Identité ou profession senior ?
par Jean Claude BENARD
mardi 13 juin 2006
S’il existe des catégories économiques ou sociales pour classer les Français, il en est une qui est en train de devenir la cible de tous les débats : les seniors.
Savez-vous quand on devient un senior ?
Le lendemain de son 51e anniversaire.
Et pour combien de temps ? « Jusqu’à la fin de sa mort », comme disait Coluche !
Lorsqu’on sait que l’allongement de la durée de la vie en France amène progressivement la population française à l’âge de 80 ans, valider cette catégorie équivaut à classer les nouveau-nés avec les étudiants du cycle supérieur.
Qui se permettrait de faire un sondage d’opinion dans les maternelles en même temps qu’à la Sorbonne afin d’en tirer des conclusions ?
Et pourtant, les agences de communication et les médias n’ont jamais autant fait leurs choux gras sur le thème "seniors".
Que consomme le senior ?
Comment voyage-t-il ?
Comment vote-t-il ?
Où place-t-il son argent ?
Où vit-il ?
En gros, le senior serait devenu un individu jeune retraité, en assez bonne santé, en recherche de bon temps et de culture, acquis aux idées républicaines.
C’est d’ailleurs au travers de ce flou qu’on peut lire des merveilles de ce genre :
« 12% des seniors disent tenir compte des résultats des sondages pour choisir leur candidat lors d’une élection. Les plus de 50 ans sont les Français les moins influençables par les études d’opinion. A titre de comparaison, un tiers des moins de 30 ans se déterminent en fonction des sondages (sondage CSA réalisé pour Le Bleu de profession politique auprès de 955 personnes les 16 et 17 mai). »
« Près d’un baby-boomer sur deux (49%) estime qu’une réforme du droit du travail est nécessaire, selon un sondage réalisé par l’institut Ifop pour Acteurs publics. 54% des Français estiment d’une manière générale qu’il est "très urgent" de mener des réformes en France (956 personnes interrogées les 11 et 12 mai). »
Sources : Seniorscopie
J’attire votre attention sur l’échantillon retenu pour donner ces chiffres, inférieur dans les deux cas à 1000 personnes.
Alors, qui sont vraiment les seniors ?
Tout le monde sait que le comportement d’un individu varie totalement selon qu’il lui reste de 10 à 15 ans à travailler ou qu’il soit en retraite depuis 10 ou 15 ans.
Il existe bien des différences entre les catégories socioprofessionnelles et celles-ci sembleraient se marquer encore plus pour les plus de 50 ans. Le gouvernement l’a reconnu implicitement en lançant son plan pour l’emploi des seniors.
En effet, seuls 37% de la classe d’âge des 55-64 ans travaillent en France. Le gouvernement souhaite, dans le cadre de son plan national pour l’emploi des seniors, atteindre un taux d’emploi de 50% d’ici 2010. Sa mesure-phare repose sur la mise en place d’un « CDD senior » d’une durée maximale de 36 mois.
On pourrait bien entendu se réjouir de cet objectif, mais à la lecture du chiffrage des mesures, on est un peu déçu : « Une enveloppe de 10 millions d’euros est prévue cette année pour accompagner son lancement, dont la moitié affectée au financement d’une campagne de communication. »
Une autre question se pose immédiatement : puisqu’il faudra atteindre 57 ans pour bénéficier des mesures d’accompagnement, que deviendront ceux qui ont de 51 à 56 ans ?
Quelques remarques au passage : cumuler un emploi et une retraite ne va-t-il pas une fois de plus opposer une catégorie de Français à d’autres ? Les jeunes, notamment, ne vont-ils pas faire encore les frais de ces nouveaux « concurrents » ?
Le fait d’intégrer dans la catégorie « senior » des actifs et des retraités n’apporte-t-il pas un handicap supplémentaire vis-à-vis des employeurs ?
Ils sont d’ailleurs, actuellement, beaucoup à considérer qu’un plus de 50 ans a une santé plus aléatoire qu’un jeune, et surtout que le peu d’années qui restent diminue leur motivation.
Les seniors sont-ils un eldorado économique ?
Le salaire moyen des Français est d’environ 1779 €. Il faut toutefois noter que plus de 2,5 millions de salariés étaient rémunérés sur la base du Smic en 2005, selon une étude du ministère de l’emploi. Ce chiffre concerne les entreprises hors secteur agricole et hors intérim (soit 16,8 % des salariés de ces entreprises), précise la DARES (direction des études du ministère de l’emploi).
Il est assez évident qu’avec les différentes remises en cause des régimes de retraite et de la baisse du taux de remplacement, les futurs seniors ne sont plus vraiment à l’identique de ceux que nous présentent aujourd’hui les médias et communicants.
Il me semble indispensable de revoir cette caricature de catégorie de Français. Si le mot « vieux » est trop discriminant, et l’expression « personnes âgées » réservée aux 70 ans et plus (quoique, allez dire à certains septuagénaires qu’ils sont vieux !), il faudrait peut-être revenir sur la notion de jeune retraité, ou retraité de longue date, et supprimer définitivement les actifs de cette classification.
Et c’est un senior de 51 ans qui vous le dit.
Sources et bibliographie