Le retour au populisme cache mal l’échec des politiques d’intégration
par Nicolas Cadène
lundi 16 janvier 2006
Depuis quelques mois en France, nous apprenons que, selon Monsieur Larcher, la polygamie serait responsable de la discrimination à l’emploi que subissent nombre de Français ou d’étrangers en situation régulière.
Que selon Madame Carrère d’Encausse (académicienne), la cause de la crise du logement, ce serait, là encore, la polygamie. Sans compter qu’il lui paraît normal de critiquer la loi de 1972 contre le racisme, et pas anormal de décompter les Juifs ou les noirs à la télévision...
Que pour le président de la République, Monsieur Accoyer et le ministre de l’Intérieur, le regroupement familial expliquerait la crise des banlieues.
Ces propos sont mensongers, et peuvent paraître scandaleux : ni la polygamie, dont les premières victimes sont les femmes, ni le droit de vivre en famille n’expliquent la crise sociale qui s’exprime.
Comme l’a souvent déclaré, bien seule, la Ligue des Droits de l’Homme : « Il est nauséabond et irresponsable de faire ainsi des étrangers la cause de la situation que connaît notre pays. »
En tenant de tels discours, ils prennent sciemment le risque de renforcer la xénophobie et le racisme.
La LDH a rappellé, justement, que la paix civile ne peut supporter de tels débordements.
« On ne répond pas à une crise sociale par un régime d’exception. La responsabilité fondamentale de cette crise pèse, en effet, sur les gouvernements qui n’ont pas su ou voulu combattre efficacement les inégalités et les discriminations qui se cumulent dans les quartiers de relégation sociale, emprisonnant leurs habitants dans des logiques de ghettoïsation. Elle pèse aussi sur ces gouvernements qui ont mené, et sans cesse aggravé, des politiques sécuritaires, stigmatisant ces mêmes populations comme de nouvelles "classes dangereuses", tout particulièrement en ce qui concerne la jeunesse des "quartiers". »
La politique gouvernementale de ces dernières années a-t-elle été naïvement fondée, toujours un peu plus, sur les classes les plus populaires, sans que celles-ci ne se rebellent ?
Non, tout cela est bien conscient.
On entretient le désordre pour faire venir le désir d’ordre. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la logique de Monsieur Nicolas Sarkozy et celle du gouvernement.
Ainsi, le gouvernement, préférant faire des économies sur l’action sociale, au profit de baisses d’impôts pour les plus aisés et des charges entreprenariales (surtout concernant les multinationales), a saboté toute action de prévention pour privilégier le tout sécuritaire.
Le gouvernement a consciemment asphyxié le monde associatif, a mis à bas la police de proximité, qui était pourtant louée par les syndicats policiers eux-mêmes.
Pis, la droite a toléré les discriminations quotidiennes à l’égard des personnes étrangères ou issues de l’immigration, mais supposées telles en raison de leur faciès.
Le budget de l’Education nationale a baissé, au lieu de fortement augmenter, provoquant un état catastrophique des structures scolaires, un manque de personnel évident. Les ZEP ont un budget seulement deux fois supérieur aux zones classiques, alors même qu’elles devraient en connaître un dix fois supérieur, comme c’est le cas dans les pays nordiques.
Ce trop faible budget, couplé à une politique de formation désastreuse, ne permet pas une école pouvant réduire la ségrégation. Bien au contraire, il tend à l’amplifier.
Concernant la politique de la ville, là encore, nous constatons l’absence de réelle volonté politique, pourtant affichée hypocritement à grands coups de projecteurs et avec le soutien de certains médias partisans et donc co-responsables de la situation actuelle.
Le ministre de la Ville se voit ainsi obligé de négocier chaque jour pour obtenir quelques euros supplémentaires qui ne suffiront pas à la mise en oeuvre de son ambitieux programme.
Au-delà, nous avons un ministre de l’Intérieur qui accumule les fonctions exécutives sans qu’aucun politique ne s’en émeuve (à l’exception notable de Dominique Strauss-Kahn), et qui aurait déjà été démissionné dans n’importe quelle démocratie digne de ce nom.
Un ministre d’Etat qui bafoue la séparation des pouvoirs, un élu local (président du Conseil général des Hauts-de-Seine et ancien maire de Neuilly) qui ne respecte pas le quota de logements sociaux (2% au lieu de 20%), un président du parti de gouvernement (l’UMP) qui tient des propos odieux, incendiaires et méprisants pour préparer sa campagne présidentielle en direction de l’extrême-droite.
Mais malgré de tels actes, qui constituent des fautes politiques et morales graves, le Premier ministre a renouvelé sa confiance à Nicolas Sarkozy, et la responsabilité du gouvernement est entière et collégiale.
