OGM, entre manipulation et désinformation

par David Carayol
jeudi 30 mars 2006

Le 7 février dernier, le verdict tombe et l’information est confidentielle : l’Union européenne est condamnée par l’OMC pour son régime d’importations d’OGM, à la suite de la plainte des Etats-Unis, du Canada et de l’Argentine en 2003 [1].

Cette information, issue de sources diplomatiques, fait le tour du monde avant d’être démentie le 28 février dernier par l’ONG Friends of the Earth, qui s’est procurée le rapport de l’OMC [2]... Etonnant, non ?


La technologie transgénique ou biotechnologie qui permet de manipuler des organismes ou OGM est un sujet éminemment sensible au niveau européen.
Il a la double particularité de réunir un large consensus de la part des citoyens et de la société civile, 62% des Européens sont inquiets des OGM [3], et de diviser avec tout autant de force les représentations citoyennes au sein même de nos institutions.

C’est ainsi que nous avons pu assister depuis 1998 à :

• La mise en place d’un moratoire de 6 ans (levée en mai 2004) par la Commission européenne afin de retarder l’obligation des Etats membres, en vertu des accords de libre-échange signés à l’OMC, d’utiliser des graines génétiquement modifiées. C’est ce même moratoire qui a entraîné la plainte devant l’OMC des trois pays ci-dessus
• Le refus de 40 régions de 6 pays de l’Union européenne d’utiliser des OGM, se déclarant ainsi libres d’OGM (GMO free), s’opposant de fait à l’obligation de la Commission européenne
• La Commission européenne a fait l’objet d’une plainte en 2003 des Etats-Unis, du Canada et de l’Argentine auprès de l’OMC (cf ci-dessus)
• Le 24 juin 2005 les ministres de l’environnement réunis en Conseil européen autorisent les pays membres qui ont choisi de restreindre l’accès à certains OGM [4]
• Le 5 octobre 2005 la région de la Haute Autriche a été condamnée par la Cour de Justice européenne pour avoir interdit la culture d’OGM [5], après une plainte déposée conjointement par les gouvernements -régional et fédéral- autrichiens
• Le 10 janvier 2006 la Commission européenne oblige la Grèce à autoriser la culture de 17 variétés d’OGM autorisés au niveau européen [6]
• Enfin ce même pays, la Grèce, récidive en annonçant le 30 janvier qu’elle prolongeait de 18 mois l’interdiction des variétés de maïs concerné et qu’elle l’étendait à 14 variétés supplémentaires, soit 31 au total [7] !
Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Quels sont les enjeux de l’industrie des OGM ? Cette inquiétude se justifie-t-elle ou non ? Les OGM sont-ils bénéfiques ou dangereux ? Pourquoi un tel consensus contre les OGM dans la société civile européenne ?

Voilà toutes les questions que soulève ce débat sur les OGM qui, au-delà de la question purement commerciale, a le mérite d’illustrer un certain nombre de contradictions de notre société mercantile.

Nous verrons comment ce même débat remet directement en question quelques grands principes communs aux Européens, qu’il s’agisse du principe de biens communs, de précaution, de subsidiarité, ou tout simplement du principe démocratique.

Bref historique et marché des OGM

La biotechnologie est une technologie assez jeune, la première plante transgénique, le tabac, ayant été obtenue en 1983. La première plante modifiée génétiquement (tabac) fut ensuite commercialisée en 1990 et le premier légume (la tomate) en 1994.

Les promesses
Très vite les OGM ont été présentés comme une invention technologique révolutionnaire, un progrès certain pour l’humanité, tant du point de vue des espoirs suscités pour la recherche médicamenteuse que pour les propriétés hors du commun qu’ils présentaient. Les chimiquiers ou industriels de la chimie, promoteurs de cette technologie, n’hésitèrent pas à louer les vertus extraordinaires de cette nouvelle technologie. C’est ainsi qu’il nous arrive fréquemment de lire ou d’entendre :
- les OGM vont éradiquer la faim dans le monde
- le rendement supérieur de ces plantes permettra de diminuer la pauvreté des paysans du tiers-monde les cultivant
-ou encore : ils contribueront à la sauvegarde de l’environnement en réduisant l’usage des pesticides, en créant des plantes résistantes aux insectes et/ou tolérantes aux herbicides.
- Certains ont même parlé des OGM comme de la prochaine "révolution verte"...
Ainsi cette nouvelle technologie "révolutionnaire" a été promue à coûts de milliards de dollars de budgets de relations publiques à travers le monde.

