Libération, ou je ne tends pas l’autre joue

par Philippe Bilger
vendredi 10 février 2006

Jacqueline Coignard, dans Libération d’aujourd’hui, écrit un article où j’ai droit, de sa part, quasiment à la moitié d’une colonne qui se veut un procès en règle de ma prétendue impatience médiatique - je bouillais, paraît-il, à l’idée d’un passage devant les caméras - et de l’aménagement d’une session d’assises à des fins qui m’auraient été strictement personnelles.

On peut s’étonner de la teneur, dans les circonstances que nous vivons, d’un tel texte qui, certes, permet à quelques avocats et magistrats de s’exprimer, mais semble totalement dérisoire par rapport à la problématique de la justice.

Jacqueline Coignard, à laquelle m’oppose un contentieux à la fois insignifiant et signifiant, a cru trouver sur mon blog de quoi m’accabler. Ce qu’elle ne comprend pas, ou ce qu’elle feint de ne pas saisir, c’est que la phrase qu’elle cite constitue une dérision à mon égard, et que je me moque évidemment de la pensée que je prétends proférer. La note du 30 janvier, d’où elle a extrait ce passage, concerne tout autre chose, qui ne l’intéresse pas, obsédée qu’elle est par la volonté de présenter comme sérieuse une saillie superficielle et de me montrer comme affamé de sollicitations médiatiques. Un mot, tout de même, sur le début de notre querelle. Mme Coignard, annonçant une émission de Mireille Dumas à laquelle je devais participer, avait évoqué le "substitut Bilger zozotant ". Par courrier, je l’avais remerciée de communiquer une aussi formidable nouvelle, et je lui avais promis, à l’avenir, de ne pas hésiter à parler d’elle sur le même mode éventuel : moche, grosse ou mal foutue. J’avais remis une couche dans le livre co-écrit avec Gaccio où j’osai dire - crime de lèse-journalisme - qu’il existait des journalistes nuls, même à Libération, ce qui ne me semblait pas une information d’une originalité stupéfiante.

Plus gravement, dans la demi-colonne qui m’est consacrée, Jacqueline Coignard prétend qu’une affaire de viol à huis-clos se serait terminée "à l’heure du thé " le 8 février. Même sur ce plan, dont on peut se demander en quoi il pourrait susciter l’intérêt d’un lecteur normal, elle est incapable de fournir une nouvelle exacte. L’affaire de viol s’est terminée le 6 au soir, tard, et le lendemain la Cour d’assises a été saisie d’un dossier de vol à main armée. Le 8 février, si son remarquable président n’avait pas reporté l’audition d’un fonctionnaire de police pour des raisons fort opportunes, je n’aurais pas pu, comme tant d’autres, assister à l’audition du juge Burgaud. Je l’aurais vivement regretté, d’ailleurs, et j’aurais été quitte, comme Alain Verleene, à la regarder plus tard.

Non, je ne bouillais pas d’impatience. Celui qui abaisse, c’est qu’il est bas, a écrit Montherlant. Mme Coignard n’en est pas loin. Il y a tant de vanité et d’arrogance, chez certains journalistes, qu’ils ne peuvent pas imaginer une seconde qu’on souhaite répondre aux invitations des médias pour d’autres motifs que le narcissisme et le culte de soi. Ils ne peuvent pas concevoir qu’on les apprécie pour ce qu’ils permettent, pas pour ce qu’ils sont forcément. Si j’étais obnubilé par le goût d’apparaître pour apparaître, je flatterais, je tiendrais un autre discours, et j’adorerais Libération  ! Je suis désolé de lui apprendre, puisqu’elle lit mon blog pour le travestir, que la passion de convaincre, l’envie de communiquer et la volonté d’expliquer constituent pour moi des stimulants infiniment plus puissants. Ils demeureront probablement toujours étrangers à cette journaliste, déficiente quand elle recueille l’information - la rumeur a ses limites - et faible quand elle analyse la psychologie. Non, ce qui me préoccupe, ce n’est pas d’être un personnage, mais d’avoir la chance de pouvoir dire et faire.

A Libération, heureusement, un Philippe Lançon, par exemple, me console d’elle ! Je sais bien que si je voulais plaire, il conviendrait que je courbe le dos et l’échine. Ce serait un honneur que de lire des faussetés sur soi. On sait qu’il ne faut jamais répliquer.

Outre le bonheur intellectuel que le blog me procure quand je lis tous vos commentaires, il me donne la satisfaction de réagir.

Je ne tendrai pas l’autre joue.


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