Osons la réforme

par Pelletier Jean
vendredi 31 mars 2006

Alors que le gouvernement jette à la rue plus de deux millions de personnes en tentant d’imposer une modification radicale du Code du travail, ceci sans la moindre concertation, il ferait mieux de prendre à bras le corps les réformes de fond qu’attend le pays : un Etat plus simple, donc plus efficace, un Etat plus modeste, donc plus économique, un Etat plus social, donc plus apaisé, enfin un Etat comptable de toutes et de tous.

Le degré zéro de la réflexion politique ayant été atteint, de même que des sommets ubuesques quant à ce qu’il pouvait rester de dignité aux hommes politiques, il semble nécessaire de rappeler ici, à défaut de programme de gouvernement, quelques idées simples quant aux réformes de l’Etat et à la réduction des déficits ; ceci à un moment où l’ensemble des discours de la classe politique et des médias convergent abusivement vers une « impérieuse nécessité » de réduire la voilure de notre système de protection sociale, tout en passant sous silence les réformes qui remettraient en cause les élites, leur statut, leur pouvoir et leur financement.

Les interpellations successives des deux camps, consistant à accréditer l’idée qu’il existerait un camp de la réforme et du courage face à un camp de l’immobilisme et de la démagogie, relèvent de l’escroquerie intellectuelle, surtout quand on sait que ce sont les ardents défenseurs de la cause sociale qui se font ainsi « taxer » de démagogues. Le niveau du débat reste confiné ainsi à ce qu’il y a de plus médiocre dans notre société, l’anathème, l’affirmation abusive, le credo, le dogme...

De tels propos, puissamment relayés par des médias globalement complices, toutes tendances politiques confondues, font fi du bon sens des électeurs. Si ceux-ci ont balayé successivement toutes les majorités de gauche et de droite à intervalles réguliers, il doit bien y avoir quelques bonnes raisons, qui mériteraient une analyse un peu plus sérieuse qu’un prétendu tempérament français hostile à la remise en cause de ses acquis sociaux ! Encore une fois, ce qu’il reste d’intelligence au débat public se trouve ainsi ramassé dans un poncif des plus désolants pour le pays de Descartes et de Voltaire.

Il serait aisé de citer, à titre d’exemple, la politique de mesures catégorielles dictées par le MEDEF sur les retraites, l’assurance-chômage, l’assurance maladie, la recherche, la restauration, les velléités de charcutage du droit du travail (cf. les 44 propositions du MEDEF), sans pour autant circonscrire à aucun moment un quelconque projet collectif, équilibré, de société susceptible de recueillir un consensus, inscrit dans le temps et tourné vers l’avenir.

Cette manière de trancher dans le vif sur les plus fragiles et les plus démunis, de décourager les classes moyennes en faisant peser sur elles le poids de l’impôt le plus lourd, tout en leur donnant le sentiment d’être la France qui travaille contre une France qui serait assistée, cette manière-là a été sanctionnée par un « vote-manifestation » sans appel à l’occasion des dernières élections régionales. Car cette carte de France colorée aux armes du Parti socialiste ressemble plus à une grève générale par procuration qu’à une affirmation ou à une détermination pour un projet politique, lequel n’a pas d’ailleurs été mis aux voix à l’occasion de cette consultation.

Le non au référendum sur la constitution européenne relève tout au moins de la même exaspération.

Ce climat, avec une minorité politique déterminée à passer en force par tous les moyens, y compris les artifices les plus grossiers du mensonge, est d’une gravité extrême. La prédiction de Pierre Mendès France, prononcée sur le berceau d’une Ve République naissante quant à son destin funeste, peut se réaliser quarante-six ans plus tard dans des conditions tragiques, si l’on n’y prend garde.

Afin de tordre le cou à la logorrhée verbale pseudo-réformiste des uns et des autres, voici quelques réformes directement liées à la réduction des déficits, pour interpellation des politiques : osons la réforme !

UN ÉTAT PLUS SIMPLE, DONC PLUS EFFICACE.

Commençons par le plus simple et le plus évident : la suppression de l’échelon départemental (100 départements) et la création de 8 régions (au lieu de 22) dotées de pouvoirs réels dans le cadre d’une décentralisation effective. Une telle réforme placerait la France au même niveau d’organisation administrative que l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, et favoriserait une véritable coopération inter-régionale dans le cadre européen.

Les Français savent-ils que l’échelon départemental dans les DOM correspond au même périmètre que l’échelon régional, avec des hôtels, lieux de résidence, des deux administrations qui se font face dans la même rue ?

