Nicolas Sarkozy : une certaine illusion républicaine
par Laurent Watrin
lundi 17 juillet 2006
Quand la politique d’immigration révèle une pensée nationaliste d’un autre âge.
Parmi les conditions fixées par le ministre de l’Intérieur pour régulariser « au cas par cas » des immigrés sans papiers, il en est une qui révèle une pensée politique à méditer.
Nicolas Sarkozy a en effet donné des instructions aux préfets pour qu’ils envisagent de valider le séjour des familles immigrées dont les enfants sont nés en France, ou arrivés en très bas âge, et qui ne parlent pas la langue de leur pays d’origine.
Un jeune immigré devra-t-il donc abandonner l’idée de parler un jour sa langue maternelle ? Si ce n’est pas le but de cette mesure, alors à quoi sert-elle ? Pour se justifier, le ministre de l’Intérieur explique qu’il « serait cruel de renvoyer un gamin dans un pays qu’il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue ». Mais la cruauté est peut-être de l’autre côté. Qu’elle soit maladroite ou réellement intentionnée, cette proposition dénote en tout cas une certaine tournure d’esprit du chef de l’UMP.
La langue maternelle est un pilier inaliénable de l’identité, de la culture et des racines d’une personne, quelle que soit son origine. La condition posée par le ministre de la République revient à exiger que les parents immigrés élèvent leur enfant dans une autre langue que la leur, ce qui tend à affirmer en quelque sorte le principe d’une négation de la personne. C’est un danger pour l’intégration. Car la réalité, du point de vue de l’éducation, c’est qu’un enfant qui parle la langue de ses parents et à qui l’on enseigne dans le même temps une autre culture a plus de chances de devenir un citoyen éclairé et une personne équilibrée, apte à trouver sa place dans notre société mondialisée. C’est d’ailleurs le cas de dizaines de milliers de jeunes Français d’aujourd’hui, qui vivent une double culture. Bien sûr, il existe des situations de déracinement et de perte de repères, pour une minorité de ces jeunes issus de l’immigration, mais cette minorité ne doit pas cacher la forêt !
Cette condition sur la langue d’origine posée par le ministre de l’Intérieur est à rapprocher des valeurs nationales de la France, affirmées de façon répétitive par ce même ministre. Certes, Sarkozy n’est pas Le Pen, comme l’affirment certains (procès injuste et dangereux) mais on peut répéter - dans toutes les langues - que le nationalisme de M. Sarkozy atteint ici des sommets qui écartent des réalités ce fils... d’immigrés hongrois.
Au fond, la dernière trouvaille du probable candidat officiel de l’UMP à la présidentielle relance cette vieille illusion française de l’unité culturelle de la République, qui est largement partagée à gauche comme à droite. Ce n’est jamais facile de s’intégrer dans un pays qui refuse d’accepter les cultures croisées, personnelles et collectives, qui se trouvent sur son sol, quelle que soit leur longévité historique. Certains Bretons, Basques et Alsaciens n’oublient pas que la France ne reconnaît toujours pas la Charte européenne sur les langues minoritaires, au nom de cette illusion républicaine.
Pour sortir de cette ornière, il y a urgence à parler de République européenne.