Le marché
Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle, puisque le marché mondial des semences (utilisées) est estimé en 2006 à 50 milliards de dollars [8]. Néanmoins, ce marché a comme particularité de n’être pas un marché, au sens habituel du terme, puisque, depuis toujours, une partie des semences obtenues lors de la récolte sont réutilisées par les agriculteurs. De plus, la grande majorité des agriculteurs utilisent des variétés de semences appropriées à leurs régions, sélectionnées au cours des siècles pour leurs qualités propres.
Les principales transnationales et plus actifs contributeurs de cette technologie, que sont Monsanto, Bayer, Aventis Cropscience, Dupont, Cargill ou encore Syngenta, ont donc investi depuis 15 ans ce marché potentiellement très lucratif. Ils ne sont pas tout seuls puisqu’aidés pour cela par les subventions allouées à la recherche par les Etats-Unis, ou, plus surprenant, par les fonds d’aide au développement de ce même pays (USAID) [9] ou encore par les programmes de la Banque mondiale.
C’est ainsi que ce marché en devenir s’est très vite retrouvé particulièrement dynamique. En 2004, 81 millions d’hectares avec des OGM ont été plantés dans le monde, la plus grande partie se trouvant aux Etats-Unis (47,6 millions ha), en Argentine (16,2 millions ha) au Canada (5 millions ha) et en Chine (3 millions d’ha). Le marché des OGM croît rapidement, en moyenne de 20% par an.


Les brevets, véritable enjeu des OGM

A la différence des semences traditionnelles, qui sont achetées par les producteurs une fois, puis leur appartiennent, le modèle économique des multinationales de la biotechnologie repose en grande partie sur la propriété intellectuelle.
L’industrie des OGM repose sur deux piliers principaux :
1. L’utilisation de semences brevetées, en moyenne 25% plus chères que les semences traditionnelles
2. L’utilisation des produits chimiques associés

Car n’oublions pas que le cœur de métier de ces entreprises est d’abord la chimie. En fait, les OGM sont une formidable machine à faire de l’argent ! Jugez plutôt...

Les semences brevetées
Chaque variété d’OGM est par définition nouvelle, car il s’agit d’une variété unique développée par l’entreprise propriétaire. La firme propriétaire possède donc un droit de propriété intellectuelle dessus. Conséquence, lorsqu’un producteur achète ces semences à la firme propriétaire, il doit payer la semence la première fois, mais également chaque année, car il paie aussi la technologie brevetée : il n’a pas le droit de réutiliser les semences issues de la récolte de l’année précédente. Cette technologie est donc particulièrement lucrative pour la société propriétaire.
Mais il y a mieux encore (j’entends : plus lucratif). Certains agriculteurs trouvant la mesure un peu cavalière pourraient être tentés de réutiliser ces semences. La parade était donc de créer des OGM stériles afin de contrecarrer toute velléité de ce genre. Cette technologie, à l’acronyme anglais quelque peu barbare GURT (genetic use restriction technology), technologie de restriction génétique, en français, ou encore Terminator, est largement dénoncée par un certain nombre de mouvements écologiques ou politiques [10]. Cette technologie a la particularité d’être uniquement utilisée dans les pays du Sud, car systématiquement rejetée par les pays du Nord [11].
Toujours plus fort, dans les OGM de type GURT, la société Monsanto envisage dans son dernier rapport [12] la possibilité d’OGM qui, pour se développer, utiliseraient une hormone de croissance spécifiquement étudiée pour ce produit. Et devinez qui en serait le fournisseur... ? Monsanto !

Les produits chimiques ou intrants
Car ceci nous amène à l’autre volet économique des OGM : les intrants, ou engrais, pesticides (herbicides et insecticides) nécessaires à la culture des variétés de plantes et des OGM. 
Chaque variété étant unique, il convenait également de fabriquer les produits chimiques les plus adaptés à ces nouveaux organismes. Le métier historique de ces sociétés étant la chimie, il leur est aisé de proposer leurs intrants à leurs clients. L’hormone de croissance citée ci-dessus est la dernière trouvaille chimique d’une industrie décidément très inventive.

David Carayol

[1] Voir à ce propos les articles publiés dans Le Monde ou Bloomberg
[2] Voir Le Monde et Novethic
[3] Voir l’Eurobaromètre de la Commission européenne (p24) sur la perception des risques publié en février 2006

[4] Les ministres de l’environnement de l’Union européenne autorisent les interdictions d’OGM : Amis de la Terre
[5] condamnation de la Haute Autriche par la Cour de Justice européenne : Yahoo.com
[6] Décision de la Commission européenne à l’égard de la Grèce
[7] Prolongement de l’interdiction par la Grèce : Greenpeace
[9] Voir à ce propos l’article suivant : L’USAID : comment faire pour que le monde ait faim de cultures génétiquement modifiées, Grain.org
[10] Banterminator.org
[11]
Communiqué des verts pour interdire la culture mondiale des graines terminator

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