Sommes-nous tous munichois ?
par Frédéric Millet
lundi 13 février 2006
Une démocratie peut-elle tolérer, sur son sol, l’attitude de fanatiques haineux et racistes dont le but, clairement avoué, est de la détruire ? Ne pas réagir face à cette montée de l’intolérance n’est-il pas la manifestation d’une attitude « munichoise » ?
Il y a soixante-dix ans, le monde assistait, stupéfait, aux manifestations organisées en Allemagne par les nazis, au cours desquelles la populace, ivre de haine, jetait dans d’immenses bûchers les livres d’écrivains mondialement connus : Heinrich Mann, Sigmund Freud, Albert Einstein, Bertolt Brecht, Stefan Zweig, Erich Maria Remarque... Ces écrivains, considérés comme "déviants", n’avaient plus leur place dans la nouvelle société allemande.
Ces manifestations de masse, dont la bestialité n’est plus à démontrer, n’ont pas entraîné de réaction de la part des démocraties de l’époque. Le choc passé, ces dernières reprenaient leur petite existence tranquille, laissant Hitler gesticuler, crier, revendiquer, persécuter, martyriser, et annoncer clairement qu’il allait faire la guerre au monde entier. Ces démocraties ont même poussé l’abject jusqu’à trahir leurs alliés, abandonnant notamment la Tchécoslovaquie au dépeçage voulu par les nazis, lors de la célèbre conférence de Münich en 1938. On prit alors l’habitude de parler de "munichois" ou "d’anti-munichois", pour qualifier une attitude veule ou non. Cette lâcheté devait conduire le monde au cataclysme que l’on sait.
Soixante-dix ans après, on peut s’interroger sur l’état de la mémoire des peuples vivant (encore) dans des démocraties. Devant la passivité ambiante face aux exactions de nouveaux fascistes venus d’horizons et de courants idéologiques différents, ne sommes-nous pas en train de devenir tous "munichois" ? L’actualité est marquée, ces derniers jours, et après quelques caricatures d’Allah parues dans un journal danois, par la gesticulation haineuse de fanatiques musulmans qui, rappelons-le, ne représentent qu’une infime partie des musulmans du monde, qui ne cherchent qu’à vivre en paix. Ces hommes, qui se servent de la religion pour instaurer un néo-fascisme qui n’a rien à envier au nazisme, brûlent des drapeaux, mettent le feu à des journaux, posent des bombes, tuent, au nom d’Allah et pour instaurer une dictature de la pensée, où la liberté individuelle ne serait plus qu’une vue de l’esprit.
Face à cette montée de la haine et de l’intolérance, que font nos démocraties ? Elles se réfugient dans des discours apaisants, dans lesquels elles dénoncent la provocation faite aux musulmans (la caricature est-elle une provocation ou un mode d’expression ?) et appellent à plus de retenue. Attitude lâche et irresponsable. La démocratie implique la liberté d’expression ; implique également qu’on puisse ne pas être d’accord mais, comme le disait Voltaire, qu’on se doit de faire en sorte que toute opinion, si dérangeante soit-elle, puisse s’exprimer. La démocratie se doit de rappeler encore et toujours que la tolérance est un dogme qui ne saurait être, une seule seconde, discuté ; sauf, dans ce cas, à aller ailleurs prôner la haine.
Être frileux face aux extrémistes (musulmans ou pas), ne pas adopter d’attitude intransigeante à leur égard, les laisser poursuivre leur œuvre de destruction de la tolérance et du respect d’autrui (dans ses différences d’opinion, de religion, de couleur...), c’est devenir "munichois". Le risque est grand de répéter le passé et de se réveiller, un matin, dans une société où on tuera en toute impunité, au nom d’un dieu ou d’une idéologie qui ne servent que d’excuses à des hommes élevés dans la haine et l’obscurantisme.