Prud’hommes, un anniversaire étrangement oublié

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mercredi 22 mars 2006

La justice au travail a soufflé ses deux cents ans le 19 mars 2006. Qui était de la fête, ou plutôt, à son chevet ? Apparemment, pas les centrales syndicales...

Occupées depuis un mois à faire plier le gouvernement face à la mobilisation massive anti-CPE, de quelle manière les organisations syndicale fêteront-elles les 200 ans de la juridiction prud’homale, échus depuis le 19 mars 2006 ? Logiquement, et si l’on en croit la bataille électorale qui a fait rage entre organisations syndicales lors des dernières élections prud’homales en décembre 2002, ces deux cents bougies mériteraient bien, quatre ans plus tard, d’être soufflées autrement que dans un anonymat suspect. Las ! A scruter les agendas des syndicats, à éplucher les colonnes de leurs organes de presse ou leur portail Internet, le moins qu’on puisse dire est que le sujet n’émeut guère dans les chaumières militantes et championnes des droits des salariés.

Oubli, paresse intellectuelle, incurie syndicale ou pratique politicienne ? La question mérite d’être posée tant, en définitive, le point névralgique de la fronde anti-CPE semble légitimement résider dans la non motivation de sa rupture. Tant, ainsi que le claironne de plus en plus fort la CFDT, les victimes du CPE pourraient tout à fait saisir les tribunaux de cette juridiction sociale que sont les prud’hommes. La CFDT, dont le jusqu’auboutisme dans la fronde anti-CPE est en grande partie motivé par l’échéance de son congrès en juin prochain et le spectre d’une nouvelle hémorragie d’adhérents, ne se trompe pas en effet sur les possibilités de recours en cas de rupture abusive d’un CPE. La centrale de François Chérèque n’est d’ailleurs pas peu fière d’annoncer être partie prenante dans 25 affaires prud’homales concernant le CNE, autre contrat assorti du même défaut de non motivation au salarié mais pas devant les juges ! Vingt-cinq, le chiffre est impressionnant !

Le hic, c’est qu’à l’instar des quelque 215 000 salariés qui saisissent chaque année ces tribunaux, les victimes du CPE devraient patienter au moins un an, et même deux ou trois ans, en cas de recours, avant d’obtenir, le cas échéant, réparation. Que faire en attendant ? Devenir allocataire des Assedic si l’on a suffisamment cotisé et pendant ce temps, rechercher du travail en déclinant le plus tard possible les postes moins bien rémunérés que le précédent ? Le chômage rongeant, accepter le premier CDI miraculeusement proposé, voire un CDD, un contrat en intérim, un CNE, un contrat « senior » pour les plus âgés, un CPE ou autre trouvaille gouvernementale pour les plus jeunes. Bref, travailler ! Accepter tout, ou presque, en se tenant à carreau et en croisant les doigts pour que ce contrat enfin dégotté ne soit pas à nouveau abusivement cassé. Sinon, bingo ! Retour à la case prud’homale et à ses quatorze mois d’attente en moyenne, dans les cas les plus simples.

Résultat des courses et interrogation de bon sens, pourquoi ne pas dénoncer haut et fort la pauvreté des moyens financiers et fonctionnels alloués à la juridiction prud’homale ? Ah, on les entend déjà, les accents touchants qui serviront à sa défense en 2008, date des prochaines élections qui verront qui de la CFDT, qui de la GGT s’octroyer les premières places, payées par le contribuable, afin de voir défiler les salariés floués. Pour autant, ces derniers le seront-ils moins, floués ?

Quid des dégâts moraux de cette attente qui n’en finit pas ? Quid du coût de cette justice engorgée qui décourage nombre de salariés préférant toper là avec leur employeur pour le prix d’une bouchée de pain et mettre leur mouchoir sur les blessures de l’injustice infligée, de l’humiliation et parfois, de l’infamie ? Quid des explications syndicales sur l’augmentation impressionnante des licenciements pour « motif personnel », autrement dit, pour « faute » supposée du salarié ? Quid, plus encore, de leurs propositions de réforme ? Entre 2001 et fin 2003, les licenciements pour motif personnel ont augmenté de 40 %, selon une toute récente étude de la Dares, passée quasi inaperçue. Trois quarts de ces salariés « fautifs » saisissant les prud’hommes travaillent dans le tertiaire. Les troupes de salariés de plus de 50 ans licenciés pour motif personnel sont passées de 50 % en 1996 à 70 % fin 2003.

En réalité, les tribunaux prud’homaux ressemblent de plus en plus à une décharge finale où viennent s’échouer les éclopés du Code du travail. Sous les yeux pas toujours compatissants de juges élus dans les collèges salariés. Code du travail dont le toilettage, espérons-le salutaire, a débuté il y a un an, et sur lequel les organisations syndicales, pourtant consultées, restent fort discrètes. La CFDT a fait de la prévention de toute atteinte physique ou morale des salariés l’un des ses chevaux de bataille. De la réparation, une obligation. Aux marges du combat qu’elle engage opportunément contre le contrat de travail de première embauche, elle serait bien inspirée, elle et toutes les autres chapelles syndicales, de dénoncer parallèlement l’indigence de la juridiction dans laquelle elles sont amenées à trancher tous les jours sur les contentieux juridiques et humains du travail. Une justice efficace et bien dotée ne pourrait-elle pas se révéler l’instrument idéal de la force de prévention tant réclamée ? En effet, qui paie vite et bien tout contentieux juridique injustifié... châtie moins.

Pour l’heure, pas un mot, pas un communiqué de presse émanant de la sphère militante sur l’état de délabrement de la justice au travail. Silence sinon suspect, à tout le moins coupable. Se battre pour faire barrage à une loi qui risque d’envoyer le sang neuf de la République à l’abattoir est nécessaire, mais pas suffisant. L’enjeu prud’homal ne réside pas seulement dans les élections représentatives syndicales. Il réside avant tout dans le respect des salariés justiciables.

Muriel Bastien, journaliste indépendante en recherche d’emploi, adhérente au Syndicat national des médias CFDT. muriel.bastien@laposte.net


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