés les plus élémentaires), et la délation.
Le contrôle des prestations est, quant à lui, tout à fait justifié, mais en quoi est-ce une véritable politique de prévention ?
Il en arrive à un de ses sujets de prédilections : l’immigration. Les thèses frontistes sont apparemment appréciées du leader de la droite, qui se dit pourtant républicaine. M. Sarkozy se réjouit de reconduire prochainement 25 000 personnes à la frontière... Et il se targue de faire preuve d’humanité parce qu’il accepte que leurs enfants scolarisés terminent leur année scolaire.
Il propose l’immigration choisie, comme si les immigrés venaient en France par choix et non parce qu’ils subissent la misère ou la guerre chez eux. Il prône le développement des pays pauvres et émergents, alors même que les mesures prises par le gouvernement restent dérisoires, et que le budget européen (destiné à aider les nouveaux entrants) est revu à la baisse, notamment à sa demande, ce qui accentue ainsi le risque de délocalisations.
Puis, il en vient au scandaleux vote de la loi sur la colonisation, et sur les bienfaits de la présence française dans les colonies d’outre-mer, qu’il soutient pourtant ouvertement.
En tant que premier partisan du néo-libéralisme et du modèle américain, Nicolas Sarkozy propose l’autonomie des universités, et donc leur mise en concurrence, et la naissance d’universités de moins bonne qualité dans les régions les moins aisées.
Il propose également l’augmentation du temps de travail des fonctionnaires le souhaitant pour une meilleure rétribution. Pourtant l’expérience vécue par le secteur privé et la fin des 35 heures a prouvé que cette augmentation du temps de travail n’avait aucune réelle contrepartie financière. C’est en fait un bond en arrière, accentué par l’exonération de charges sociales sur les heures supplémentaires pour les entreprises privées. Le gouvernement se risque à faire peser toujours plus sur l’employé, toujours moins sur l’employeur, alors que la dette de l’Etat revient à 17 000 euros par contribuable.
Il n’oublie pas de souligner les grèves, selon lui trop répétées, sur les lignes RER, et d’opposer différentes populations entre elles, ce qui a pour écueil de porter une fois de plus atteinte à la cohésion sociale, toujours plus fragile.
Logiquement très réservé sur l’idée de "fonction publique" et de "service public", le président de l’UMP souhaite le non renouvellement de la moitié des fonctionnaires partant à la retraite. Mais le problème est-il qu’il y a beaucoup trop de fonctionnaires ou plutôt qu’ils sont extrêmement mal répartis ?
Concernant le vote des députés sur la loi DADVSI en décembre, le numéro 2 du gouvernement affirme qu’il "n’est pas viable". Comme beaucoup de néo-libéraux, Nicolas Sarkozy donne l’impression dans son discours de saper un peu plus l’idée, pourtant proclamée comme fondamentale, du droit de propriété, en le virtualisant de plus en plus et en le dépouillant de ses caractères.
Notre ministre d’Etat évite de préciser que le projet de loi DADVSI initial proposé par le gouvernement va beaucoup plus loin que ce que demandait la directive européenne et a, sans les amendements votés par les députés, un caractère profondément contestable : car le projet revient aussi à légaliser, sans laisser d’alternative, les pratiques des majors, qui n’hésitent pas à espionner les usagers, à pirater leurs machines et à en compromettre la sécurité (les exemples sont nombreux, dernièrement avec Sony-BMG). "Ce que ce projet entérinerait à terme, c’est le contrôle des plates-formes et des infrastructures informationnelles par le cartel des majors de l’audiovisuel et de l’édition logicielle, au détriment de la liberté de communication, de la concurrence, de l’innovation technique, de la sécurité des infrastructures, de l’accès à la culture, de la culture elle-même, et finalement au détriment de la création artistique, ravalée au rang d’une industrie culturelle. Les artistes et créateurs ont peu à y gagner. Ils ont à perdre, comme nous tous, leur liberté et leur âme" (cf. communiqué de l’AFUL, de l’ADULLACT, du CETRIL, de SCIDERALLE, et de Mozilla Europe).
Se voulant à la pointe de la communication, Nicolas Sarkozy est ravi de fixer comme prochain objectif 300 000 adhérents UMP. Peut-être réitérera-t-il ses méthodes « musclées », peu respectueuses, de 2005 : fenêtre pop-up, e-mailing et mailing intensif, publicités omniprésentes et notamment sur les sites Internet de gauche, et dans les moteurs de recherche lorsque vous tapez "racaille", "banlieue", ou "violences urbaines".
Se croyant une envergure napoléonienne, et n’ayant vraisemblablement que peu de respect pour la séparation des pouvoirs et leur juste équilibre (comme il le montre lorsqu’il s’en prend violemment à la justice, sans aucune raison valable), le ministre de l’Intérieur, qui déjà accumule les pouvoirs et les fonctions (président de l’UMP, président des Hauts-de-Seine, ministre d’Etat de l’Intérieur, avocat associé), veut accentuer les prérogatives présidentielles.
