L’hébergement d’urgence comme outil politique
par Pascal I2BX
mardi 21 février 2006
Le dernier Conseil d’arrondissement du 14e arrondissemnt de Paris, tenu lundi 13 février, a été l’occasion pour le Collectif logement 14 d’organiser une manifestation à l’entrée de la Mairie. 25 personnes souffrant des problèmes de mal-logement, accompagnées de 5 à 10 personnes issues de ce collectif (notamment LCR, PCF, Urbanisme et démocratie, ATTAC, LDH 14°/6°) étaient présentes à l’entrée de la Mairie, puis ont manifesté sous les fenêtres de la salle des mariages, où se tenait le conseil.
L’hébergement d’urgence : le coût
Les 25 personnes, avec parfois leur enfants en bas âge, étaient des personnes d’origine africaine, victimes d’une grande précarité en matière de logement : expulsés faute de moyens financiers, refusés en HLM faute de logements disponibles, étrangers déboutés du droit d’asile. Ils sont logés actuellement dans les quelques hôtels meublés 1 étoile ou 2 étoiles de l’arrondissement, voire non homologués (dits alors « de préfecture ») à des prix extravagants. En effet, le prix généralement observé dans ces hôtels est de l’ordre de 17 € par personne et par nuitée. Noter qu’un enfant ou qu’un nourrisson compte pour une personne. Il en ressort pour une famille de 5 personnes un coût mensuel de 2550 €.
Les organismes tels que la ville de Paris, le Samu social, la Coordination d’accueil des familles de demandeur d’asile, acquittent en général 80 à 100% de ces frais d’hébergement.
En résulte que ce type d’activité hôtelière est extrêmement lucratif (solvabilité parfaite des organismes publics ou caritatifs, forte demande, et prestations hôtelières réduites au minimum légal, parfois moins).
Mais ce financement, plus de 50 millions d’euros par an pour Paris, obère fortement les capacités du social dans d’autres domaines, et notamment dans la construction de logement sociaux.
Vile politique...
Cette manifestation faisait suite au CICA (Conseil d’information et de
consultation des associations) du mois de décembre, et surtout au
précédent conseil d’arrondissement. En effet, la question du logement y
était abordée avec la demande expresse du groupe Les Verts pour que soit
inscrite à l’ordre du jour la question des proportions de logements à
destination très sociale (PLAI). Ce débat, ouvert sous la forme d’un vœu,
permet à un maire d’arrondissement de soumettre l’avis d’un conseil
d’arrondissement au maire de Paris, qui l’examine alors au Conseil de
Paris. Mais ici, dans le 14e, où notre maire d’arrondissement est de la
même obédience que le Maire de Paris, il semblerait que ce soit plus un
moyen, pour une composante verte de la majorité municipale, de pousser le
Maire dans ses retranchements. Sur le fond, l’ensemble de la majorité
municipale s’est accordé pour augmenter la proportion du logement très
social au détriment du logement intermédiaire. Cela n’empêcha cependant
pas René Dutrey (Les Verts) d’annoncer le dépôt d’un nouveau vœu, au nom
de son groupe, et ceci pour un futur conseil d’arrondissement, dans le
sens de la surenchère. Le conseil d’arrondissement deviendrait-il une
antichambre des manœuvres politiques, dans le sens où un clash au sein
de la très plurielle majorité municipale avait déjà été provoqué par le
groupe Les verts au Conseil de Paris du 26/09/2005 sur un sujet très
proche (la création de 1500 logements d’urgence) avec l’appui de l’UMP ?
Et politique de la Ville
Le sujet, pourtant délicat, concerne la vie de dizaines de familles
dans notre arrondissement. Comment les loger, et comment proposer des
solutions sociales intelligentes et financièrement équilibrées ?
Pour comprendre la difficulté, il est nécessaire de rappeler que
partout en Europe, les demandes d’asile sont en diminution, partout
sauf en France où la demande continue de croître. Conséquence
d’une stabilisation et d’une amélioration des conditions politiques
dans de nombreux pays et de l’avance des libertés (loin des litanies
sur l’entropie du monde, assénées continuellement pour soutenir la
nécessaire culpabilité de chacun d’entre nous), les réfugiés politiques
sont moins nombreux, mais pas les réfugiés économiques. L’Ile-de-France
accueille 50 % de ces nouveaux venus. Et la moitié d’entre eux viennent
à Paris intra-muros. Cela implique que 3,5% de la population française
(les Parisiens) supporte le poids de 25% de l’immigration. Réfléchir
sur le sujet renvoie au vaste débat sur l’immigration, impossible dans
notre pays puisque pollué par les positions des extrêmes de droite ou
de gauche. Les raisons de cette concentration à Paris sont multiples :
a) l’existence de fortes communautés rendent possible la digestion de
nouveaux venus. b) le fort gradient des aides entre Paris et les
départements voisins, puis entre l’Ile-de-France et la province, joue le
rôle d’un mirage vers lequel se dirigent les personnes en question.
Harmoniser les différences de traitements est un moyen de répartir. Mais lorsque la Mairie prend des positions politiques très marquées de défense de sans-papier, et d’augmentation des aides à leur égard, elle incite ces populations à venir intra-muros. Leur proposer un logement en petite couronne ou en grande couronne se heurte à un écueil, tant la protection affichée par la mairie de Paris leur paraît nécessaire. Augmenter continuellement le niveau d’aide permet d’avoir, certes, bonne conscience, mais ne résout pas le problème de la saturation de Paris et de l’Ile-de-France en logement d’urgence. Le bon sens serait peut être de répartir différemment le logement d’urgence sur les métropoles de province, en ne faisant pas de la surenchère sociale un outil politique aux effets néfastes.