Outre la simplification administrative, la fluidité de la coopération inter-régionale dans le cadre européen, les économies de coût de gestion considérables à envisager, il y aurait là une lisibilité politique qui s’imposerait à tous.

Dans un même esprit, faut-il rappeler la parcellisation extrême de l’échelon communal ? Avec 36 500 communes, la France détient le triste record européen de cet émiettement qui nuit à l’efficacité, à la nécessaire productivité des moyens à mettre en œuvre dans les équipements collectifs et les politiques locales de développement.

Plutôt que cette multiplication à l’infini des formules d’intercommunautalité (Sivom...) à tiroirs qui compliquent et alourdissent financièrement les coûts de gestion, il serait nécessaire d’opérer un regroupement autoritaire des communes.

Suppression de l’échelon départemental, 6 à 8 grandes régions dotées d’un véritable exécutif, et des moyens financiers et d’action y afférant, moins de communes et de véritables collectivités locales en milieu rural ayant l’autorité et les moyens financiers pour agir, telle serait une France moderne, active et en mesure de développer une politique sociale, culturelle et économique avec ses partenaires les plus proches de la communauté européenne.

Hormis la cohorte de notables locaux touchés par ces réformes (soit l’ensemble de l’exécutif des 100 conseils régionaux, une bonne partie des régions et un nombre important de maires et de conseillers municipaux), qui peut s’opposer à une telle réforme ?

Deux objectifs seraient ainsi atteints : une très sérieuse baisse des coûts de fonctionnement de ces institutions, une meilleure lisibilité des échelons locaux quant à la mise en œuvre des politiques régionales et européennes.

Enfin, en reprenant à notre compte les audaces -ainsi perçues en leur temps- du général de Gaulle, ne faudrait-il pas revoir notre système bi-caméraliste, ne pourrait-on pas utilement réformer le Sénat et le replacer dans un rôle purement consultatif, en le fusionnant avec le Conseil économique et social ?

Ne faudrait-il pas revoir la place de l’Assemblée nationale, qui devrait être le véritable lieu de réflexion et d’élaboration des lois ? Pour cela, encore faudrait-il avoir le courage de revisiter la Constitution et le partage des pouvoirs entre la présidence de la République, le Premier ministre et l’Assemblée, et donner aux parlementaires des moyens réels de travail et d’opposition à la toute-puissante haute administration française.

UN ÉTAT PLUS MODESTE, DONC PLUS ÉCONOMIQUE.

Avec plus de simplicité, l’Etat pourrait se montrer plus modeste avant d’exiger de ses administrés des sacrifices sur leur système de retraite ou de santé. Des gouvernements plus restreints... Mettons fin aux ministères gadgets relevant de la communication politique, lesquels, sans administration, non seulement n’ont aucun moyen d’agir, mais entravent l’action des autres ministères et pèsent inutilement sur les coûts de fonctionnement de l’Etat. Est-il nécessaire de laisser se perpétuer l’installation des cabinets ministériels dans les hôtels particuliers de l’ancienne noblesse chassée par la Révolution ?

Vendons ce patrimoine d’un entretien coûteux, installons les cabinets ministériels dans des bureaux standards, comme n’importe quelle grande entreprise, à l’image des autres pays européens ; qu’une certaine pompe soit nécessaire à la présidence de la République, à l’Hôtel Matignon et au Quai d’Orsay, on peut l’admettre, mais l’Intérieur, les Armées, l’Education nationale ou l’Agriculture ? Et à vivre et travailler comme n’importe quel autre citoyen, nos élites politiques gagneraient plus de simplicité et une meilleure intégration dans la société, ce qui pourrait leur éviter les égarements dont ils ont fait preuve ces dernières années.

A l’instar du Canada, qui a opté il y plusieurs années pour la transparence la plus totale, lorsqu’il s’est agi de réduire drastiquement les déficits, publions sur Internet les notes de frais des ministres, secrétaire d’Etat, directeurs d’administration centrale et hauts fonctionnaires.

On a multiplié exagérément les établissements publics de tout ordre (EPIC, EPA ...) : contrôlons les fonds dont ils disposent, et plus particulièrement les réserves considérables qu’ils ont accumulées, stérilisant inutilement des fonds publics faisant cruellement défaut dans d’autres administrations. Nommons une mission d’investigation pour mettre fin à ces abus.

Enfin, poursuivons la moralisation déjà entreprise des fonds spéciaux ; si une partie du travail a été fait en ce qui concerne les fonds secrets distribués aux cabinets ministériels, la même transparence, la même clarification devraient être entreprises en ce qui concerne les budgets de fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Récemment, un article du Monde faisait état d’une augmentation de 700 % du budget de fonctionnement de l’Elysée depuis son occupation par Jacques Chirac.