Il est absolument irresponsable d’accuser les premiers concernés par les violences urbaines (les habitants des banlieues sensibles, souvent issus de l’immigration subsaharienne ou maghrébine) sans même remettre en cause l’ensemble des politiques d’immigration, d’intégration menées depuis trente ans.
Car c’est bien l’incapacité des gouvernements successifs à faire reculer le chômage (à l’exception du gouvernement Jospin, qui créa 2 millions d’emplois), à intégrer les populations culturellement et socialement, qui est en cause.
Ce sont la systématisation des discriminations racistes et territoriales, le manque d’éducation civique, d’associations culturelles, sportives et d’alphabétisation, d’aides au reclassement, de formations professionnelles, de centres scolaires de qualité, qui apparaissent aujourd’hui en pleine lumière.
C’est également un sentiment d’injustice constant : la discrimination à l’embauche en raison de son faciès, de son nom ou de son lieu de résidence ; les regards méfiants de tout un chacun, et les expulsions des lieux de sorties en ville pour les mêmes raisons ; de multiples contrôles d’identité individuels quotidiens ; des interpellations parfois injustifiées ; des bavures policières habituelles (la France reste un des Etats les plus souvent accusés devant la CEDH), dues à une formation défaillante dans les écoles de police, et à une concentration de la violence découlant de la ghettoïsation, etc.
Evidemment que pour une intégration, l’effort doit également être fait par les immigrés, mais celui-ci ne peut se réaliser convenablement si ces derniers n’ont pas les mêmes droits et chances que ceux qu’on surnomme les « Gaulois », si l’on ne met pas les moyens nécessaires pour les intégrer culturellement via l’éducation civique et générale.
Les
atteintes matérielles ne sont certes pas excusables, mais seuls 2 à 5
% des jeunes de ces quartiers ont participé, de près ou de loin, à ces
actions. Les 95 à 98 % autres sont restés chez eux.
La dégradation des services publics est inacceptable Ces derniers doivent être restaurés et sécurisés. Mais il faut bien comprendre qu’elle illustre un rejet de tout ce qui représente l’Etat, qui a lui-même rejeté ces populations devenues violentes.
La violence physique est autrement plus grave, elle est impardonnable. Mais les jeunes de ces banlieues ne sont pas des agresseurs. Les confondre avec une infime minorité est aberrant, et illustre encore un peu plus l’injustice dont ils sont parfois victimes.
Les agresseurs doivent être condamnés conformément à la loi.
Les victimes de ces agresseurs devront toutes être indemnisées, et les citoyens des quartiers subissant des troubles violents doivent être protégés par les forces de l’ordre, et non humiliés, comme on pourrait le craindre en écoutant certaines « autorités » morales ou politiques.
Aujourd’hui,
la France a besoin d’une grande mobilisation des forces politiques
opposées à la politique simplement répressive et inefficace du
gouvernement.
Il
faut que le Parti socialiste, principale force d’opposition, s’engage dans un combat pour l’égalité, la
justice sociale, le respect et les droits civiques.
Le socialisme n’a-t-il pas toujours eu, depuis son origine au XIXe siècle, pour principe de base de respecter, envers et contre tout, la "liberté, l’égalité, la fraternité" ?
A la fin des émeutes, nous avons assisté à la reconduction de l’état d’urgence.
Recourir à un texte provenant de la guerre d’Algérie à l’égard, souvent, de Français descendants d’immigrés, c’était leur dire qu’ils n’étaient toujours pas Français.
Le Parti socialiste ne peut continuer ainsi à soutenir implicitement la politique répressive de la droite, comme il a, via certains de ses responsables, continué à faire à la suite des voeux de Nicolas Sarkozy.
Le PS ne semble croire qu’aux sondages donnant à Monsieur Sarkozy une confiance de 60 % des Français.
Mais a-t-il déjà oublié son rôle d’opposition ? Son rôle de défense des valeurs sociales, éthiques, humanistes ?
Ne comprend-il pas que c’est en s’opposant, en argumentant, en expliquant objectivement les événements, que la confiance dans le ministre de l’Intérieur s’affaiblira, et que celle dans le parti se renforcera ?
La devise républicaine est depuis trop longtemps bafouée, et rien ne devrait empêcher le Parti socialiste de le contester avec la plus grande des vigueurs.
Entre la copie et l’original, les Français préfèreront l’original, la droite, voire l’extrême-droite. Alors, il est temps de dénoncer les multiples dérives gouvernementales, et les atteintes systématiques aux Droits de l’Homme et aux libertés publiques.