Le véritable enjeu de Clearstream : la posture de victime

par Pierre MECHENTEL
vendredi 12 mai 2006

On sait depuis le début du règne du pharaon Toutomedia que la victimisation est l’arme absolue de celui qui veut gagner la bataille médiatique. Spécialement en France, on aime les petits, les sans grade, comme l’a bien compris un des finalistes du deuxième tour de la présidentielle de 2002 : Asterix qui résiste aux Romains, le baroud d’honneur (on ne fête pas Austerlitz, mais on glorifie Camerone, Dien Bien Phu), les verts de 1976, etc.

Greenpeace l’a bien compris en son temps de gloire, puisque malgré ses faibles moyens, l’association persistait à affronter les cordons de sécurité de la marine avec de petits zodiacs, pour que les images choc de navires de guerre ou de commandos de marine cagoulés montant sur de petits bateaux ou arraisonnant des canots pneumatiques leur permettent de gagner la star académie de la juste cause.
Les hommes, les partis politiques -et une femme politique- l’ont bien compris, et le véritable enjeu de l’affaire Clearstream est bien là. Le fond de l’affaire, très bien décrit par la presse non engagée dedans, n’a rien de bien sensationnel. Un ministre aurait demandé à enquêter sur des mouvements de fonds suspects. Quoi d’extraordinaire ? Ne l’aurait-il pas fait qu’on s’étonnerait de la bienveillance avec laquelle on laisse des choses sans vérification. On n’aurait pas prévenu un des suspects. Vient-il à l’esprit même des héros des séries policières de M6 de prévenir les suspects ?

L’important est donc ailleurs... et se trouve immédiatement, quand on constate à quel moment l’affaire s’est retrouvée propulsée à la une et quels ont été les mouvements immédiats qui ont suivi (tellement immédiats qu’on ne les imagine pas non préparés à l’avance).

Ces mouvements ont eu tous pour but de présenter Monsieur Sarkozy comme victime d’une méchante machination. M. Sarkozy, six mois après avoir été étiqueté grand méchant qui manie la trique contre les petits et les sans grade, s’est retrouvé du jour au lendemain de l’autre côté, comme petit, victime de machinations, de calomnies. Quelle transformation, à un an de l’élection sur laquelle il concentre toute son énergie !

La première phase de l’affaire Clearstream a donc mis en place progressivement différents couplets (via notamment un leader médiatique qui gérait le tempo de la musique), dont le refrain décrivait le pauvre et petit Nicolas, écrasé par une machination d’Etat, Etat détourné par le(s) grand(s) méchant(s).

Après avoir épuisé les possibilités de l’espion secret (tellement secret qu’il laisse tout par écrit), du corbeau (tellement caché qu’il n’y a qu’un candidat), de l’univers des "marchands de canon" (qui relie via l’imaginaire populaire à la mafia russe, aux anciennes affaires et agit comme la sauce de l’ensemble pour expliquer l’évidence de la machination) et constitué le plat final : "Je me porte partie civile car je suis la victime et je crois en la Justice (tout en gardant un sourire et des mots qui signifient que je n’y crois pas beaucoup car il s’agit d’une machination énorme contre moi le petit, la victime)", le four politico-médiatique dans lequel devait cuire et gratiner la victime annoncée ne semble pas donner les résultats espérés...

Certaines autres "victimes", parfois plus "légitimes" car citées en tout premier dans les fameuses listes, ne semblent pas vouloir aussi facilement participer à la curée contre le Premier ministre (par exemple, M.  Chevènement). Un juge semble en savoir plus depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne le croyait. La victime elle-même semble avoir été informée il y a longtemps. Les notes de l’espion secret sont interprétables finalement dans tous les sens. Les débordements en direction de l’Elysée ressemblent de plus en plus à un concours de réécriture des Pieds nickelés. Et pour finir, certains, qui ont gardé leur sang-froid, rappellent l’affaire Baudis et les erreurs des emballements médiatiques du début...

Bref, la victimisation semble finalement hésiter à choisir celui qui l’appelait de toutes ses forces, pour peut-être se poser sur celui qu’on voulait désigner comme méchant. Ça tombe d’ailleurs bien pour les stratèges du Premier ministre (s’il en a, car une victime est toujours seule...) car le CPE l’a préparé à ce rôle de victime (comme victime de la rue, lieu d’expression d’une partie de la France en opposition avec une autre et comme victime du lâchage du Medef et d’une partie de l’UMP). Les meilleurs baromètres de la victimisation sont les dames âgées. Trouvez-en une, et demandez-lui ce qu’elle pense des hommes politiques actuels. Vous verrez que le Premier ministre gagne en "le pauvre" en ce moment ;-)

Qui sera la victime finale ? Personne ne le sait actuellement, mais l’enjeu est bien là ,car les Français aiment les victimes, afin de pouvoir les aider ensuite, surtout lorsqu’elles continuent leur travail pendant les difficultés, comme le font nos deux candidats...

Heu... au fait ... n ’oublie-t-on pas celui sur lequel il est devenu une mode de taper ? Il ne parle d’ailleurs pas trop en ce moment... Et s’il râflait la mise de la victimisation en 2007 ?


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