Sur l’ensemble des politiques, la Cour des comptes établit chaque année la liste des abus, et chaque année ceux-ci se poursuivent, sans véritables conséquences pour leurs auteurs.

Un tel Etat, lesté de « ces prétentions douteuses », serait sans aucun doute plus crédible pour entreprendre les « réformes douloureuses » dont on nous rebat les oreilles.

Il serait d’autant plus facile de signer un contrat social avec les Français aux fins d’engager une réduction sévère du budget de l’Etat, si ses plus grandes institutions et ses plus zélés serviteurs faisaient allégeance à la modestie et la transparence.

UN ÉTAT PLUS SOCIAL, DONC PLUS APAISE.

Faut-il rappeler cette vérité première, que la meilleure manière de réduire les déficits, c’est de réduire le nombre des chômeurs ? Présentement, la politique ultra libérale mise en œuvre au nom d’une liberté d’entreprendre et d’une mondialisation de l’économie a consisté à mettre à la rue des centaines de milliers de travailleurs et à en précariser un nombre tout aussi important. L’actuelle crise nouée autour du CPE montre l’inanité d’une telle politique. Une réduction volontaire par une relance de l’emploi de 500 000, un million de chômeurs, aurait un effet immédiat sur les comptes de la SS, les caisses de retraite et l’assurance-chômage. Le phénomène s’est déjà produit il y a quelques années, lorsque Lionel Jospin, comme Premier ministre, déterminait et conduisait la politique de la France.

Une politique sociale n’entraîne pas seulement des dépenses supplémentaires, elle génère aussi des effets-retours sur les déficits et les équilibres économiques, qu’il s’agisse de la réduction du temps de travail, laquelle libère des emplois et génère une véritable économie du temps libre, ou de la retraite à 60 ans, qui libère des emplois pour les plus jeunes et abonde de la même manière une économie du temps libre, et rend les retraités disponibles pour l’animation bénévole des associations sportives, culturelles et caritatives, dont la société a tant besoin pour panser les plaies du libéralisme économique.

Les emplois-jeunes ont fait la preuve de leur efficacité dans l’Education notamment. Leur disparition a affecté gravement le fonctionnement des écoles, des collèges et des lycées. L’absence de dialogue et d’écoute, le refus de la concertation, l’engagement de réformes portées par une haute administration autiste, coupée des réalités, a un coût économique considérable, direct, par l’effet des grèves, indirect, par la démotivation qui inévitablement s’installe. Comment a-t-on pu laisser s’installer successivement un tel climat de désarroi chez les enseignants, puis chez les intermittents du spectacle, les chercheurs, et enfin dans toute une jeunesse au secours de laquelle vole une grande majorité d’adultes. ?

UN ÉTAT COMPTABLE DE TOUTES ET DE TOUS.

L’économie de « courte vue », qui prévaut aujourd’hui, n’a pas la capacité d’envisager les économies « induites ». Dans une perspective strictement comptable, elle se refuse à comptabiliser l’impact d’un système scolaire amélioré, l’incidence d’une politique en faveur des personnes âgées sur les coûts de santé, l’effet du ferroutage en contrepoids de la surcharge des autoroutes.

Le libéralisme économique impose à tous les effets dévastateurs de l’accélération de son mode de pensée, de sa culture de « l’instant », de son déni de tout ce qui n’est pas comptable.

Comme toute idéologie, il a réussi à pénétrer les esprits, il s’est joué de la chute du mur de Berlin et de la fin du communisme comme d’arguments définitifs justifiant son unique autorité sur le monde. En clair, après avoir imposé le point de vue d’un monde qui serait ou noir ou blanc (ignorant obstinément le gris...), il a proclamé la victoire du blanc...

Eh bien non, il n’y a aucune fatalité à accepter ce point de vue, certes obsédant, mais qui n’est qu’un point de vue, dans un monde où se côtoient trente-cinq milliards de variétés de la vie... Non, décidément non, il n’y a aucune raison de croire que la régression sociale, la prétendue « mobilité » des individus seraient les seuls points de sortie de la crise actuelle.

A l’absence de futur, au pessimisme tout terrain que nous côtoyons, et à la régression sociale pour tout horizon, nous opposons résolument l’esprit de découverte, la conquête de nouveaux droits, la liberté, l’insolence, le savoir, la connaissance, le progrès, et la justice.

Jean Pelletier


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