Le projet de retour de l’immigrant : mirage ou réalité
par HASSI
mardi 28 février 2006
Si le retour définitif de l’immigré chez lui est possible dans l’espace, l’est-il dans le temps ? Son immigration, est-ce une trajectoire ou un état ? Est-elle un phénomène linéaire à réaliser ? Où se situe l’immigré, par rapport au provisoire qui le définit, et le durable dans lequel il est contraint de vivre ? Est-il un retour du même, et au même ?
Dans le dessein d’apporter quelques éléments de réponse à cette pléthore de questionnements, on fera appel à un parallèle. Voilà pourquoi l’entreprise qui prône le recours à L’Odyssée est, pour le moins que l’on puisse dire, judicieuse.
Le sujet le plus foncièrement prépondérant de l’œuvre en question est de loin le retour d’Ulysse de Troie vers Ithaque, dix ans après la guerre de Troie. En effet, si Ulysse est devenu un personnage principal de l’œuvre en question, c’est parce qu’il a emprunté le fameux chemin de retour, quoiqu’il ait été jonché de péripéties, d’aventures et de dangers.
Homère, l’auteur du livre, a mis en relief l’éloignement du héros de son point de départ, tout en évoquant le trajet semi-circulaire entre Ithaque et Troie. Nonobstant, toute la focalisation a été braquée sur l’autre demi-cercle qui n’est autre que le retour ! Quel en est l’objectif, ou la raison ?
Pour Homère, il s’agit bel et bien de fusionner la fin avec le début à travers le commencement de la fin et la fin du commencement, tandis que pour Ulysse, cela provient sans nul doute d’un désir ardent de retrouvailles avec les parents, la mère-patrie et les ombres des ancêtres. Toutefois, à son arrivée, Ulysse ne reconnut pas son île natale. En fait, il ne fut pas reconnu par ses habitants, mais par Argos, son vieux chien.
Après cet aussi concis survol de L’Odyssée, il s’avère clairement que s’il y a un phénomène auquel elle peut s’apparenter, c’est l’immigration, et notamment le projet de retour.
Le mythe d’Ulysse affirme que si le retour est possible dans l’espace, il est impossible dans le temps, d’autant plus qu’il est simplement une rencontre plutôt qu’un retour : une rencontre avec un état du passé, avec les rêves, car nul n’échappe au passage du temps, nul n’échappe à l’oubli.
En se référant à l’œuvre encore une fois, on s’aperçoit nettement que le « voyage-immigration » est doté d’un caractère, d’une trajectoire, bien plus que d’un état. Ce n’est pas un phénomène linéaire à réaliser et que l’on prétend pouvoir maîtriser, la seule linéarité est celle du circuit du temps, étant donné que le retour dans le passé est sûrement impossible, il est ouvert vers le futur, comme la destinée humaine.
Le mirage du retour permet à l’immigré de vivre (ou plutôt d’attendre, vu qu’il ne vit pas mais qu’il attend !) pendant sa traversée plus ou moins longue.
Cependant, comment se définit-il dans cette structure ? En réalité, il se situe dans un état mal défini, hésitant indéfiniment entre le « provisoire » qui le définit et le « durable » dans lequel il est contraint de s’installer, d’où naît une panoplie de paradoxes et de conflits : attachement au pays natal versus habituation au pays d’accueil, oscillation entre le refus de son absence dans le premier et présence dans le second ou, d’une façon précise, voire schématique, être présent dans l’absence, et absent dans la présence.
Cette ambivalence entraîne un état de dissonance, un tiraillement entre le projet de retour et la prorogation de l’immigration suscitant une souffrance humaine à savoir l’impossibilité du retour vers l’enfance, et la déception de promesses non tenues par la vie. La nostalgie, quant à elle, n’est pas du tout réconfortante, pire encore, elle accentue le sentiment de perte de soi-même.
En revenant derechef au mythe d’Ulysse, tout particulièrement à la composante métaphorique du retour, il importera de conclure que ce que l’immigré désire, par l’entremise de la régression du temps, n’est plus le retour du même, ni le retour au même, on n’est jamais ce qu’on a été, on est des êtres en devenir.