Soucieux de rassurer, il précise toutefois que le nombre de mandats devrait être limité à deux - ce qui semble, de toute façon, assez évident pour tout le monde, et qu’il devra davantage engager sa responsabilité. (Mais dans les faits, dans un régime strictement présidentiel, où le parlement pourrait désormais faire des "résolutions à caractère seulement politique", comme il le souhaite, en quoi cela réajustera-t-il la balance entre exécutif et législatif ?)
Ainsi, alors même que la pratique actuelle tend à nous montrer qu’il faut revenir à plus de pouvoirs législatifs, il propose un surplus de pouvoir exécutif, dans les mains d’un seul homme.
Il en vient ensuite au thème de l’Union européenne, et propose un texte plus resserré et consensuel que celui du traité constitutionnel. Il peut paraître étrange de l’entendre ainsi se prononcer, lui qui, soucieux de ne pas perdre d’électeurs, n’avait pas pris part comme il se devait, en tant que président du parti majoritaire, à la campagne référendaire de 2005.
Ce thème est aussi pour lui le moyen de rappeler ses thèses quelque peu populistes, très attractives en temps de crise économique et sociale : la peur de l’étranger et le refus de s’élargir à des pays moins fortunés que le nôtre (n’en doutons pas, l’adhésion de la Suisse, de la Norvège, ne causeraient aucun souci à M. Sarkozy) et qu’il "balaie" en déclarant, sans s’expliquer, qu’ils "n’ont pas vocation à [être membre de l’UE]".
Pour terminer, le ministre nous parle de la France et de sa grandeur, de son avenir et des changements profonds qu’elle doit aborder. On pourrait supposer qu’il nous parle comme s’il était déjà président de la République.
Mais il ne l’est pas, et son discours prend plutôt l’allure d’un discours ridiculement démagogique et sans aucun fond. Un discours qui se veut rassembleur, et qui met en avant à la fois des idéaux qui ne sont pas les siens et des idéaux qui ne sont pas les nôtres. Les Français ne sont pas naïfs, et les Français ne sont pas nationalistes.
Voilà donc les propos de celui qui prône l’alternative. Mais quel changement peut bien provenir de celui qui est déjà aux responsabilités depuis plusieurs années ?
À ces propos, très contestables en de nombreux points, le Parti socialiste répond à l’envers. Au lieu de s’opposer clairement, il concède "certaines idées intéressantes" (cf. André Vallini), et ne critique qu’une certaine "fébrilité" (Julien Dray).
Au lieu d’expliquer que les méthodes de répression n’ont aucune efficacité dans la lutte contre les violences, le parti souligne l’importance de ces violences, et en viendrait presque à imaginer plus de moyens policiers.
Et ceci alors qu’au-delà de l’utilité évidente de la restauration de la police de proximité, ce sont la prévention, l’éducation, l’accès à la culture, les politiques de la ville, l’associatif, qui doivent être prioritaires.
Ce n’est pas sur le thème de
l’insécurité que les socialistes gagneront, du moins pas en l’abordant de cette
façon.
Manuel Valls a tort de s’affirmer en accord avec certaines idées de M. Sarkozy.
Croyant éviter l’échec de 2002, certains responsables socialistes s’alignent
sur le programme de la droite.
Mais si le thème de l’insécurité doit être abordé, c’est d’abord celui de l’insécurité sociale. Car c’est elle qui est à l’origine de toutes les autres. Il faut encore parler du chômage, des licenciements abusifs, de la désindustrialisation, etc. Surtout, il faut trouver des réponses crédibles à ces problèmes.
Mais le Parti socialiste français, trop sûr de lui, a tendance à prendre modèle sur le Parti démocrate américain de 2004, quant à la manière de mener sa campagne. Un parti qui s’était effacé face au Parti républicain à la suite des attentats de 2001, jusqu’à soutenir le "Patriot Act", comme certains socialistes (dans une bien moindre mesure évidemment) ont soutenu la loi sur le terrorisme de Nicolas Sarkozy.
Au-delà, on constate également au PS des réactions différentes selon les responsables interrogés. Ces désaccords constants ne sont plus acceptables.
Les militants et sympathisants socialistes ne supportent plus de voir la première force d’opposition s’embourber dans des querelles intestines, qui devaient être résorbées au Congrès du Mans. Il est temps que le parti fasse son travail convenablement, ne serait-ce que par respect du mandat que lui donnent des millions de citoyens. Toute démocratie doit connaître un vrai débat.
Avec de telles réactions, le PS sera désormais responsable si l’on subit, après 2007, des politiques qu’il ne veut pas, pas plus que ne le veulent de nombreux citoyens le soutenant encore.